1. La lutte contre l’élection imposée de Peña Nieto a ouvert la possibilité d’une grande confrontation politique avec le régime oligarchique et ses partis. La scandaleuse opération frauduleuse en vue d’imposer Peña Nieto, qui a complètement adultéré le système électoral en passant par-dessus tout droit démocratique, a provoqué un choc frontal avec les aspirations démocratiques de millions de personnes illusionnées par le « véritable changement » que proposait AMLO. Cette confrontation, dont le point central était la lutte pour réclamer la nullité de l’élection, n’a pas connu de prolongement après le premier juillet au travers d’un appel à la mobilisation d’AMLO et de MORENA. L’apparition du nouveau mouvement étudiant « je suis le 132 » offrait une perspective politique au-delà de l’échéance électorale en appelant à lutter contre l’élection imposée et le néolibéralisme. Sous son impulsion est apparue la « Convention Nationale Contre l’Élection Imposée » célébrée à Atenco (et dont la seconde édition à eu lieu à Oaxaca), qui allait regrouper un large spectre de forces au-delà de la Coalition Progressiste et de MORENA. Malgré les tentatives pour imposer le gouvernement de Peña Nieto, ce dernier a déjà été délégitimé et se trouve confronté à une force politique qui s’oppose à lui.
2. La position d’AMLO, également adoptée par MORENA le 9 septembre dernier, ouvre un cours plus compliqué et de long terme à la lutte contre le régime oligarchique, et spécialement contre l’élection imposée. Cette position a eu comme antécédent la signature entre tous les candidats présidentiels de « l’accord de civilité » deux semaines avant la tenue des élections. Si AMLO dénonce, effectivement, comme illégitime la désignation d’EPN comme président élu, il opte pour une stratégie qu’il nomme « désobéissance civile », mais qui a en réalité un caractère symbolique, sans lutte ni mobilisation. Une stratégie de désobéissance civile devrait rendre la situation ingouvernable pour un régime illégitime et imposé, ce qui est impossible sans actions ni mobilisations. Cette position limitée affaiblit la lutte de la Convention en en excluant MORENA et en empêchant le soutien de millions de votants au plan d’action, de protestation, de mobilisation et de lutte de la Convention et du mouvement « je suis le 132 ». Comme Cardenas l’a fait en 1988-89 avec la création du PRD, AMLO offre une perspective organisationnelle interne à MORENA avec l’objectif de créer un nouveau parti politique, en même temps qu’il réduit la lutte contre l’élection imposée à une dimension symbolique. La décision d’organiser sa propre force politique est légitime, mais en le faisant de manière séparée de la lutte contre l’élection imposée il affaiblit cette dernière.
3. La Convention est actuellement l’espace unitaire le plus large, dans la logique du front unique, de la majorité des forces opposées au régime oligarchique et au néolibéralisme. La Convention, tout en étant l’espace unitaire regroupant les gauches, principalement extra-institutionnelles bien qu’il y ait en son sein des secteurs minoritaires de MORENA malgré la posture démobilisatrice d’AMLO, reflète également l’insertion sociale limitée de la gauche. Si la posture d’AMLO et de MORENA n’affaiblit pas la Convention en soi, elle affaiblit le processus de confrontation avec le régime en se marginalisant de ce dernier dans la conjoncture actuelle. L’idée que l’unité la plus large et sans exclusivité devait être recherchée (ce qui représentait un appel en direction du mouvement de López Obrador) est un des acquis de la Convention d’Atenco. La position actuelle de MORENA et d’AMLO a pour effet d’introduire des tensions et des différenciations internes dans le mouvement de la Convention, principalement à cause de l’importance prise, depuis le retrait de MORENA, par les positions sectaires et intolérantes. Des difficultés similaires ainsi qu’une certaine confusion provoquent un reflux relatif du mouvement « je suis le 132 », qui a eu une importance fondamentale dans l’apparition de la Convention. Dans le déroulement du plan d’action jusqu’au 1er décembre (qui comporte des moments très importants comme la lutte contre la réforme de la loi sur le travail ou la mobilisation du 2 octobre) il est nécessaire de préserver et de renforcer la vitalité et l’unité du mouvement. Il conviendra, au cours de la troisième assemblée de la Convention qui se tiendra en décembre, de redéfinir le programme et la stratégie du mouvement en vue d’une lutte de plus long terme contre le régime et le néolibéralisme qui puisse ouvrir la voie à l’apparition d’un mouvement national d’opposition. Comme nous le voyons au cours des journées de luttes contre la réforme de la loi sur le travail, il n’est pas à exclure que le mouvement des travailleurs puisse jouer un rôle renouvelé au côté du mouvement étudiant. Le renforcement de cette dynamique représente un défi et offre la possibilité de voir se modifier le rapport de force et d’élargir le champ des possibilités politiques. Dans ce contexte, la proposition du SME et de l’OPT de créer une nouvelle centrale des travailleurs peut jouer un rôle central. La troisième assemblée de la Convention devra préserver et amplifier son caractère de front unique, tout en offrant des perspectives pour la poursuite de la lutte après le premier décembre. L’extension géographique de la lutte et de la Convention peut être renforcée par la création de Conventions dans les états de la République.
4. La séparation d’AMLO du PRD (et des partis de la Coalition Progressiste) représente un fait contradictoire. D’une part, comme nous l’avons déjà dit, elle affaiblit la lutte contre l’élection imposée d’EPN en canalisant l’énergie sociale de MORENA vers la discussion organisationnelle, alors que d’un autre côté, l’aspect indéniablement positif de cette rupture avec le PRD est d’accentuer la crise d’une organisation bureaucratique qui a légitimé EPN et de briser son l’hégémonie comme supposée représentation unique de l’ensemble de « la gauche ». Finalement, la rupture d’AMLO avec le PRD a bien eu lieu, même si c’est à la manière civilisée et « amoureuse » qui caractérise dernièrement Lopez Obrador. Cette manière de rompre, bien que « civilisée » et qui laisse correctement la porte ouverte à de futurs accords conjoncturels, ne contribue pas à la clarification du sens de cette rupture. L’adieu au PRD est le produit de l´éloignement et de la rupture rendu inévitable par les différends apparus et les trahisons du PRD depuis 2006. A cela, il convient d’ajouter les différends qui se sont révélés au cours de la lutte pour la défense du pétrole en 2008, la ligne d’alliance avec le PAN en 2009 et la campagne électorale dans l’état de Mexico. Cette rupture ne pouvait se formaliser par l’apparition d’un nouveau parti, étant donné les réformes du COFIPE votées conjointement par le PRI, le PAN et le PRD qui rendaient impossible la légalisation de nouveaux partis avant les élections de 2012. Cet événement vient confirmer l’analyse faite par le PRT depuis les Congrès de 2009 et 2010, qui affirmait que nous entrions dans une période de crises qui déboucherait sur un processus de réorganisation de l’ensemble des forces politiques, sur la disparition et l’apparition de nouveaux partis. L’idée que le PRD a tenté d’imposer, depuis sa fondation en 1989, à savoir que lui seul représentait l’ensemble de la gauche est maintenant délégitimée par sa perte de prestige grandissante. Il est aujourd’hui évident que le PRD ne représente pas à lui seul la gauche. Il fait partie de la gauche institutionnelle (fonctionnelle au système) et représente, sur ce terrain, une des options de cette dernière à laquelle s’ajoutera probablement bientôt MORENA transformé en parti. MORENA et AMLO représentent un autre courant politique. A ce titre, il est totalement légitime qu’ils luttent pour leur reconnaissance et l’affirmation de leur identité propre. Le caractère légitime de cette recherche de reconnaissance s’applique également aux courants ne faisant pas partie de cette gauche institutionnelle, comme les organisations de travailleurs du type de l’OPT, la gauche socialiste comme le PRT ainsi qu’à d’autres courants comme par exemple les zapatistes et les anarchistes. La réponse du PRD qui propose la création d’un parti de type « frente amplio » dans le but qu’il n’y ait pas plus d’un parti « légalisé » (bénéficiant de la reconnaissance juridique) est inacceptable. Cette proposition élèverait encore le niveau d’hétérogénéité programmatique du PRD, le règne du pragmatisme électoral de l’opportunisme et du clientélisme.
5. MORENA n’est pas notre parti. Depuis le Congrès du PRT, célébré en 2010, nous avions envisagé de soutenir la candidature présidentielle d’AMLO en 2012, car celle-ci offrait la possibilité d’une confrontation politique avec le régime politique néolibéral. Nous avions par conséquent laissé ouverte la possibilité d’une participation à la campagne au sein de MORENA en y apportant nos critiques et propositions politiques. C’est ce que nous avons fait en divers lieux avec plus ou moins de succès. Mais la participation à une campagne électorale portée par MORENA ne revient pas au même que d’être partie prenante d’un projet partidaire. MORENA, en tant que force politique, partage la vision stratégique du PRD qui questionne certains aspects du néolibéralisme, et fait sienne une perspective sociale libérale ayant cours dans d’autres expériences de gauche en Amérique Latine et dans le monde. La composition pluriclassiste de MORENA l’empêche d’abandonner cette perspective politique. Au cours de la campagne électorale nous avons évalué la formation autour d’AMLO d’un large pôle pluriclassiste, qui représentait l’émergence d’un bloc social alternatif à celui de l’oligarchie néolibérale, dont les politiques antipopulaires tendaient à l’isoler socialement et politiquement. Cet isolement social d’un petit et fortuné groupe oligarchique se traduisait par la migration de groupes d’entrepreneurs et de secteurs de la bourgeoisie vers l’opposition politique regroupée autour de la candidature d’AMLO. A nouveau, cette dynamique de croissance de la campagne électorale d’AMLO sur ce terrain est explicable. Cependant, la création d’un nouveau parti, d’une autre force politique ayant pour base ce bloc pluriclassiste (qui s’il ne parvient à incorporer l’ensemble des entrepreneurs ayant participé à la campagne leurs réserve cependant une « chaise » sur le terrain programmatique, même si – comme le disait Trotsky -ce n’est que l’ombre de la bourgeoisie qui y prend place) marque définitivement le caractère du nouveau parti, comme entrant dans le cadre du système capitaliste, bien que critique du système politique actuel. Dans le cadre de la réorganisation des forces politiques et de la crise actuelle, notre option ne peut pas être celle d’un parti pluriclassiste. Notre choix doit au contraire se porter sur une alternative classiste comme celle représentée de manière embryonnaire par l’OPT, qui ouvre la voie à la possible création d’un parti des travailleurs. Cette alternative radicalement différente ne peut pas faire partie des options débattues dans le prétendu débat interne de MORENA, ni dans la discussion sur l’alternative entre parti ou mouvement, car ces deux positions partagent une même base programmatique et parce qu’il n’existe pas de réelle discussion démocratique entre des positions qui seraient différentes dans la phase préparatoire du Congrès de MORENA. Comme il est fréquent de l’entendre au sein du mouvement contre l’élection imposée d’EPN et dans l’espace médiatique, mais également au sein de MORENA, la principale critique portée, de manière erronée, au PRD n’est pas liée à son caractère et à son programme mais porte sur l’existence des « tribus » en son sein. Il est prévisible qu’au cours du processus organisationnel de MORENA s’impose l’idée que le nouveau parti sera « différent » du PRD car il ne permettra pas l’existence de « tribus », courants ou groupes. La manière de poser le problème est contradictoire car AMLO a lui-même annoncé que le Congrès de MORENA devra choisir entre deux positions : se constituer en parti politique ou se maintenir comme mouvement. Au cours du Congrès ces deux options seront défendues par trois textes défendant l’option partidaire et trois textes défendant l’option mouvementiste. La confusion qui assimile les « tribus » du PRD à des courants politiques, alors qu’ils sont en réalité des groupes d’intérêts, amène bien souvent à la conclusion antidémocratique que c’est le droit d’organiser des courants politiques qu’il faut supprimer. Ces éléments rendent donc impossible la participation aux congrès préparatoires de MORENA pour ceux qui défendent une position alternative et qui représente une option partidaire différente à celle en construction. De plus, une participation aux travaux préparatoires du Congrès engagerait bien entendu ceux qui y prennent part.
6. Il est nécessaire de renforcer l’OPT comme projet de constitution d’un parti des travailleurs. Dans le débat actuel, il est plus facile et compréhensible de défendre l’option d’un parti de type classiste en partant de l’expérience en cours de l’OPT, laquelle a surgi à l’initiative du secteur le plus conscient de la classe travailleuse mexicaine en lutte, à savoir le SME. Comme il est signalé dans les premiers bilans de l’OPT, la jeunesse de l’organisation et le fait qu’elle ait dû participer dès sa fondation à la campagne électorale présidentielle ne lui ont pas laissé le temps nécessaire pour se consolider ni pour clarifier son profil politique. Le prochain Conseil National de l’OPT, qui se tiendra en octobre, sera donc décisif car, comme il est normal, il existe un débat interne autour des perspectives et de l’option que représente l’OPT dans le contexte de la crise actuelle. De manière compréhensible, il existe au sein de l’OPT des « échos » des positions présentes au sein du PRD et de MORENA, qui pourraient remettre en question le sens originel de la proposition du SME de créer l’OPT. L’idée d’un « parti mouvement » qui s’exprime au sein de l’OPT a des similitudes avec l’idée d’un « parti front large » présente au sein du PRD ou d’un « parti mouvement » duquel serait absentes les définitions idéologiques « dogmatiques » et qui s’apparente à la proposition pluriclassiste d’AMLO pour MORENA. Au sein du PRT, nous avons insisté sur l’importance de ratifier et de repositionner l’OPT dans la perspective de la création d’un parti des travailleurs. Ce point de vue est également partagé par des camarades représentant d’autres courants organisés au sein de l’OPT. C’est cette orientation qui marque notre différence avec d’autre courants de gauche, principalement institutionnels, et défendant une option pluriclassiste. La nécessité de construire l’OPT comme une organisation démocratique et pluraliste ne doit pas aboutir à l’ouvrir à une perspective pluriclassiste. Il faut maintenir et développer encore plus si nécessaire l’existence de courants politiques, comme cela est accepté et pratiqué depuis la fondation de l’organisation il y a un an. Ces débats et ceux qui viendront confirmeront, à condition que l’OPT parvienne à se renforcer dans d’autres secteurs de la classe travailleuse, la validité de la posture qui défend l’existence de courants ainsi que la nécessité de la présence du PRT et de son programme au sein de l’OPT. Pour parvenir à ce que l’OPT représente une option politique dans le contexte de la crise actuelle, il est indispensable de ratifier et de confirmer la perspective de l’OPT comme un parti regroupant largement les travailleurs et leurs organisations. Il sera difficile, s’il en est autrement, d’offrir une perspective de regroupement politique large dans l’actuelle période de réorganisation des forces politiques. L’option politique représentée par le PRT doit également être déployée, mais une alternative de regroupement plus large est rendue nécessaire par la dimension des forces impliquées.
7. Les défis et les tâches du PRT sont nombreux dans le contexte de la crise et de la recomposition actuelle. En premier lieu sur le terrain politique avec les analyses que nous diffusons. L’OPT doit saisir l’opportunité d’intégrer des militants politisés au cours des luttes et des mouvements récents. Le PRT a également la possibilité de se renforcer et de croître au contact de nombreuses et nombreux camarades de lutte politisés et dotés d’expérience politique en recherche d’une alternative militante qui défende le programme socialiste, révolutionnaire, internationaliste, féministe, éco socialiste et démocratique. C’est pour cela que nous avons besoin d’avancer rapidement dans l’organisation du parti. Parmi les tâches urgentes, citons le recrutement, le fonctionnement des cellules et des organismes de base, le paiement de cotisations qui garantissent le financement des activités du parti, la publication de Bandera Socialista, et des documents de formations et d’analyses politiques. Il n’est pas possible d’aborder toutes ces questions organisationnelles en détail au cours de cette réunion du Comité Central, ni d’élaborer un plan général. Pour cette raison, l’organisation d’une Conférence Nationale d’Organisation est nécessaire, avant la tenue de l’École de Cadres qui se tiendra en décembre, mais après les journées de luttes qui se déroulent actuellement et qui auront le 1er décembre pour point culminant. Le Comité Central charge le Comité Politique de la préparation et de l’appel à une Conférence Nationale d’Organisation pour décembre de cette année, à la veille de l’École Nationale de Cadre et de la tenue du XIII Congrès National du PRT l’année prochaine.
Mexico, D.F. le 29 septembre 2012
Comité Central du PRT