Août nous a quittés et avec, ses débris et ses deux lunes, dont la lune bleue du vendredi (31/08)... très recherchée à travers notre quête de l’éphémère. Les historiens du futur devront littéralement déblayer ou fouiller dans le sable, pour enfin exhumer le véritable sens de ce terrible été 2012 et encore. Vendredi dernier donc, nous nous sommes rendus entre amis au Cap Sounion pour la pleine lune, pour le temple de Poséidon, mais aussi, pour le concert organisé sur la falaise à proximité du site.
Trois interprètes de la chanson grecque recherchée et pour une fois, harmonieuse avec les coordonnées géodésiques et célestes, de la poésie mise en musique. Il y avait du monde et pas uniquement pour le concert finalement tant apprécié par tous, surtout que l’entrée fut libre car son coût fut assuré par la municipalité de la Ville de Lavrion avec la participation de la radio-télévision publique. Donc l’austérité n’a pas complètement anéanti nos... velléités culturelles. Ailleurs par contre, en Thessalie par exemple, la municipalité de Trikala a annulé « sa » soirée musicale de la lune bleue par manque de moyens, ses administrés attendront sans doute des lunes meilleures.
Les touristes, aussi émerveillés du Cap Sounion hier (vendredi) soir, garderont sans doute un bon souvenir de notre pays et de sa crise combattue par la poésie et la musique, même si, il n’ont vraisemblablement pas pu comprendre l’appel d’une des chanteuses, Tania Tsanaklidou (célèbre en Grèce) : « Il faut (se) tenir par temps de crise par la poésie et la chanson [...] Nous nous trouvons dans l’abime en chute libre et nous attendons enfin la chute des autres pays pour au moins ne pas nous trouver seuls » (je cite de mémoire). Les touristes mais aussi des Grecs, n’ont sans doute pas remarqué non plus, un autre « micro-événement » sur la rocade des bords de mer à la hauteur de la localité d’Anavysos : l’illumination et la fébrilité autour et devant les locaux de l’Aube dorée, inaugurés depuis juillet. On peut parfois s’endormir sous la lune bleue et ses comptines, puis... se réveiller sous une autre Aube, au point où nous en sommes... nous devons en prendre garde.
Retrouvant le centre-ville de la fin Août, j’ai pu déjà constater que pour cette « rentrée » 2012, la circulation reste pourtant très fluide, et des immeubles entiers de plus en plus nombreux, sont mis en vente. À deux euros le litre d’essence, c’est sans doute une variante de la décroissance qui s’annonce et dont même Serge Latouche (rencontré à Athènes au printemps 2011), ne l’aurait pas imaginée aussi soudaine, et nous y sommes. À pratiquement 30% de chômage officiel (1,5 million de chômeurs) et une désarticulation telle de l’économie (encore) réelle, nos préoccupations... inhérentes à toute herméneutique du futur sont vides de sens. Supposons en guise de réconfort, que le vide originel des anciens soit toujours synonyme de Chaos. Certains enfin, se posent la question de la nécessité économique de tous ces capitaux en déperdition, les infrastructures, le bâti, le littoral surchargé, les appartements et les boutiques vides, les autoroutes inachevées ou délaissées. Sauf que l’auto-questionnement curatif concerne davantage les déclassés sociaux que les possédants.
Samaras, le « Premier ministre » qui prétend toujours que la croissance nous attendrait au prochain virage, s’est baladé samedi matin au centre-ville d’Athènes, accompagné de son ministre de l’Intérieur pour finalement constater de concert « que la situation est réellement préoccupante », sous-entendu, l’immigration. Au centre-ville également, Samaras le pharmacien (un simple homonyme), fait vraisemblablement partie de ces praticiens de la santé dont notre vaste État doit encore des millions d’euros. Une faillite en interne, un territoire sans masse monétaire et déjà un tiers des crédits immobiliers en défaut selon la presse économique de la fin Août. Même des immeubles abritant des agences bancaires font dans le... constructivisme inachevé, qui l’aurait cru ?
Ce qui frappe aussi au centre-ville sont les mendiants, encore plus nombreux et encore plus « insistants » qu’avant l’été, y compris à l’intérieur le métro. Je vois pourtant depuis des mois que nos « paliers humains » de la dégradation peuvent aussi parfaitement s’ignorer. Devant le siège de la Banque Postale, les employés protestaient vendredi matin pour dénoncer la privatisation (la « vente » à un prix symbolique) de leur établissement, d’ailleurs, c’est récemment ce même sort qu’a connu le Crédit Agricole (grec). Des protestataires qui dans une ambiance « bon enfant » se donnent rendez-vous pour le 8 septembre à Salonique, une façon de cristalliser et de canaliser le mécontentement à l’occasion de la Foire commerciale annuelle. Il s’agit d’une exposition jadis importante et toujours jadis, lieu où chaque Premier ministre prononçait un discours-cadre sur sa politique économique. Mais depuis l’avènement du cadre mémorandien, Salonique en Septembre devient aussi un passage obligé de la protestation (de gauche et syndicale), sauf qu’il y a à craindre que la... Gauche et les syndicats à Salonique ressembleront à... Pauline à la plage en son temps !
Nos « paliers humains » de la dégradation peuvent donc s’ignorer, la preuve : pratiquement sur le trottoir d’en face (de) la manifestation des agents de la Banque postale, un mendiant à moitié caché par une moto garée passait totalement inaperçu. Son monde d’après ne croise plus celui des grévistes menacés, et son regard, visiblement détaché de tout, n’est plus celui des citoyens qui revendiquent encore quelque chose, ou qu’au moins, ils ont le courage et les ressources pour en faire semblant. L’autre monde croisé samedi matin sur un même trottoir du quartier, devenu ainsi encore plus étroit que d’habitude, fut celui de ce jeune homme paradant, son teeshirt estampillé « Tous ceux qui ne sont pas Grecs sont des Barbares » fièrement exhibé, ainsi que son chien heureusement encore tenu en laisse, un imposant rottweiler, voilà pour la « culture de guerre » des Aubedoriens qui préfèrent ignorer le véritable sens et le contexte historique des mots et des phrases (sur cette phrase connue des apostrophes antiques Cornelius Castoriadis avait entre autres apporté son analyse éclairante). D’ailleurs la polémique sur les les teeshirt de l’Aube dorée prend de l’ampleur sur la blogosphère depuis quelque jours car ils « seraient alors fabriquées en Turquie », info ou intox, personne ne sait vraiment mais au moins cela fait rigoler pas mal de monde.
En tout cas, certains s’imaginent que « the Greek Palikare », ce... digne descendant des soldats de l’armée grecque combattant les Turcs pendant la guerre d’indépendance, exercera toute sa... violence virile sur l’U.E., comme le suggère explicitement un graffiti-dessin sur un mur athénien. À part constater l’insoutenable force de certains stéréotypes, on peut aussi se poser la question de fonds sur la légitimation (restante) des instances européennes et pas qu’en Grèce finalement. Et pourtant même en Grèce, il-s’agit d’un débat devenu presque interdit.
L’Et voilà que nous attendons la visite de la Troïka encore cette semaine. Les médias se focalisent « sur les nouvelles mesures annoncées et les problèmes à la cohésion gouvernementale ». Le journaliste Georges Trangas a retrouvé les micros de la radio Real-FM ce mercredi 3 Septembre, ironisant comme il se doit sur l’anniversaire du PASOK fondé par Andéas Papandréou le Septembre 1974. Il s’est également posé la question rhétorique de la rémunération et du coût de « location » de l’orateur Georges Papandréou, fraichement réélu à la tête de la fantomatique Internationale « Socialiste », encore une mauvaise blague méta-historique de la « fin de l’histoire ». Trangas a rappelé la nouvelle rapportée par la presse grecque suivant laquelle, notre « petit Georges » serait désormais « loué » pour ses... qualités de conférencier par The Harry Walker Agency... « à 40.000 USD l’heure, buffet compris, qui paiera tant pour écouter ce Georges Papandréou ? » s’exclame le journaliste. En tout cas, pas Vassili Dimitrpoulos, syndicaliste connu et responsable de la branche Transport, au syndicat historiquement pro-Pasok, car il s’est suicidé chez lui à Athènes.
Il s’est tiré une balle dans la tête lundi 27 Août, et la nouvelle n’a pas été « exagérée » trop longtemps dans les médias, ni à travers notre affligeante blogosphère, comme au contraire, le moindre battement d’ailes... du papillon aubedorien. Les nouvelles des suicides, d’abord instrumentalisées par la dépression collective, orchestrée par la doctrine du choc via les médias, sont bannies d’antenne, des micros et du langage html désormais. Et il n’y a pratiquement plus un seul jour, sans que la photographie ou la caricature de Madame Merkel ne soit affichée à la « Une » de « nos » journaux, mais on s’y fera avec le temps, comme pour toutes nos autres caricatures politico-médiatiques et comme notre propre pays et ses espaces sociaux et symboliques, devenus et au mieux, des caricatures.
C’est vrai que le suicide de l’autre Dimitri, le pharmacien, sous l’arbre de la Place de la Constitution le 4 avril dernier a failli faire basculer la sympathie (au sens étymologique du terme) bâbord et à gauche, notre bancocratie régnante n’a pas apprécié et depuis, elle agit en conséquence. Vendredi dernier, des étudiantes apparemment Scandinaves en groupe de travail, s’appuyant sur l’arbre et assises sur la pelouse jadis tâchée de sang, se préoccupèrent de leurs notes prises sur le monument et l’Acropole et splendide nouveau musée, c’est ainsi. Il y avait aussi un chien sur la place, mais ce n’était pas Loukanikos dont je n’ai de nouvelles depuis bien longtemps. Fin Août toujours, lors d’un concert consacré à l’œuvre de Mikis Theodorakis en présence du compositeur, au théâtre d’Hérode Atticus, construit au pied de l’Acropole, Mikis a voulu se faire photographier entre les deux chefs des partis de gauche, Alexis Tsipras (SYRIZA), et Aleka Papariga (KKE), sauf que leurs violons n’ont jamais été accordés.
Stamatis pense que pour la Gauche et surtout pour le KKE « c’est trop tard, je l’ai dit aux camarades du parti [KKE] bien que je ne sois pas encarté, vous avez laissé les fascistes de l’Aube dorée prospérer sur le terrain social, celui de l’entraide et de la solidarité, puis vous avez voulu ignorer les petites actions de réconfort quotidien au profit de la dite grande lutte du grand vide. Plus la désunion de la gauche et le mal est fait. Le système utilise les aubedoriens comme ailleurs d’autres groupuscules para-militarisés, aux Amériques par exemple, au KKE, ils ont fait comme si ils ignoraient l’histoire. Toute résistance est bonne à pratiquer à gauche, moi... je lutte comme je peux, après 42 ans de cotisations réelles, j’ai pris ma retraite en 2010, 1.600 euros par mois à l’époque sur quatorze mois. Actuellement, ma pension est réduite à 1.110 euros mensuels sur douze mois. J’y tiens à la vie encore, je ne possède que ce petit voilier, ma passion depuis plus de vingts ans, d’ailleurs il a été aimablement accepté en mouillage parmi les bateaux de pêche du coin, je n’ai jamais eu les moyens pour le mettre dans une marina. Même l’encre n’est pas motorisée, tu l’as bien vu, je la jette et je la lève manuellement [...] Ah oui, Petros a vendu son vieux Jeanneau de 31 pieds après les élections de juin. Mais... je n’ai plus de nouvelles de lui, tu sais je ne lui adresse plus la parole depuis qu’il m’a avoué avoir voté Aube dorée. Il a complètement démâté le bougre. »
Stamatis m’a invité à bord pour une petite sortie en mer hier dimanche. Par un vent du Nord de force 6 hier en Saronique, nous avons jeté l’encre sur la petite baie de l’île proche de Flevès, une ancienne base de la Marine nationale. Stamatis guette la météo pour prendre ainsi toujours la mer sans mettre en marche le moteur diesel de son bateau durant les traversées, un régal, faisant en quelque sorte dans une... certaine décroissance.
Septembre alors et on revient sur l’agression au couteau contre des ressortissants de l’Inde qui attendaient dans un abribus le 9 Août dernier. Les auteurs présumés du crime, finalement arrêtés par la police le 31/08, des « pallikares » locaux, ils auraient entre quinze et dix-sept ans selon la presse, et j’y ajouterais... le rottweiler en moins. Décidément, on y va tout droit... vers un été Indien !
Panagiotis Grigoriou