CHRONIQUE D’UNE LUTTE,
par Laurent Jalabert
à propos du livre de Christine Burguière, Gardarem ! Chronique du Larzac en lutte, Toulouse, Privat, 2011, 408 p, 24 €
Préfacé par José Bové, le livre de Christiane Burguière est une chronique de la mobilisation paysanne sur le plateau du Larzac entre 1970 et 1981. Ce texte est un témoignage de onze années de luttes sociales contre le projet d’extension du camp militaire, voulu par le pouvoir gaulliste de la fin des années 1960.
Le récit proposé est celui d’une actrice qui, avec son mari Pierre Burguière (éleveur, qui a collaboré au livre), a été l’une des premières à se lancer dans un des conflits les plus longs de l’histoire sociale du pays. Le témoignage est simple, le ton un peu décousu, mais sincère et surtout percutant. Si le conflit a débouché sur l’arrêt du projet d’extension du camp, c’est bien parce que la détermination de la poignée d’agriculteurs du Larzac qui se lance dans l’aventure n’a pas fléchi pendant ces onze années, même si les doutes n’ont pas manqué et les pressions venues de l’armée, de l’administration publique ou du monde politique ont été nombreuses. Le livre retranscrit cette lutte de l’intérieur, cette conviction inébranlable de ces éleveurs qui n’ont jamais cédé un pouce de terrain.
Le témoignage frappe aussi par la capacité progressive des paysans à s’ouvrir à un monde extérieur de plus en plus lointain et de plus en plus mobilisateur. Confrontés à un conflit pour l’exploitation de la terre dont ils sont propriétaires, le premier réflexe qui consistera à se tourner vers les élus locaux, le syndicat d’agriculteurs majoritaire, la FDSEA de l’Aveyron, ou même quelques responsables de l’Église, est décrit avec humour au fil des pages, mais retrace aussi quelques ambiguïtés de ces terres relativement conservatrices de l’Aveyron. Élus, responsables syndicaux, pourtant proches des milieux gouvernementaux, sont bien conscients que la lutte n’est pas vaine et ne cachent pas même leur sympathie voire leur soutien pour le mouvement quand il montre chaque année davantage sa force de conviction.
Un symbole des luttes sociales
Plus encore, on retrouve dans les propos de Christiane Burguière la capacité mobilisatrice qu’ont su drainer ces militants vers d’autres pôles, qui leur étaient si peu familiers : milieux régionalistes, écologistes, ouvriers en colère, universitaires gauchisants, etc. Le Larzac devient alors le symbole des luttes sociales des années 1970 et le combat prend une tournure politique nationale qui dépassera de loin dans l’univers médiatique ou même dans la mémoire collective nationale des luttes sociales la simple question de la terre. C’est certainement ici que l’ouvrage prend toute sa dimension, car l’auteur nous ramène souvent à l’essentiel : la conviction des paysans du Larzac était autre et si les premiers à s’être lancés dans la lutte avaient cette grande capacité d’ouverture, leur but restait bien de défendre leurs terres, considérées comme un outil de production, mais aussi comme un espace de vie quotidienne auquel ils étaient attachés par-dessus tout.
À lire le témoignage, l’impression se dégage que leur force aura certes été de savoir s’insérer dans des réseaux mobilisateurs qui dépassaient les arpents arides des causses languedociens, mais elle aura surtout été d’avoir su rester fixés sur un objectif précis, inébranlable, et qu’ils ont su défendre par des actions quotidiennes régulières et inventives sur le terrain, à toutes les époques de l’année (et non pas seulement lors des grandes marches estivales très médiatisées). Le livre est donc un témoignage passionné et émouvant de cette lutte, non une étude, ou une analyse de la mobilisation. Il faut le lire en tant que tel, pour comprendre le sens d’un combat.
Laurent Jalabert
LE LARZAC, PASSE PRESENT
par Jean-Louis Panné
à propos de Paroles du Larzac, Élisabeth Baillon (dir)., Toulouse, Privat, 2012, 197 p, 17 €
Ces témoignages offrent le reflet des multiples dimensions de la lutte et de ses prolongements après 1981.
Pour qui veut, sans nostalgie, découvrir ou redécouvrir l’histoire de la lutte des paysans du Larzac contre l’extension du camp militaire (1971-1981), celui-ci dispose des actes de la rencontre organisée à Millau en octobre 2011 à l’initiative de l’Association pour l’aménagement du Larzac et la ville de Millau. Ce livre prolonge d’autres publications : les éditions Privat ont aussi fait paraître, en 2011, l’ouvrage de Pierre-Marie Terral : Larzac. De la lutte paysanne à l’altermondialisme, issu d’une thèse d’histoire, puis celui de Christiane Burguière : Gardarem ! Chronique du Larzac en lutte (lire ci-dessus). Nous bénéficions ainsi d’une pluralité d’approches qui se trouve être au cœur de ce troisième volume consacré à cet épisode central dans l’histoire de la France des années 1970 [1]. Cette polyphonie en constitue l’originalité.
Paroles du Larzac mêle avec bonheur les points de vue d’acteurs de toute nature : paysans et paysannes, syndicalistes et élus, journalistes et artistes, vétérinaires, géographes et historiens. Cette confrontation produit une circulation de pensée tout à fait stimulante – une question répondant à une autre ou en soulevant de nouvelles – circulation qui est le reflet des multiples dimensions de la lutte et de ses prolongements après 1981. Un slogan de Mai 68 proclamait la nécessité de « mettre l’imagination au pouvoir », ceux du Larzac l’ont fait au moyen de modes d’action sans cesse renouvelés et, surtout, par la mise en œuvre d’un fonctionnement démocratique adapté aux conditions de la lutte. Susceptible de s’imposer d’emblée, cette volonté de débattre des orientations du mouvement pour atteindre un consensus, a donné sa force à cette résistance. Elle a permis d’intégrer les nouveaux arrivants (objecteurs et occupants de ferme) et s’est traduite par le vote historique du printemps 1979 rejetant le projet d’une mini-extension du camp militaire aux dépens des nouveaux installés. La lutte en commun avait donné naissance à une communauté décidée à vivre son destin sans exclure les plus vulnérables…
L’esprit Larzac
Sur ce socle, les paysans débarrassés de l’extension du camp par François Mitterrand en 1981 ont imaginé comment, en retour, restituer une part du soutien qu’ils avaient reçu, et faire bénéficier d’autres luttes de l’expérience accumulée pendant dix années. Les habitants du plateau se sont tournés vers le tiers-monde, les luttes des Kanaks, la question des OGM et bien d’autres encore. Aujourd’hui, ce qu’on pourrait appeler « l’esprit Larzac » perdure, on en a eu récemment la preuve avec la mobilisation contre l’exploitation des gaz de schistes.
Voilà quelques-uns des aspects que ces Paroles du Larzac nous rappellent et mettent en évidence, au côté de bien d’autres. Il y eut autour de ces terres magnifiques une multitude de convergences dont on se dit que, si exceptionnelle fûrent-elle, rien n’oblige à les croire uniques et comme appartenant au passé. Avec Paroles du Larzac, chacun peut réfléchir à la dynamique qui s’était mise en place il y a quarante ans et en faire son miel pour l’avenir difficile qui nous attend.
Jean-Louis Panné
1. Sans oublier le film de Christian Rouaud, Tous au Larzac, disponible en DVD, avec un supplément particulièrement intéressant sur l’élaboration du documentaire.