1 / Beaucoup de gens vivent toujours sur des territoires très contaminés
Durant les premières semaines après le 11 mars 2011, les dépôts radioactifs de césium ont été de grande ampleur au Japon.
Seule la population vivant dans le cercle de 20 km autour de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi a été évacuée durant les premiers jours de la catastrophe ; mais les retombées ont affecté un très vaste territoire, bien au delà de la zone de 20 km et des limites de la préfecture de Fukushima. En fonction des conditions météorologiques, les masses d’air contaminé se sont déplacées sur des centaines de kilomètres et les précipitations (pluie et neige) ont aggravé le dépôt des particules radioactives sur les sols et la végétation.
Les dépôts de césium 134 et 137 sont à l’origine d’une contamination durable. En se désintégrant, les atomes de césium émettent des radiations très pénétrantes qui peuvent parcourir plus de 60 mètres dans l’air. C’est ainsi que les Américains ont pu réaliser des cartes des retombées en utilisant des sondes héliportées. Ces radiations peuvent traverser les murs et les fenêtres et irradier les gens même lorsqu’ils sont à l’intérieur. Cette irradiation va décroître très lentement du fait des périodes physiques relativement longues du césium 137 et 134 (respectivement 30 ans et 2 ans). La radioactivité du césium 137 sera divisée par 2 en 30 ans. On peut calculer qu’au bout de 12 mois, la radioactivité du césium 134 baisse de 30 % et celle du césium 137 de 3%. La diminution globale du débit de dose ambiant est alors de l’ordre de 22 %. La contamination persistante des sols continuera à produire – et pendant longtemps – des radiations gamma qui irradient les populations sur de vastes territoires.
D’après les cartes officielles publiées par le MEXT [1], les dépôts de césium 137 dépassent 30 000 Bq/m2 sur une grande partie des préfectures de Fukushima, Tochigi et Gunma et également des portions des préfectures de Miyagi, Ibaraki et Chiba.
Le 22 avril 2011, les autorités japonaises ont décidé d’organiser des évacuations complémentaires sur des “Zones d’Evacuation planifiée” : des territoires situés au delà de la zone interdite de 20 km mais où la dose imputable à la contamination persistante des sols pouvait entraîner une exposition supérieure à 20 milliSieverts par an. Cela correspond à des risques de cancer 20 fois supérieurs au niveau jugé habituellement « acceptable ». C’est d’autant plus choquant que les habitants de ces territoires ont déjà subi des doses très importantes (voir Annexe 2).
La dose au-delà de laquelle le risque de cancer à long terme est considéré comme « inacceptable » par la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) est de 1 milliSievert par an, ce qui correspond à 17 cancers [2] pour 100 000 personnes exposées.
Selon le gouvernement japonais, un lieu où le débit de dose est inférieur à 0,23 μSv/h est un lieu où la dose annuelle imputable aux retombées de Fukushima est inférieure à 1 mSv/par an. Cette évaluation ne tient pas compte des doses liées à la contamination interne par ingestion de nourriture contaminée, ni à celles induites par inhalation de poussières radioactives du fait de la remise en suspension des sols contaminés et de la contamination qui continue de s’échapper de la centrale de Fukushima Daiichi (selon TEPCO et les autorités environ 10 millions de Becquerels de césium sont toujours rejetés par heure).
Lorsque le débit de dose ambiant à l’extérieur est supérieur à 0,23 μSv/h, la dose annuelle cumulée du fait de cette irradiation externe entraine un risque sanitaire inacceptable sur le long terme. Les cartes officielles publiées par le MEXT en décembre 2011 montrent que tel est le cas sur une vaste partie de la préfecture de Fukushima mais aussi sur des territoires des préfectures de Miyagi, Tochigi, Gunma, Ibaraki et Chiba (voir le magazine de la CRIIRAD, TU N°54, pages 4 à 29 [3]).
De ce fait, en l’absence de mesures de protection appropriées, des centaines de milliers de personnes auront encore subi en 2012 des doses de radiation inacceptables.
2 / Exemples à Fukushima city et dans le secteur d’Oguni dans le district de Date (mesures de juin 2012)
Deux exemples sont résumés ci-dessous (voir carte de localisation en Annexe 2) à partir des mesures de terrain réalisées par les laboratoires CRIIRAD et CRMS en juin 2012. Les mesures détaillées et des photographies sont présentées dans les rapports CRIIRAD N°12-88 EN (en anglais [4]) et N°12-88 FR (en français [5]). Des vidéos de cette mission sont accessibles en cliquant sur les liens ci-dessous.
Sur ces territoires, les dépôts de césium 134 et 137 ont été de plusieurs centaines de milliers de Bq/m2. A titre d’exemple, le laboratoire de la CRIIRAD a mesuré [6] plus de 700 000 Bq/m2 dans le quartier Watari de la ville de Fukushima.
Dans la ville de Fukushima, située à 60-65 km de la centrale nucléaire accidentée, les débits de dose mesurés à 1 mètre du sol, en extérieur, étaient typiquement plus de 3 fois, et même parfois plus de 10 fois supérieurs à la normale. On a mesuré par exemple 0,84 μSv/h sur le trottoir en face de notre hôtel en centre-ville [7]
et plus de 0,8 μSv/h (et au-delà) sur des parkings et jardins de maisons individuelles [8] dans le quartier Watari (un des plus contaminés de la ville).
L’irradiation induite par les sols contaminés est encore détectable à l’intérieur des immeubles. Au 6éme étage, dans l’hôtel, le niveau de radiation a augmenté de 70 % en se déplaçant du centre de la chambre vers la fenêtre.
Dans le quartier Watari, même à l’intérieur du restaurant, sur la table au rez-de-chaussée, le débit de dose était 0,27 μSv/h. Les habitants que nous avons rencontrés n’ont reçu aucune aide pour évacuer ou décontaminer. En juin 2012 - contrairement à ce que nous avions vécu en mai-juin 2011 - de nombreux habitants nous ont demandé de ne pas rendre publics les résultats de mesure par peur de perdre des clients ou de mécontenter les voisins. Ils semblent résolus à vivre en zone contaminée.
Dans le secteur rural d’Oguni (district de Date, voir carte en Annexe 3) – situé à environ 10 km à l’est de la ville de Fukushima et à 55 km au nord-ouest de la centrale accidentée – les débits de dose étaient supérieurs à 1 μSv/h dans de très nombreux endroits, par exemple aux abords du Centre Communal où le CRMS a implanté un laboratoire, ou encore aux abords d’une maison individuelle [9].
3 / Les travaux de décontamination sont très insuffisants
La CRIIRAD a effectué des mesures dans une autre maison individuelle à Oguni. Selon les rapports officiels, les débits de dose mesurés en août 2011 étaient de 2,5 et 3 μSv/h. En dépit d’un chantier de décontamination pilote qui a duré d’octobre à décembre 2011, les débits de dose que nous avons mesurés en juin 2012 étaient toujours de 0,37 à 0,98 μSv/h aux abords immédiats de la maison et de 0,3 à 0,56 μSv/h à l’intérieur. Pourtant la terre superficielle a été décapée, les arbres de la colline d’en face ébranchés, les rochers du jardin d’agrément lavés au karcher, etc..
Pour cette famille, l’irradiation externe imputable à la contamination de l’environnement entraîne une dose cumulée sur l’année 2012 comprise entre 1,8 et 6 mSv (malgré les travaux de décontamination). Cela montre à quel point la décontamination est insuffisante. Des aides devraient être fournies aux habitants pour leur permettre de déménager vers des territoires non contaminés.
4 / Il est nécessaire que soit mis en place un cadre réglementaire national afin d’améliorer la protection et les compensations pour les populations touchées par la catastrophe de Fukushima
Beaucoup de gens dans la préfecture de Fukushima et dans d’autres parties du Japon vivent toujours dans des zones où ils sont susceptibles de recevoir encore longtemps des doses annuelles supérieures à 1 milliSievert. C’est vrai y compris dans de grandes villes comme celle de Fukushima. La priorité est donc d’obtenir que soit mise en place une stratégie nationale pour venir en aide aux populations touchées par la contamination (aides financières, soutien au relogement, etc..).
Au Japon, une nouvelle loi, appelée “Child Victim’s Law” a été votée au parlement le 21 juin 2012. Elle introduit le concept de “Target support areas” où les habitants pourraient recevoir une aide en fonction de leur choix entre 3 possibilités : évacuer, rester ou revenir. Mais de nombreux aspects restent à clarifier. Un des plus importants est de préciser à partir de quel niveau de dose un territoire pourrait être classé “Target support area”. Un groupe de juristes appelé SAFLAN, le “Forum [10] des Citoyens pour la Loi de Soutien aux Victimes du Désastre Nucléaire de TEPCO” et des membres du parlement qui sont à l’origine de la loi, demandent que le critère retenu soit de 1 mSv/an ou en dessous (en termes de dose cumulée imputable aux retombées et en tenant compte de l’irradiation externe et interne).
Ces clarifications devraient être apportées par de nouveaux textes, mais les décisions sont reportées à janvier 2013.
Une mobilisation internationale est nécessaire pour que la législation garantisse un abaissement significatif des doses que continuent à accumuler les citoyens japonais, dont les enfants et les femmes enceintes.
En 2011, des centaines de milliers de personnes ont déjà reçu des doses très largement supérieures aux limites “acceptables”. En 2012, elles sont nombreuses à continuer à accumuler des doses nettement supérieures à 1 mSv. Dans la mesure où les risques sont proportionnels à l’augmentation de la dose, continuer à vivre en territoire contaminé augmente encore les risques que ces personnes souffrent à l’avenir de diverses pathologies, dont les cancers. Tout devrait être fait pour leur permettre de vivre sur des territoires non contaminés.
Rédacteur : Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, directeur du laboratoire de la CRIIRAD ; en collaboration avec M. Wataru Iwata, directeur de CRMS et de M. Kanno, habitant d’Oguni et en charge du laboratoire CRMS implanté à Oguni.
Contact par E-mail : bruno.chareyron criirad.org et wtr crms-jpn.com
CRIIRAD
Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (CRMS)
5 décembre, 2012
Annexe 1 / présentation de CRMS et de la CRIIRAD
Qu’est ce que le CRMS ?
CRMS (Citizen’s Radioactivity Measurement Station) est une association Japonaise, à but non lucratif, créée en 2011 et dont l’objectif est d’améliorer la protection des citoyens contre les rayonnements ionisants. C’est une organisation indépendante dont la mission est d’offrir aux citoyens des outils leur permettant d’acquérir des connaissances sur la radioprotection, d’apprendre comment mesurer la radioactivité et ainsi d’améliorer leur protection de manière autonome.
Le CRMS effectue des mesures de radioactivité à la demande des citoyens et publie les résultats sur son site web ou dans d’autres médias afin de partager les données avec le plus grand nombre. Les mesures de radioactivité, portent principalement sur les aliments (au moyen de spectromètres gamma) ou sur l’évaluation de la contamination interne en césium (utilisation d’un compteur corps entier ou « whole body counter » (WBC)). Elles sont réalisées par des citoyens dans 9 laboratoires de CRMS implantés sur le territoire de la préfecture de Fukushima et un 10e implanté à Tokyo en fin d’année 2012.
Pour plus d’informations : http://fr.crms-jpn.com/
Qu’est ce que la CRIIRAD ?
La CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité) est une association à but non lucratif créée en 1986 à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. En effet, à cette époque, les autorités françaises ont menti sur l’intensité des retombées radioactives (iode 131, radiocesiums, etc..) Afin de pouvoir procéder des mesures indépendantes, la CRIIRAD a créé son propre laboratoire.
Le laboratoire de la CRIIRAD comporte deux chaînes de spectrométrie gamma, un compteur à scintillation liquide pour la détection du tritium et de radionucléides émetteurs alpha ou bêta, et des équipements portatifs pour les contrôles de terrain (radiamètres et spectromètres portatifs, moniteurs de radon, etc..). Le laboratoire de la CRIIRAD est agréé par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).
A partir de carottages de sol effectués entre 1987 et 1993, le laboratoire de la CRIIRAD a réalisé une carte des retombées de Tchernobyl en césium sur le territoire français. Entre 1996 et 1998, la CRIIRAD a démontré [11] que, du fait des retombées de Tchernobyl, certains sols en milieu Alpin pouvaient être qualifiés de déchets radioactifs.
A la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima (mars 2011), la CRIIRAD a effectué une évaluation des retombées sur le territoire français et a apporté son soutien à des citoyens japonais dans leurs efforts pour créer des moyens de contrôle indépendants. Ces initiatives aboutiront à la création du CRMS.
Pour plus d’informations sur les actions conduites en 2011 par la CRIIRAD aux côtés de CRMS, voir le dossier :
http://www.criirad.org/actualites/dossier2011/japon_bis/crms/extrait_Japon.pdf Plus d’informations sur : www.criirad.org
Annexe 2 / Une population déjà fortement exposées aux radiations
La contamination persistante en iode 131 des sols échantillonnés par le laboratoire de la CRIIRAD, fin mai 2011, en ville de Fukushima a permis d’établir que les retombées initiales en iode 131 atteignaient des millions de Bq/m2.
L’iode 131 a une période physique de 8 jours. Sa radioactivité était donc plus de 600 fois plus élevée lors des retombées initiales en mars 2011. Cela montre une forte contamination de l’air ambiant lors du passage des panaches contaminés en particulier le 15 mars 2011.
D’autres substances radioactives étaient également présentes et ont fortement décru depuis : césium 136, tellure 129 et 132, iode 132 et 133, etc.. Il y avait également des gaz rares tels que le xénon 133 et le krypton 85 qui ne s’accumulent pas dans les sols.
Les habitants de la ville de Fukushima ont été soumis à une contamination interne élevée, d’abord en inhalant de l’air contaminé et surtout ensuite en consommant de la nourriture contaminée du fait des dépôts de substances radioactives.
En effet, les autorités Japonaises n’ont adopté des mesures de restriction alimentaire dans la préfecture de Fukushima qu’à partir du 21 et 23 mars 2011 (en fonction des types de denrées).
Les populations ont donc pu consommer, pendant plus d’une semaine, des aliments fortement contaminés sans aucune restriction et information. Des personnes ont pu de ce fait subir des doses efficaces de plusieurs dizaines de milliSieverts et des doses à la thyroïde dépassant le Sievert.
A titre d’exemple, la contamination initiale en iode 131 des épinards à 100 km au sud de la centrale nucléaire accidentée était telle que la consommation de 200 grammes, par un jeune enfant, induisait un dépassement de la dose maximale annuelle admissible de 1 milliSievert. A 40 kilomètres au nord- ouest de la centrale, la végétation était tellement contaminée en iode 131, que la dose maximale annuelle admissible aurait été atteinte en consommant seulement 5 grammes de ces plantes.
Il est indispensable que les populations exposées obtiennent des évaluations fiables des doses auxquelles elles ont été soumises en 2011 et que tout soit fait pour réduire au maximum les doses qu’elles continuent à subir depuis.
Annexe 3 / localisation de Fukushima city ; du quartier Watari (W) de Fukushima city et du secteur Oguni (O) du district de Date
Fond de carte publié par le MEXT (Débit de dose au 29 avril 2011)
[Carte non reproduite ici. Se reporter à l’article original.]
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