La photo était belle, sur le perron de Matignon. Pour la première fois, un gouvernement ressemblait à la France. Avec un nombre de femmes égal à celui des hommes, et quelques visages rappelant que le pays n’est pas exclusivement blanc de peau. Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre, a justement revendiqué l’exemplarité du gouvernement en matière de parité et de représentation de la diversité.
Derrière cette affiche presque parfaite, il existe pourtant un profond décalage entre la volonté et les pratiques politiques. SOS Racisme s’en inquiétait la semaine dernière : « Au-delà de la faible présence des femmes, il est à remarquer qu’il y a un nombre infinitésimal de membres de cabinets ministériels issus des immigrations maghrébine et africaine, ainsi que des Dom-Tom. » Le communiqué de l’association historiquement proche du PS a quelque peu agacé dans les couloirs des ministères. Libération a donc regardé ce qu’il en était réellement, en étudiant une à une les nominations des membres de cabinets ministériels, systématiquement publiées au Journal officiel.
Ce n’est pas reluisant. Hier, 140 directeurs, chefs de cabinet et conseillers avaient été officiellement nommés. Parmi eux, seules 38 femmes, dont 5 directrices de cabinets, 4 directrices adjointes de cabinet et 5 chefs de cabinets. La diversité est, elle, par définition plus difficile à mesurer. Nous avons opté pour la méthode utilisée par l’Observatoire des discriminations, consistant à répertorier les prénoms non francophones. Parmi les 140 prénoms dans les nominations publiées au JO, pour l’instant seuls cinq ont une consonance non francophone. Le baromètre est discutable, puisqu’il ne permet ni de comptabiliser les Français d’outre-mer ni les personnes d’origine étrangère francophone, mais il demeure un mètre étalon suffisant pour permettre d’avancer que, dans les couloirs des ministères, la photo est moins idyllique que sur le perron de Matignon.
Certes, tous les conseillers n’ont pas encore été nommés. Selon toute vraisemblance, et si l’on tient compte des contraintes financières, il devrait y en avoir 200 à 300 de plus recrutés dans les prochaines semaines (ils étaient plus de 500 sous le dernier gouvernement). Néanmoins, les postes les plus importants sont déjà pourvus. Et les données récoltées par Libération donnent la couleur de cette caste particulière appelée pour définir et mener la politique du gouvernement, gérer les dossiers, préparer les projets de loi… Des hommes blancs issus des rangs de la haute fonction publique et bien souvent formés sur les bancs de l’ENA, école sociologiquement très monolithique.
Cette politique de recrutement ne se distingue guère des précédents gouvernements. Mais elle jure avec la volonté affichée durant toute la campagne par François Hollande sur ces sujets. Au think tank Terra Nova, qui avait lancé un appel pour une France métissée, celui qui n’était encore que le candidat PS expliquait : « L’égalité est au cœur de mon projet. La lutte contre les discriminations sera donc logiquement une de mes grandes préoccupations. Il conviendra tout d’abord de développer des outils pour lutter contre les discriminations dans la fonction publique, car l’Etat doit être exemplaire. »
Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement et ministre aux Droits des femmes, reconnaît qu’il reste « des progrès à faire ». « Nous avons eu beaucoup d’échanges ces derniers jours avec les équipes qui s’installent, et je peux vous assurer que quelque chose de nouveau se passe dans le gouvernement. […] En tant que ministre des Droits des femmes, je veillerai à ce que la dynamique ne retombe pas, voire s’amplifie afin de combler les retards qui restent », assure la ministre [1]. Revue de détail des différents cabinets ministériels.
La parité
Au jeu de l’exemplarité, tous n’ont pas le même nombre de points. Jean-Marc Ayrault, le chef du gouvernement, est mieux placé que la plupart de ses ministres. Avec un taux d’effort pourtant modéré. Son cabinet compte 13 femmes contre 27 hommes. Mais, surtout, aux côtés de son directeur de cabinet, Christophe Chantepy, figurent deux directrices adjointes de cabinet : Odile Renaud-Basso et Camille Putois. Deux ministres se distinguent singulièrement du lot en ayant choisi un duo féminin à leur tête, avec des directrices et chefs de cabinets femmes. Il s’agit de Jérôme Cahuzac, ministre délégué au ministère de l’Economie en charge du Budget, et Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication. Pascal Canfin, ministre délégué au Développement, a également recruté une femme pour diriger son cabinet.
Le ministère des Droits des femmes a quant à lui une note que l’on pourrait qualifier de très moyenne, notamment au regard de ce qu’il représente, puisqu’il compte 5 femmes pour 6 hommes, dont aucune comme directrice ou chef de cabinet.
A noter, pour l’instant, que 22 cabinets sur les 34 que compte le gouvernement ne sont composés que d’hommes - la féminisation devrait venir avec le recrutement prochain des postes moins importants. Comme en entreprise, les femmes semblent s’évaporer au fur et à mesure que l’on grimpe dans la hiérarchie des cabinets ministériels. Autre détail : une ministre ne recrute pas plus de femmes qu’un ministre.
La diversité
Kader Arif, Najat Vallaud-Belkacem, Yamina Benguigui, Fleur Pellerin, Victorin Lurel, George Pau-Langevin, Christiane Taubira… Jamais un gouvernement français n’avait accordé autant de place aux Français issus soit de l’immigration, soit des départements d’outre-mer.
Pourtant, cette diversité est quasi-absente des cabinets ministériels. Deux conseillères techniques chez Ayrault, à la presse et aux relations avec la société civile. Et deux chefs de cabinet : Yasmina Ali Oulhadj, nommée auprès de Delphine Batho (ministre déléguée chargée de la Justice), et Fayçal Douhane, auprès de Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée des Français de l’étranger et de la Francophonie.
ALICE GÉRAUD