Dans la commune de Falea qui regroupe 21 villages et ses 17 000 habitants, l’histoire de l’exploration du sous-sol ne date pas d’hier : dans les années 1970, déjà, la Cogema et le Bureau de Recherche Géologique Minière en collaboration avec la société d’Etat malienne SONAREM avaient effectué travaux de prospection. L’exploitation n’avait pas semblé rentable à l’époque, notamment du fait de l’enclavement de la zone, des problèmes d’accès à l’eau et de l’énergie nécessaire au fonctionnement de la mine. Depuis, le contexte mondial a changé et c’est désormais une véritable « colonisation minière » qui se joue à Falea en passe d’être dépecée : le permis d’exploration de la société canadienne Rockgate pour l’uranium, l’argent et le cuivre concerne plus du tiers de la superficie de la commune, auquel se rajoute celui de la sud-africaine Iamgold pour l’or sur la plus grande partie des deux tiers restant sans oublier celui de la bauxite. La surface préservée de toute exploration est réduite à peau de chagrin.
La situation qui a cours à Falea est le parfait reflet de la politique nationale de « diversification de la production minière », justifiée par le ministère des Mines au nom de la lutte contre la pauvreté. Comment adhérer à ce discours quand les Maliens n’ont guère vu les retombées sociales et économiques positives qui auraient dû découler de la production d’or : le Mali est actuellement 3e producteur d’or en Afrique, avec 8 mines aurifères en exploitation, la dernière ayant ouvert en février 2012.
En réalité, le Mali est pieds et poings liés aux demandes des multinationales et le ministère des Mines, créé sous Alpha Oumar Konaré en 1995, au moment de la libéralisation du code minier et des réglementations en matière d’investissement sous l’impulsion de la Banque Mondiale, en est l’instrument docile. Un ministère qui travaille de concert avec les sociétés minières comme l’a révélé le scandale consécutif à la mission d’information des eurodéputées écologiques Eva Joly et Michèle Rivasi en mars 2011 sous l’impulsion de l’ARACF. Les deux eurodéputées avaient alors rencontré le président Amadou Toumani Touré (ATT), qui avait prétendu ne pas être informé du projet uranifère à Falea et s’était même engagé à ne pas octroyer de permis d’exploitation et à favoriser le développement agricole. Une déclaration très vite démentie sous la pression de son entourage tandis que Bamako bruissait de rumeurs sur le montant astronomique du bakchich qu’aurait déboursé Rockgate. Le lendemain, ATT limogeait son 1er ministre, Modibo Sidibe, le ministre des mines, Aboubacar Traore et le ministre des finances, Sanoussi Toure qui s’arrangeaient pour faire passer en Conseil des ministres l’attribution des permis miniers lorsque le président était en déplacement. Mieux : le ministre des mines avait créé un cabinet fiscaliste pour conseiller les compagnies minières en même d’être actionnaire de certaines compagnies minières !
En plus de la compromission des élites, le code minier malien ne prévoit aucune contrainte pour les compagnies minières en termes de responsabilité environnementale et sociale pendant la phase d’exploration et de prospection. Cette faiblesse législative rend le sous-sol malien extrêmement attractif. A cet égard la visite des sites de forage sur la commune de Falea est édifiante. La société française Foraco, basée à Marseille et cotée en bourse à Toronto, qui effectue les forages pour le compte de Rockgate, travaille dans un mépris total des populations et de l’environnement : absence d’information donnée aux riverains, forages faits à quelques mètres des habitations ou dans les champs des agriculteurs, pollution de puits par les boues issues du forage, rejets de carottes de forage dans le lit de la rivière...
Areva, futur exploitant ?
L’ARACF fait un travail considérable pour la formation des populations riveraines et l’interpellation des élus et des institutions. Ainsi, le forum Uranium Santé Environnement organisé à Bamako du 16 au 18 mars 2012, auquel Survie a pris part, visait à renforcer l’information des habitants de Falea et à mobiliser un réseau international d’acteurs antinucléaires ou militants pour une exploitation maîtrisée et juste des ressources.
Sur le terrain, une équipe de radioprotection a été formée sur place et la radio locale explique les dangers liés à la radioactivité et à l’implantation de sociétés minières. Les autorités locales militent désormais de leur côté contre l’exploitation de l’uranium : les 21 maires des villages de la commune de Falea ont signé un mémorandum à ce propos en mars 2012. L’association souligne aussi l’inconséquence que serait l’exploitation d’autant que la concentration en uranium du sous-sol est faible : le gisement de Falea contiendrait entre 5000 et 11 000 tonnes au total selon les estimations officielles – soit plus ou moins ce qu’extrait annuellement Areva au Niger ; elle demanderait en outre des investissements importants pour drainer l’eau et produire l’électricité nécessaire. Le prix à payer pour les populations et l’environnement serait énorme.
Pour l’ARACF, il ne fait nul doute que Rockgate ne sera pas la société exploitante le cas échéant : cette société créée en 2004 n’a ni expérience ni expertise dans l’extraction et la production de l’uranium, toutes ses activités concernent l’exploration, et, fait étonnant, elle enregistre, année après année, des comptes déficitaires à tel point qu’elle aurait perdu 80% de sa cotation en bourse mais parvient pourtant à être recapitalisée. Aussi, l’ARACF ne s’est pas étonnée que l’ambassadeur de France en poste en 2011 au Mali, déclare à mesdames Joly et Rivasi qu’Areva serait le futur exploitant de la mine d’uranium à Falea. Une déclaration à prendre au sérieux même si dans le contexte actuel les habitants pourraient bien être sauvés par les déboires d’Areva – dont les projets miniers en Afrique sont gelés- mais aussi par le travail conséquent de l’ARACF et les changements politiques que Many Camara, un des animateurs de l’association, appelle de ses vœux pour le Mali.
Juliette Poirson
Note 1 : Rien que pour l’uranium, trois zones uranifères sont connues : ce sont, outre Falea, dans les la zone des Iforas et la zone de Gao au Nord Note 2 : Environ 50 tonnes d’or produites par an, selon le Ministère des Mines malien.