- Pourquoi, après le succès de Noir Silence, avoir écrit Noir Chirac ?
François-Xavier Verschave - Je m’étais mis, comme en 1995, à rédiger pour 2002 un dossier noir sur les candidats et l’Afrique. En y regardant de plus près, je me suis aperçu qu’entre les candidats en lice il n’y avait pas photo (nous excluions par principe de traiter du cas Le Pen) : Jacques Chirac est au cœur de la Françafrique prédatrice, corruptrice, pétrolière, barbouzarde Un certain nombre d’enquêtes, de révélations et d’événements récents le confirment : la Françafrique s’ordonne autour d’un tronc principal néogaulliste, dont les autres réseaux ne sont que des ramifications ou des greffons. Longtemps secondé par Charles Pasqua, puis héritier de Jacques Foccart, Jacques Chirac est depuis un quart de siècle l’homme fort de ce dispositif de négation des indépendances africaines. Le réseau Mitterrand ressemblait à un appendice, destiné à capter une part du butin.
Protecteur et « frère » des dictateurs néocoloniaux africains, Chirac ne peut être dissocié de leur criminalité économique et politique. Tout cela est quand même assez connu des observateurs, de même que les énormes ponctions de ses amis sur les contrats d’armement et les marchés publics. Ou la fraude électorale à Paris. Dès lors la question se pose : pourquoi une telle impunité judiciaire, politique, et même médiatique ? C’est cette question que j’ai voulu traiter dans Noir Chirac.
- Vous rattachez cette impunité aux parrains politiques de Jacques Chirac, les cercles d’initiés de la guerre froide ?
F.-X. Verschave - Oui. Cette impunité illustre un mode de gestion du monde profondément antidémocratique, irresponsable. Une gestion secrète opposée au débat public, à la République. Une sorte de généralisation du délit d’initiés. Au nom de la lutte contre l’URSS, la frange la plus réactionnaire des cercles dirigeants américains, entre extrême-droite et lobby militaro-industriel, a soutenu des stratégies agressives largement cachées, y compris au Congrès des Etats-Unis : la dissémination de l’arme nucléaire, la subversion des régimes déplaisants au profit de plus serviles (souvent des dictatures), l’essor des masses financières occultes dans les paradis fiscaux, le recours systématique aux « milieux » d’initiés (mafias, sectes, ordres templiers, loges maçonniques infiltrées et dévoyées).
La Françafrique fut d’abord une sous-traitance de la guerre froide, comme le lobby militaro-industriel français ou notre industrie nucléaire, militaire et civile. Le gaullisme, et plus encore le néogaullisme pompidolien, se sont inscrits dans ces stratégies d’initiés. Fils spirituel de Pompidou et Dassault, Chirac en fut le pur produit, avant de se retrouver au centre de ces pratiques militaires, politiques, économiques et financières tellement incontrôlées, tellement au-dessus des lois qu’elles autorisèrent au fil des décennies une criminalité inouïe. Souvenons-nous des guerres d’Algérie, du Viêt-nam, des dictatures latino-américaines La Françafrique est dans ce droit fil. La seule différence, c’est que les Français sont moins informés de l’impérialisme français, des dictatures et du pillage dans l’Afrique de 2002 que de l’impérialisme des Etats-Unis dans l’Amérique latine de 1985
- Vous évoquez le passage de la Françafrique à une « mafiafrique »
F.-X. Verschave - De toutes les stratégies secrètes évoquées, la plus périlleuse en soi est la dissémination des armes de destruction massive. Mais la plus destructrice des biens publics à l’échelle de la planète est l’essor incroyable de la criminalité financière, y compris chez les grandes banques. La multiplication des paradis fiscaux, par où passe le pillage des richesses du tiers monde et les attaques, chez nous, contre 150 ans de conquêtes sociales est, au départ, l’œuvre commune des services secrets et des mafias. Elle a constitué des masses financières gigantesques, d’abord sous gestion nationale, mais qui sont en train de s’interconnecter. Derrière l’« Angolagate », il y a la collusion croissante entre les finances parallèles française, russe, américaine, etc. La destruction du Congo-Brazzaville est un « effet secondaire » de ces grandes manœuvres qui contribuent aussi à broyer le Congo-Kinshasa.
- Dans la conclusion de Noir Chirac, vous évoquez la « deuxième guerre froide »
F.-X. Verschave - Il est clair que, depuis le 11 Septembre 2001, les Etatsuniens cherchent à réactiver les différents mécanismes dont je rappelle l’articulation, les immenses risques et dégâts. La question est de savoir si la France et l’Union européenne se laisseront enrôler. Jacques Chirac l’est depuis trop longtemps pour pouvoir se désolidariser.
- Jean-Marie Le Pen brandit Noir Chirac devant les caméras
F.-X. Verschave - C’est typique de son fonctionnement manipulatoire. Il montre le titre, mais pas le contenu. Car j’explique comment sa carrière et son mouvement ont été propulsés et instrumentalisés par les stratèges de la guerre froide, dans les aventures mercenaires les plus sinistres de la Françafrique. Noir Chirac est un combat contre l’alliance d’une certaine oligarchie et de l’extrême droite. Pour le second tour de l’élection présidentielle, nous sommes placés devant un choix atterrant. Pour l’association Survie, que je préside, il n’y a qu’un choix possible : noyer Chirac sous les bulletins d’une sorte de référendum antifasciste, et mobiliser pour la suite.