La victoire du 30 avril 1975 a mis fin à trente-cinq ans d’occupations et de guerres presque ininterrompues : invasion japonaise, reconquête française, escalade militaire américaine. Les guerres franco-américaines furent parmi les plus terribles tant par leur durée que par leur violence. Elles restent sans équivalents en plus d’un aspect. Le prix payé par les Vietnamiens en témoigne : des millions de morts, d’estropiés, d’orphelins, de personnes déplacées... Mais qui s’en souvient ? Revenant sur cet événement majeur, trois décennies plus tard, les médias français n’ont pas contribué à réveiller le souvenir d’un des conflits les plus dévastateur du siècle. Le devoir de mémoire s’impose pourtant à nous, en Asie comme en Afrique.
La solidarité internationale a joué son rôle dans la défaite des guerres franco-américaines, avec de belles pages d’histoire militante. Mais le mouvement ouvrier français ne saurait pour autant oublier sa part de responsabilité dans les épreuves subies en Indochine. A certains moments cruciaux, il s’est dérobé. Ce fut en particulier le cas après l’insurrection d’août 1945 : le Viêt-Nam proclame alors son indépendance ; le gouvernement français envoie un corps expéditionnaire assurer la reconquête coloniale du pays. Tout en protestant contre l’intervention militaire, le PCF décide de ne pas rompre la solidarité gouvernementale à cette occasion. Au nom de l’anticommunisme, les dirigeants socialistes défendent pour leur part une position « ultra ». Il en a coûté trente ans de guerre aux Vietnamiens.
On ne saurait surtout oublier les crimes commis au Viêt-Nam au nom des peuples —français puis américains— par les gouvernements et les états-majors. Le Viêt-Nam est devenu le bancs d’essai de nouvelles techniques et conceptions de la guerre contre-révolutionnaire. C’est déjà vrai pour la période française avec l’encadrement de la population, les ratissages, l’usage en grand des hélicoptères, le recours de plus en plus systématique à la torture : tout est bon pour briser le moral du « viet ». Les USA mobiliseront leurs immenses moyens industriels et scientifiques pour développer des armes de destruction massive (bombardiers B52, bombes de 500 kg ou à fragmentation, napalm et défoliants...) qui font des ravages parmi la population. L’aviation US a largué sur le petit théâtre d’opération indochinois deux fois plus de bombes que la totalité de celles utilisées durant la Seconde Guerre mondiale. Le Sud Viêt-Nam (le plus touché) a reçu « une tonne de bombes à la minute pendant trois ans » selon l’image du Washington Post (cité par Alain Ruscio dans le supplément de l’Humanité consacré à cette question).
L’industrie chimique est mise à contribution. En dix ans (1962-1971), l’aviation US a déversé cent mille tonnes de défoliants toxiques pour détruire cette végétation qui offre un couvert aux forces vietnamiennes. L’agent orange contient de la dioxine, particulièrement dangereuse. La guerre chimique menée par les USA provoque un véritable désastre tant en matière écologique que de santé publique : destruction des forêts de mangroves, empoisonnement des sols, présence de dioxine dans la chaîne alimentaire... Aujourd’hui encore, des enfants sont contaminés. Les spécialistes vietnamiens en étudient les conséquences : cancers (dont une leucémie), déficits immunologiques, malformations congénitales, atteintes du système nerveux...
Des Vietnamiens ont déposé plainte devant un tribunal de New York pour crime de guerre contre des firmes américaines (Monsanto, Hercules Inc., Dow Chemicals...). La plainte a été rejetée bien qu’en 1984, sept entreprises aient versé 180 millions de dollars à dix mille vétérans US. Mais une campagne de solidarité avec les victimes de l’agent orange est en cours : huit cent mille personnes ont déjà signé une pétition de soutien. (1) Un combat d’actualité.
(1) http://petitiononline.com/AOVN/. L’appel est publié sur ce site dans la sous-rubrique Vietnam (International)