Qui se soucie des Maldives ? Pas grand monde. En Europe, l’archipel aux vingt-six atolls cernés de lagons transparents évoque d’abord un paradis touristique au cœur de l’océan Indien. Or, les Maldives deviennent un enjeu stratégique chaud. Au pied des cocotiers germe une rivalité géopolitique majeure que les capitales occidentales seraient bien inspirées de scruter davantage.
Là, au cœur des grandes routes maritimes reliant le golfe Arabo-Persique à l’Extrême-Orient, dans ce boulevard de pétroliers alimentant l’« Asie émergente », l’Inde et la Chine sont en passe d’entrer en collision. En cet océan qui porte son nom, l’Inde se sent dans son arrière-cour naturelle. La Chine, elle, cherche à s’y glisser afin de sécuriser ses approvisionnements énergétiques. Elle est parfois bien accueillie par certains petits Etats régionaux désireux de contrebalancer l’« hégémonie indienne ». Au départ considéré comme un handicap, le fait de venir de loin devient le principal atout de Pékin - autant que son argent. New Delhi riposte en prenant langue à l’autre bout de l’Asie avec le Vietnam ou le Japon qui, eux, se plaignent de « l’hégémonie chinoise ». Œil pour oeil... D’une mer à l’autre, la tension monte.
Cette rivalité à fleur d’océan Indien entre le dragon (chinois) et l’éléphant (indien) date déjà d’une bonne dizaine d’années. Mais elle ne cesse de s’intensifier, comme l’illustre la crise qui secoue les Maldives. Le 13 février, l’ambassade d’Inde à Malé, la capitale, a offert refuge à l’ex-président Mohamed Nasheed, un libéral déchu il y a un an à la suite d’un coup de force conservateur. D’abord prudente, l’Inde prend parti. Elle fait payer au nouveau pouvoir sa dérive anti-indienne et sa tentation prochinoise. Les Maldives, ou le cas d’école de la nouvelle géopolitique de l’océan Indien.
Quelques jours plus tard, un autre événement a crispé un peu plus l’atmosphère à New Delhi. Le 18 février, l’ennemi héréditaire pakistanais a formellement cédé à une compagnie chinoise la gestion du port de Gwadar sur le littoral du Baloutchistan, situé à 400 kilomètres du détroit d’Ormuz. Les Chinois avaient déjà construit en 2007 les infrastructures de Gwadar. Ils en seront désormais les exploitants commerciaux. Pékin renforce ainsi sa présence à l’orée du golfe. Après des percées équivalentes aux Seychelles, au Sri Lanka et dans le golfe du Bengale, le « collier de perles » chinois enroulant l’Inde se resserre. Avis de tempête sur l’océan Indien... Est-il encore temps d’éviter le grand télescopage à venir entre le dragon et l’éléphant ?
Frédéric Bobin, correspondant du « Monde » en Asie du Sud, basé à New Delhi