À peine l’accord trouvé, le Président a tenu « à rendre hommage aux organisations professionnelles de salariés et d’employeurs qui ont rendu possible ce résultat. Il constitue un succès du dialogue social, qui honore l’ensemble des partenaires. ». Pour lui, cet accord a validé sa « méthode » imaginée pendant sa campagne électorale et inaugurée en juillet dernier avec la conférence sociale. Il devient ainsi le « champion du dialogue social », se démarquant de son prédécesseur Sarkozy qui avait décidé de mener la guerre aux fameux « corps intermédiaires ».
Le chantre du dialogue social
Depuis longtemps, Hollande est convaincu que le modèle français est en bout de course et que, pour parvenir à des changements en profondeur, salariéEs et patrons doivent se mettre d’accord entre eux, au-delà de la seule loi. Cahuzac n’est visiblement pas le seul à ne pas « croire » à la lutte des classes. C’est la raison pour laquelle il a mis, dès son élection, le dialogue social au cœur de sa politique : « le dialogue social, ce n’est pas une contrainte. C’est une condition pour atteindre nos objectifs », expliquait-il début juillet lors de l’ouverture de la conférence sociale. Aussi, même si l’accord du 11 janvier est loin du « compromis historique entre la CGT et le Medef » promis par l’Élysée il y a plusieurs mois, Hollande et le gouvernement Ayrault en sortent comme les grands gagnants politiques.
Cela leur permet maintenant, comme le Medef le demande, de transcrire « fidèlement » et rapidement cet accord dans une loi. Car sur ce point, le message du gouvernement est clair : l’accord sur la sécurisation de l’emploi passé entre le patronat et trois syndicats sera transposé tel quel au Parlement.
Et que l’on ne s’avise pas d’essayer de le modifier. Ainsi, le gouvernement a d’ores et déjà prévenu les députés PS qu’ils devront filer droit. À tel point que le texte devrait être défendu par Jean-Marc Ayrault lui-même et que les rapporteurs du texte ont déjà été désignés, plus de trois mois avant l’arrivée du projet de loi en débat… Les présidents de groupe eux-mêmes, Bruno Le Roux à l’Assemblée nationale et François Rebsamen au Sénat. Et si les oppositions se font trop entendre, certains pensent même déjà que « sur un sujet comme celui-là, le gouvernement pourrait engager sa responsabilité avec le 49-3 », ce qui permettrait au gouvernement de faire passer un projet de loi sans le soumettre au vote, l’Assemblée ne pouvant s’opposer que par une motion de censure.
Et maintenant, faire reculer le gouvernement !
Cet accord qui réforme en profondeur les droits des salariéEs ne répondra en rien à la question du chômage et de la précarité. Michel Sapin, ministre du Travail, le reconnaît lui-même : « Ce n’est pas un texte qui crée directement de l’emploi, mais qui participera à une amplification des créations d’emplois quand la croissance reviendra, on l’espère à partir du deuxième semestre ».
Pire, en Grèce ou dans l’État espagnol, de telles politiques ont accéléré le chômage et la précarité. Raison de plus pour refuser cette nouvelle attaque.
Malgré les verrouillage en cours, les oppositions au sein de la majorité ne se sont pas fait attendre. Dans la gauche du PS, le député Jérôme Guedj et la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann ont rapidement dénoncé cet accord qu’ils considèrent comme « pas acceptable » et ayant des « clauses contraires aux engagements de la gauche ». Du côté de la gauche non gouvernementale, même son de cloche : les députés du Front de gauche ont l’intention de se battre contre cet accord qualifié de « Medef-CFDT ».
Mais la bataille institutionnelle qui s’annonce – et dont on verra si elle a lieu – sera de toute façon bien insuffisante. Pour refuser un tel accord, il faudra mettre en œuvre une véritable opposition dans la rue, contre le gouvernement et le Medef.
Les syndicats non signataires – CGT et FO – y sont-ils prêts ? Rien n’est moins sûr. Car, si comme le dit la CGT, « la partie n’est pas finie », il faudra faire autre chose qu’exiger d’un gouvernement – qui a déjà annoncé la couleur – « un projet de loi d’une tout autre nature »…
Sandra Demarcq
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 179 (24/01/13).
ACCORD EMPLOI-COMPÉTITIVITÉ : DES RECULS SANS PRÉCÉDENTS
Dans la continuité du « pacte de compétitivité » et du cadeau de 20 milliards d’euros au patronat, le gouvernement a fait de l’accord pour « un nouveau modèle économique et social », signé vendredi 11 janvier par le Medef et trois syndicats, l’enjeu central de sa politique. Encore une fois cela consiste à faire payer l’essentiel des « sacrifices » aux salariéEs.
Des contreparties bidon...
Les prétendues contreparties ne sont qu’un enfumage servant d’alibi aux syndicats signataires – CFDT, CFTC, CGC – à travers une mise en scène grossière. Le patronat au dernier moment « recule », concède une taxation partielle des CDD ne concernant ni l’intérim ni les contrats saisonniers et CDD de remplacement. L’aide à l’embauche en CDI d’un moins de 26 ans est une nouvelle exonération de cotisations permettant de compenser cette taxation. La généralisation de la complémentaire santé n’est qu’une des faces de la privatisation de la protection sociale, mutuelles et assurances privées prenant la place de la Sécurité sociale. Les mesures concernant les chômeurEs, déjà en discussion dans le cadre de l’Unedic, seront encadrées par l’équilibre financier de l’assurance-chômage. Les autres contreparties ne sont que des mesurettes censées faire un contrepoids acceptable aux reculs.
… pour un triomphe du Medef
Les attaques sont d’une toute autre ampleur. Tout d’abord la possibilité d’accords dits de « maintien dans l’emploi », d’une durée maximale de deux ans prévoyant une baisse de salaire et / ou une augmentation du temps de travail, en échange d’un engagement de maintien de l’emploi sur sa durée.
Les procédures de licenciement économique sont profondément modifiées : un accord majoritaire peut s’affranchir du droit du travail concernant le nombre de réunions, l’ordre des licenciements (placement de la « compétence professionnelle » en tête des critères de reclassement) et le contenu du plan social. La durée de la négociation est préfixée et il est possible d’engager les reclassements internes avant la fin de la procédure. L’accord doit être contesté dans les trois mois et le salarié n’a qu’un an pour contester son licenciement.
À défaut d’accord, le plan social est soumis pour avis au CE et transmis pour homologation à l’administration dont le délai de réponse est strictement fixé (maximum de 4 mois à partir de 250 licenciements) et dont le silence vaut acceptation. La contestation doit être formée dans un délai de trois mois et le refus d’avis du CE vaut avis négatif. Le délai est d’un an pour la contestation du motif de licenciement ou le non-respect par l’employeur de ses obligations.
Les entreprises qui lancent une réorganisation assortie de mobilité interne sans licenciement n’ont plus à engager une procédure de plan social mais une négociation sur « les conditions de mobilité professionnelle ou géographique interne », portant notamment sur des mesures d’accompagnement. En cas de refus, le salarié ne bénéficie pas des mesures de reclassement prévues lors d’un licenciement économique, car celui-ci est considéré comme ayant un motif personnel. Alors qu’actuellement il faut un accord de branche pour des contrats de travail intermittents, cette possibilité sera librement ouverte aux entreprises.
Enfin, quelques autres entourloupes : lorsque l’effectif d’une entreprise passera les seuils de 10 ou 49 salariés, elle aura un an pour mettre en œuvre les obligations légales. Les recours à l’expertise pour plusieurs CHSCT devront être regroupés, et les frais d’expertises, fixés par barème, seront imputables aux comités d’entreprise. Les irrégularités de forme ou de procédure ne devront pas être un obstacle à la validité des licenciements et les transactions dans les procédures prud’homales plafonnées (14 mois de salaires au-delà de 25 ans d’ancienneté) et sans recours.
Partir des résistances pour une contre-offensive
Il s’agit là d’un véritable bouleversement du Code du travail, avec la prédominance d’une légalité soumise aux rapports de forces au niveau de l’entreprise et du rapport individualisé employeur-salariéE. La signature de syndicats en fait minoritaires – CGC, CFTC et CFDT représentent environ seulement 1/3 des salariéEs contre près de 50 % pour la CGT et FO – ne rend évidemment pas légitime un tel accord. La participation ambiguë de la CGT (et de FO) à cette négociation à froid a bien sûr rendu la contre-mobilisation difficile.
Les luttes de ceux d’Arcelor, de Virgin, de PSA, de Goodyear, de Sanofi et bien d’autres portent d’autres espoirs, d’autres revendications : interdiction des licenciements, expropriation des licencieurs, réduction du temps de travail. Nos revendications.
Robert Pelletier
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 178 (17/01/12).