Temps d’automne. Athènes et ses environs ont renoué avec la pluie et les orages le week-end dernier, et dès ce lundi, nous voilà sous la pluie des mesures encore nouvelles, celle-ci ininterrompue depuis 2010, c’est dire, le premier Mémorandum de ce conférencier de luxe nommé Papandréou. Inlassablement, les médias énumèrent ces mesures, en rajoutent dans la dramatisation, c’est ainsi que la cadence de l’état de choc semble et devient de fait, sans fin.
Les médecins hospitaliers du pays se mettent progressivement en grève, en commençant par Athènes, tout comme les magistrats, ainsi que les enseignants, ces derniers se contentant des brefs disons débrayages et de leur participation timide à la grève que l’on espère authentiquement générale, annoncée par les syndicats (à la fois du secteur privé et du secteur public pour le 26/09). Entre-temps, et nous venons de l’apprendre ce midi, il va falloir travailler deux années supplémentaires pour espérer à une retraite, et les retraites actuelles, seront encore une fois amputées, y compris les plus élémentaires. Puis, on s’achemine vers la suppression progressive du seuil d’imposition, alors, tout le monde sera imposé du premier euros, en tout cas tout le bas monde, à part les citoyens authentiquement aisés, les amis du gouvernement et les... hétéronomes de dieu, c’est à dire, l’Église et les monastères, avec ou sans offshore d’ailleurs.
Plus qu’ailleurs à travers le pays, les athéniens ont le regard vide, hébété, ahuri. C’est d’autant plus flagrant dans le métro, où les passagers présentent des symptômes psychosomatiques apparents, graves et répétés dans l’indifférence totale, ou plutôt par habitude. Tout comme la multiplication des sans-abri et des mendiants de tout âge et origine, et on s’y fait aussi. N’empêche, et à contre-courant, certains « inter-comités locaux et régionaux œuvrant dans la solidarité sociale active et humaniste, répondront à l’appel de la Gauche radicale (SYRIZA), se réunissant jeudi prochain à l’École Polytechnique dans le but de coordonner, de réorganiser et d’étendre leurs actions.
Un des buts recherchés est d’ailleurs l’autonomie politique et financière des structures existantes, pour sortir le cas échéant, de la logique des subventions. Et il ne s’agit pas de se substituer à la défaillance délibérément organisée de l’État social, mais de faire bouger la société par elle-même » (journal Avgi, proche de SYRIZA, 16/09). Le mot d’ordre semble déjà lancé par Alexis Tsipras lui-même, lors de son discours de Salonique (en résumé) samedi (15/09) : « Nous ne réclamons pas l’organisation de nouvelles élections, je ne serai pas non plus le sauveur du pays, car c’est le peuple qui doit bouger avec nous, pour que nous sortions le pays de la longue nuit mémorandaire dans laquelle il est plongé.
Et nous ne pouvons pas promettre le prochain miracle, car pour tout dire, nous n’avons pas la baguette magique et je vous explique pourquoi : dans le cas de figure où les nouvelles mesures passent au Parlement et surtout s’appliquent de fait, supposons en plus que le gouvernement tienne, mon discours de l’année prochaine ici à Salonique ne pourra plus contenir, ni les mêmes arguments, et encore moins, se référer au même programme gouvernemental car la destruction de la société aura introduit une réalité encore plus cauchemardesque (...) » (Avgi, 16/09), du moins, nous avons l’impression qu’Alexis devient prudent, évitant la démagogie et la précipitation.
Certes, SYRIZA vient de faire reculer le gouvernement Samaras sur un (grand) détail, mais ô combien symbolique, à savoir, la « clôture [« bouclage »] de l’affaire Siemens et de son scandale homonyme par une loi d’amnistie dont la présentation à l’examen parlementaire était prévue pour la semaine dernière. SYRIZA, ayant demandé et obtenu le vote nominatif des députés, il a porté un coup fatal au projet qui fut ainsi retiré dans la précipitation. C’est le gouvernement lui-même, s’étant ainsi retrouvé exposé à la désaffection de ses propres députés, qui a retiré le projet de loi, tout en demandant l’avis au conseiller juridique du Premier ministre [Antonis Samaras] Christos Karakostas, lequel fut rémunéré comme on le sait, par les caisses noires de Siemens (sic) » (Avgi, 16/09). D’ailleurs, l’hebdomadaire satyrique To Pontiki, croit savoir, depuis ce printemps (et à travers ses reportages), que « la chancellerie à Berlin aurait expressément exigé auprès des politiciens mémorandistes de la [méta]Grèce, la fermeture définitive du dossier Siemens, si possible rapidement », je préfère ne plus commenter... la corruption serait également la continuation de la politique et de la guerre par d’autres moyens, au demeurant moins coûteux.
La... morale règne, celle du méta-capitalisme en tout cas, sans doute plus proche de « l’état de nature » des êtres individualisés et privatisés, en grec les idiotès, c’est à dire des idiots, que de quelconque morale humaniste. Cette dernière, considérée comme étant d’abord « naturellement » (et sincèrement) de gauche selon certains, et ensuite plus globalement, issue évidement de l’Occident de la Renaissance. Dans un sens, cet humanisme fut finalement contenu dans esprit du capitalisme « classique »... mais plus maintenant, décidément, dans quelle époque vivons-nous ? « Vie, où es-tu » peut-on lire sur un mur d’Athènes en ce septembre 2012. Et nous nous creusons la tête, d’abord pour ne pas mourir de faim, ensuite pour ne pas tomber malades ni... devenir fascistes (c’est selon), et enfin, pour (s’) analyser, comprendre et agir ! Vaste programme... essorage compris !
Ce matin, j’ai emmené en voiture mon ami chômeur à son rendez-vous car depuis son hospitalisation certes brève, et ses crises à répétition, il n’est plus en mesure de prendre les transports en commun. Il va peut-être retrouver son poste, à 100% déclaré et... à 50% de son dernier salaire, pour la même charge de travail : « Je ne peux pas faire mieux, déjà nous ne savons pas combien nous allons encore tenir », lui expliqua son probable futur employeur. Pour me remercier, mon ami a insisté pour régler mon feuilleté au fromage et un simple espresso, trois euros et trente centimes pour la toute petite histoire économique. On s’en souviendra, tout comme des drachmes, dont certains billets sont fièrement exhibés dans une boutique place de la Mairie à Athènes.
« Nous subissons une mutation radicale – pense-t-il mon ami. S’y préparer à la faim et à sa propre fin n’a plus rien de symbolique et dans un sens, ni de gauche ni de droite. À défaut d’autres moyens de subsistance, j’irais me faire nourrir à la première soupe populaire du quartier, Église ou Aube dorée comprises. Le discours théorique de la gauche, issue des trente glorieuses est devenu un véritable corpus de legs caducs. SYRIZA semble avoir compris un peu de quoi (en) est-il question et encore...
Le capitalisme, c’est à dire son épiphénomène de la démocratie bourgeoise comme on disait jadis, est renversé par le méta-capitalisme des banques. Déjà la Gauche devrait se donner clairement comme objectif la restauration d’un certain capitalisme de-mondialisé... pour l’avenir dit socialiste et les autres utopies qui nous tenaient au chaud pendant que la finance rongeait tout sous le canapé de notre salon, les générations suivantes iront (se) démêler les pinceaux, sinon les Aubedoriens feront leur boulot, ou peut-être bien celui des banques, qui sait. Le système est en train d’orchestrer merveilleusement leur promotion et c’est déjà un fait indéniable... Mais je n’irai pas aux manifestations du 26, je n’en peux plus.
Avant-hier, me rendant à l’hôtel des impôts pour me faire rembourser un trop perçu de 2.000 euros au bénéfice de l’État (en considérant ma situation de chômeur)... madame la fonctionnaire s’est même moquée de moi : “Ah vous êtes chômeur, et pourquoi êtes-vous propriétaire de deux biens immobiliers ?“, sa collègue m’a expliqué qu’elle est si désagréable car son nom figure sur la liste des départs par cette “mise sous réserve forcée“ de la Troïka, une sorte de préretraite, donc elle s’en fiche encore davantage de nous. On m’a dit de revenir le lendemain. Hier, la “réserviste“ ne s’est pas rendue au travail. Sa directrice “ne pouvant pas reprendre mon dossier“ m’a incité à revenir après le 30 septembre. Justement après le 30 septembre, son hôtel des impôts n’existera plus, car il sera fusionné avec celui du district voisin, donc autant... me rendre plutôt à un asile d’aliénés.
L’État grec en réalité, cesse tout paiement à l’intérieur du pays, hormis les salaires des fonctionnaires et les retraites. D’ailleurs, les politiciens ont tout fait pour éviter jusque là, les licenciement dans la fonction publique, histoire de préserver leur administration à 70% clientéliste. Les résultats des élections de juin ont d’ailleurs validé cette politique. Au même moment, nous autres employés du secteur privé nous avons tout perdu, et accessoirement, la Gauche ses arguments. Non camarades, il est impossible de faire la moindre grève dans un pays où la moitié des gens connaissent au chômage. Je ne défends pas les fonctionnaires comme cette dame mais je défends l’idée du service public, dans le sens de sa ré-fondation, débarrassée du clientélisme. Au contraire, ce que la Troïka présente comme étant la ré-fondation de la fonction publique, est en réalité sa mise à mort... après la notre en tout cas... Mais ne perdons pas tout espoir... »
Effectivement ne perdons pas tout espoir, des militants se revendiquant du mouvement Spitha (Étincelle) de Mikis Theodorakis, ont écrit sur l’arbre de Dimitri place de la Constitution : « Nous ne t’oublions pas », c’était la semaine dernière. Mais il y a aussi d’autres... militants dans ce pays : Samedi dernier un militant d’extrême-droite est décédé, suite à ses blessures. Il préparait un engin explosif dans sa région de Sparte, et l’engin lui explosa entre les mains. C’était le 31 août dernier, mais les médias n’ont pas fait vraiment écho de cette nouvelle. « Paradoxalement - note le journal de gauche Avgi - la police qui en pareils cas, lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les poseurs d’explosifs, issus ou prétendument issus de la mouvance anarchiste ou gauchiste, fait appel à son unité anti-terroriste, est devenue pour une fois, fort discrète » (Avgi, 16/09).
À l’orage des mesures annoncées ce midi, s’ajoute l’orage... naturel de l’après-midi (17/09). Sans électricité depuis trente minutes déjà à cause de tous nos orages confondus, je dois interrompre l’écriture de ce billet... décidément de saison, car la batterie de mon notebook, vieux de quatre ans, arrive à son épuisement !
Électricité revenue enfin, nous voilà de retour, comme durant les années de notre enfance que nous avons tendance à idéaliser de plus en plus. « Tout était beau, simple, clair, c’était avant la contamination, avant la mondialisation, avant l’immigration » on entend ici ou là. Cela se nomme le syndrome de la nostalgie (camarades ou pas), le cas échéant, celui de Stockholm en plus. C’est à juste titre que Costas Voulgaris, note à propos de son expérience vécue lors d’une fête « traditionnelle » cet été dans le Péloponnèse, « que la tradition retrouvée dans la manière d’exécuter les morceaux et les danses s’éloignant du lifestyle, répondrait à un besoin nostalgique tourné vers un passé mythique et “sain“. Sauf que la nostalgie, lorsqu’elle devient moteur social, c’est la porte ouverte à toute sorte de tératogenèse et de déviance » (Avgi, 16/09).
C’est vrai que j’ai eu l’écho... ethnographique d’une fête « populaire » d’il y a une dizaine de jours sur l’île d’Astypalaia où « les gens, ne dansent plus comme avant, et ils changent de style, deviennant alors plus graves ou plus simples », selon les dires des participants. Pourtant, le lifestyle sait encore porter et se porter vers le spectaculaire avec son habituelle légèreté insoutenable. D’autant plus, que cet après-midi, dans une émission télévisée dite people, il était question du deputé Aubedorien Kassidiaris, et de sa potentielle (et... finalement porteuse), relation amoureuse avec l’athlète exclue des J.O. de Londres pour un tweet contenant certains propos racistes. C’est un pas supplémentaire vers une certaine banalisation, qui d’ailleurs n’a pas attendu les émissions people pour faire... vibrer un certain peuple. À gauche, on s’en rend tout juste compte et déjà, on s’y intéresse dans la mesure où on se dit de plus en plus que la lutte contre les Aubedoriens ainsi que la rhétorique adéquate, devraient se réactualiser. Il y a urgence.
Comme ailleurs aussi dans notre pays. On vient d’apprendre ainsi d’après l’UNICEF, que huit enfants sur dix, dont les parents relèvent du chômage, ne suivent plus aucun programme de vaccination, tandis que les femmes enceintes, pratiquent de moins en moins d’examens préventifs, pourtant indispensables. C’est ainsi que sur cent mille naissances, on enregistre pratiquement mille décès parmi les nouveau-nés, ce qui n’est pas un record bien enviable (reportage – radio Real-FM, 17/09).
Le système de santé n’est plus un système on le vit tous les jours. Me rendant dans un hôpital la semaine dernière, j’ai pu observer que la situation devient intenable, les patients font la queue dès 5h du matin devant les grilles de son portail pour espérer décrocher un bon numéro, et se faire examiner ensuite dans la journée. Dans un autre dispensaire de la Sécurité sociale, un médecin refusa la délivrance d’un certificat après examen, à un ami qui souhaite s’abonner à la piscine municipale, par miracle encore ouverte : « passez me voir plutôt dans mon cabinet privé », fut sa réponse, prix de la consultation 50 euros. L’ami ira se faire examiner au dispensaire municipal, l’acte est gratuit.
Heureusement que de nombreux dispensaires municipaux ou assimilés, proposent de la médecine gratuite, ce qui nécessite désormais une certaine coordination entre eux pour mieux répondre aux besoins en soins d’une population ou potentiellement un tiers des habitants de ce pays, soit ne sont plus assurés sociaux, soit ils n’ont plus les moyens pour faire face, aux dépenses adéquates. Parmi eux, ceux qui souffrent du cancer ou du diabète deviennent des figures emblématiques de cette (autre) nouvelle guerre. Et pour eux déjà, la nostalgie n’y peut plus rien.
Certaines revues vendues en kiosque, font la promotion des Waffen SS, d’autres de Santorin, à deux pas des vendeurs de fruits, car finalement tous nos fruits seraient... frais, comme l’air du temps. L’automne, et nos chats se bagarrent nuit et jour en ce moment...
Panagiotis Grigoriou
P.S. : Ce matin tôt (18/09), un homme âgé de 34 ans, commerçant, s’est suicidé à Istiéa sur l’île d’Eubée, il s’est jeté du toit de son immeuble. Un peu plus tard dans la matinée, un autre homme, âgé de 49 ans, a succombé à un arrêt cardiaque sur son lieu de travail à Héraklion en Crète. Il venait d’apprendre... son licenciement.