Après une chute en 2008 (-3,7 %) et surtout en 2009 (-12,4 %), la production mondiale de voitures est repartie à la hausse en 2010 (+ 25,8 %) et 2011 (+3,2 %), atteignant le niveau record de 80,1 millions de véhicules. La nouvelle situation n’est pas la simple reprise de l’avant récession. La concurrence entre les groupes automobiles mondialisés, essentiellement nord-américains, européens et japonais, qui contrôlent toujours cette industrie, s’est encore aiguisée. Ces groupes ont vu leur chiffre d’affaires augmenter et ont restauré leurs profits. Pour préserver ces bénéfices, une profonde restructuration de toute l’industrie automobile est en cours. Elle est particulièrement violente : il s’agit de faire payer la crise aux travailleurs en transformant les rapports sociaux et en soumettant les syndicats ou en expulsant les trop insoumis des entreprises.
C’est un basculement géographique de la production que la crise a provoqué. Depuis 2010, plus de la moitié de la production est réalisée en Asie, et cela alors qu’en 2011 la production japonaise a chuté de 12,8 % à la suite de l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima.
Aux États-Unis, après un effondrement de la production depuis 2003 (et une chute de 34,1 % en 2009), la production a recommencé à croître dès 2010 (+35,4 %) et en 2011 (+11,5 %).
Europe, le maillon faible
En Europe, le secteur automobile « fait face à des surcapacités de production d’environ 20 % (…). C’est exactement le problème auquel étaient confrontés les États-Unis en 2007-2008. Mais, là-bas, les constructeurs américains ont fermé 20 % de leurs capacités et, maintenant, ils gagnent tous de l’argent », expliquait en mars Sergio Marchionne, patron de Chrysler-Fiat et président de l’Association de constructeurs automobiles européens [1]. Et il revendiquait une politique de l’Union européenne inspirée par le plan sidérurgie des années 1980, qui avait conduit à la liquidation de nombreux sites et finalement à l’effondrement de la sidérurgie européenne.
Carlos Ghosn, le PDG de Renault-Nissan, annonçait en avril : « Nous pouvons arriver à gérer nos surcapacités européennes à moyen et long termes si, et seulement si, aucun constructeur ne se lance dans une restructuration. Si un le fait, il forcera les autres à le suivre. » [2] Mais les deux constructeurs les plus affaiblis en Europe, PSA Peugeot-Citroën et General Motors (GM, Opel) ont déjà commencé les restructurations. En mars 2012, ils annonçaient une alliance stratégique. En juin, GM — qui a déjà fermé le site d’Opel à Anvers en octobre 2010, supprimant 2.400 emplois — programmait la fermeture de son site historique à Bochum (Allemagne) et envisagerait de vendre son usine de Strasbourg (France), tout en investissant pour doubler sa production à Sankt Petersburg, en Russie. PSA prépare la liquidation de l’usine d’Aulnay-sous-Bois et en même temps augmente la charge de la production à Poissy, deux sites en région parisienne (France). Il envisage d’arrêter les usines de Sevelnord, en France, et de Madrid, en Espagne.
C’est la volonté de réorganiser l’appareil de production dans le continent européen en mettant en concurrence les travailleurs de leurs divers sites et en brisant les syndicats qui ne sont pas prêts à se soumettre. Les surcapacités de production et l’uniformisation croissante des modèles produits permettent au patronat de jouer les sites les uns contre les autres, d’augmenter ou de réduire la production dans l’une ou l’autre des usines qu’il contrôle, d’utiliser le chômage partiel et les menaces de liquidation. Ainsi Fiat, après avoir profité des bas salaires et des horaires du travail plus flexibles en Pologne pour y fabriquer les petites voitures pour l’essentiel exportées, a menacé de fermer son usine à Pomigliano dans le sud de l’Italie si les syndicats n’y acceptent pas les conditions similaires, faisant en même temps miroiter la délocalisation de la production de son petit modèle Panda de Tychy (Pologne) à Pomigliano. Il ne s’agissait pas là d’une réduction des coûts de production immédiats, mais bien de la destruction des acquis sociaux de travailleurs. Après avoir réussi à imposer à Pomigliano la flexibilisation du travail et la réduction des salaires, Sergio Marchionne a remis en cause la convention collective dans l’ensemble des sites italiens de la Fiat, et surtout il a imposé un nouvel « accord », qui met en cause l’existence du principal syndicat, la FIOM-CGIL, dans les usines Fiat en Italie. En même temps il joue la diminution de la production à Tychy pour y casser les syndicats, forçant les salariés à se désyndicaliser. Après avoir transféré la production de la nouvelle Panda de Tychy à Pomigliano, il a commencé la production à Toluca (Mexique) de l’autre modèle produit jusque là seulement en Pologne, la Fiat 500.
Coordonner les luttes
Si les confrontations entre capital et travail traversent les frontières, si l’avenir des milliers d’emplois de constructeurs automobiles et des sous-traitants se joue à l’échelle mondiale, au cœur de groupes internationaux qui ne se souviennent de leurs racines nationales que pour demander les généreux subsides aux États conciliants, les réponses du mouvement ouvrier, qui reste enserré dans les frontières des États nationaux, s’avèrent inefficaces. La sortie de l’isolement des luttes est un enjeu décisif pour faire face aux offensives patronales. La multiplication des échanges entre les équipes militantes des différentes usines automobiles et sous-traitantes, entre les syndicalistes et les militants politiques, entre les réseaux est indispensable.
Ainsi, en décembre 2010, les militants du syndicat polonais « Août 80 » et ceux de l’organisation anticapitaliste italienne Sinistra critica, ont pris l’initiative d’une rencontre à Turin et ont participé ensemble au meeting de protestation organisé par les syndicalistes de la FIOM devant l’usine Mirafiori [3]. Alors, à Tychy comme à Turin et à Pomigliano les travailleurs de Fiat s’opposaient aux attaques de Sergio Marchionne, en Serbie une lutte était en préparation et les conditions d’une grève commune pouvaient être réunies. Mais la routine syndicale, les habitudes, l’enfermement national des expériences syndicales ont prévalu, la FIOM a organisé une mobilisation limitée aux journées de grève en Italie, les grévistes de Zastava — que Fiat venait d’acquérir en Serbie en refusant la continuité de l’emploi des travailleurs serbes — ont été battus, les travailleurs de Tychy n’ont pas réussi à démarrer la grève…
En mai 2011, les équipes militantes de Fiat et GM de Pologne, de Renault de France et d’Espagne, de Volvo-Trucks de Suède, de Ford France, de Seat d’Espagne, de Fiat Italie ont organisé une conférence européenne à Amsterdam, avec l’aide de l’Institut international de recherche et de formation (IIRE-IIRF). Aux côtés de militants du Nouveau parti anticapitaliste (France), du Parti polonais du travail (PPP), de Sinistra critica, du Socilistiska Partiet de Suède, il y avait la présence des dirigeants des syndicats « Août 80 » de Pologne, de la CGT d’Espagne et de Solidaires-Industrie de France. La direction de la FIOM italienne, après des hésitations, ne s’est pas déplacée [4]. Les militants allemands du Conseil international des travailleurs de l’automobile, ne pouvant y aller, ont envoyé à la conférence un message de solidarité et une invitation à participer à leur septième rencontre internationale en 2012. Une déclaration appelant à la convergence des initiatives allant dans le même sens a été adoptée.
Une rencontre internationale des travailleurs combatifs
Cette année, à l’occasion du week-end de l’Ascension (17-20 mai 2012), s’est tenue à Munich la réunion du 7e Conseil international des travailleurs de l’automobile (CITA). Ce sont les militants du MLPD [5] qui sont à l’initiative des réunions du CITA depuis 1998. C’est à la fois une réunion de formation de militants, sympathisants du MLPD du l’industrie automobile et de leurs familles et une rencontre internationale ou d’autres organisations sont invitées.
Plus de 300 militantes et militants, venant de 20 pays, ont participé à la rencontre de 2012. Outre les militants de l’industrie automobile du MLPD, souvent engagés dans le syndicat IG Metall, et leurs contacts internationaux, on notait la participation de militants du NPA de France (Renault et PSA), de Sinistra Critica d’Italie (Fiat), de la Fédération de la métallurgie CGT de l’État espagnol (Seat, PSA, Renault, Opel), du Syndicat libre « Août 80 » de Pologne (Fiat et GM), de la Fédération de la métallurgie de la KCTU de Corée du Sud (Ssangyong), de CSP Conlutas du Brésil (GM, Volkswagen, Daimler, Chrysler, PSA), du Syndicat indépendant NTUI d’Inde, de l’Union nationale des travailleurs du Venezuela (Ford), du Syndicat interrégional des travailleurs de l’automobile de Russie (Ford), ainsi que les militants de Autoworkers Caravan qui regroupe les syndicalistes radicaux aux États-Unis (GM, Chrysler). Les délégations de la FIOM d’Italie et de la CGT de France, annoncées, n’ont finalement pas participé à la rencontre… Pour l’Allemagne, il n’y avait pas d’autres courants lutte de classe représentés en dehors de celui, initiateur de la réunion, du MLPD.
Des forums de discussion et d’échanges d’expériences ont abordé des questions aussi diverses que les nouvelles technologies, la coordination internationale des travailleurs de l’industrie automobile, la formation et l’embauche des jeunes, la démocratie dans les syndicats, la charge du travail et la santé des salariés, la lutte contre le travail intérimaire, la lutte des femmes et le mouvement ouvrier, la question de l’environnement… Un échange sur les expériences de lutte et attaques patronales a été organisé dans les réunions par groupes automobiles (Bosch, BMW, Daimler-Renault, Fiat-Chrysler, Ford, GM-PSA, Volkswagen-Audi-MAN) : il montre que la volonté de tisser des liens par-delà les frontières est partagée par de nombreux militant(e)s et structures syndicales combatives. Ces réunions par groupes ont ainsi permis d’avancer vers le regroupement international en échangeant les contacts en vue des luttes futures et pour construire l’indispensable solidarité.
Les militants du MLPD ont présenté une déclaration en vue de structurer un mouvement international des travailleurs de l’automobile, voulant passer du Conseil international vers une « Première conférence internationale des travailleurs de l’automobile » envisagée en 2014 ou 2015, qu’ils proposent d’organiser autour de « quatre piliers : 1. une assemblée de délégués qui comprendra jusqu’à 5 délégués par pays et qui prendra des décisions ; 2. des forums de coopération internationale au niveau des groupes industriels ; 3. des groupes de réflexion et des ateliers ; 4. une large participation avec des animations variées (débats, ateliers, culture). » La déclaration poursuit : « Nous appelons les représentant(e)s de syndicats, des équipes des entreprises, les familles des travailleurs et travailleuses de l’automobile, des regroupements, des associations, des groupes culturels ou politiques du mouvement des travailleurs de l’automobile et de leurs familles dans les différents pays à participer à la préparation et à la réalisation de la Première conférence internationale des travailleurs de l’automobile. Sont exclues les tendances fascistes, racistes, sexistes et fanatiques religieuses. »
Le débat sur cette déclaration a fait apparaître des divergences d’approche. Les syndicalistes polonais d’« Août 80 » ont souligné qu’au vu de la très grande différence de représentativité des délégations présentes — des dirigeants des syndicats nationaux ou d’entreprises, des militants d’organisations politiques anticapitalistes, des militants associatifs, des travailleurs combatifs et leurs familles — il n’était pas démocratique de procéder à des votes et que pour avancer la construction d’une coordination internationale il fallait construire un consensus et remettre à l’avenir les décisions sur des questions où les divergences ne pouvaient être immédiatement dépassées. Les militants du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA, France) et de la CGT de l’État espagnol ainsi que la représentante de la KCTU sud-coréenne ont, eux aussi, exprimé chacun leur réserve ou leur désaccord. Ils ont dû faire face à une multitude d’interventions de militants et sympathisants du MLPD les accusant de vouloir empêcher la prochaine rencontre internationale ! Et la présidence n’a pas jugé utile de permettre à ceux qui formulaient des critiques de reprendre la parole … Bref, une caricature de débat. Pire, alors que la délégation polonaise a décidé de ne pas prendre part au vote dans ces conditions, tout en soulignant qu’elle voulait poursuivre les relations de coopération et de débat, elle n’a pas eu la parole.
Un groupe international de coordination pour préparer la conférence de 2014 ou 2015 a ensuite été élu. Là encore, la présidence a voulu empêcher que le camarade du NPA, qui n’a pas voté la déclaration, ne puisse être candidat. Les délégués de la CGT espagnole et de CSP Conlutas brésilien ont appelé à un vote bloqué et non à une élection individuelle. Finalement, après deux votes successifs pour savoir si le groupe de coordination devait être élu individuellement ou en bloc — donc y compris le représentant du NPA — l’assemblée a mis la présidence en minorité… ce qui ne semblait pas habituel. Mais dans le compte-rendu publié par le CITA ont peut lire : « A l’unanimité, les participants du 7e Conseil international des travailleurs de l’automobile le 20 Mai à Munich, ont décidé la préparation de la Première Conférence internationale des travailleurs de l’automobile (…). D’abord, quelques collègues de France et de Pologne tenaient la décision d’une conférence de travailleur automobile comme prématurée. Ils ont retiré leurs demandes après une discussion détaillée à ce sujet. » [6].
Ces tensions, comme d’ailleurs l’absence à la rencontre de Munich d’autres courants lutte de classe allemands, témoignent des difficultés de la coordination internationale des travailleurs de l’automobile. Cependant la réunion de Munich constitue un pas en avant : elle aura permis à des syndicats nationaux qui font le choix de la lutte de nouer des liens avec des équipes et de militants de base. Les militants de GM-Opel et de PSA d’Allemagne, de Pologne et de l’État espagnol, confrontés maintenant aux restructurations et à la liquidation de plusieurs de leurs sites ont pu se connaître et établir des relations. C’est potentiellement la possibilité de construire des solidarités, d’aller vers l’organisation des luttes communes, coordonnées pour s’opposer aux projets patronaux. En témoigne le message de solidarité avec les travailleurs de GM-Opel et de PSA d’Europe, adopté par l’assemblée générale des grévistes de l’usine General Motors de Sao José dos Campos (Brésil), le 27 juin 2012 à l’initiative du syndicat CSP Conlutas [7].
Jan Malewski