Alimentée par la spéculation immobilière massive - une bulle spéculative qui a maintenant bel et bien éclatée - les diktats du FMI et par la détérioration de la crise capitaliste, l’économie espagnole a plongé dans la récession au deuxième semestre de 2008 et, depuis lors, des millions d’emplois ont été perdus. Avec 30 milliards d’euros de réductions budgétaires, ainsi que d’énormes augmentations d’impôts, l’Espagne connaît désormais l’un des taux de chômage les plus élevés dans l’UE.
Les mineurs ont réagi avec colère face à la volonté du pouvoir de réduire de 60% les subventions gouvernementales accordées à l’industrie minière. Cette réduction signifie à coup la destruction de cette industrie et fera sombrer les régions qui dépendent du charbon dans la misère noire. Environ 8.000 emplois sont en jeu et les syndicats estiment que 30.000 autres seront indirectement touchés.
Les mineurs des deux plus importantes fédérations syndicales, les Comisiones Obreras (CCOO) et l’Unión General de Trabajadores (UGT), sont unis dans leur opposition aux mesures gouvernementales et la grève est suivie à 100%. Beaucoup d’autres syndicats à travers le pays ont promis un soutien ; les travailleurs des transports ont déjà mené des actions aux côtés des mineurs et une grève générale de 24 heures est prévue (le 18 juin dans le bassin minier asturien, NdT).
Des barrages routiers et ferroviaires sont mis en place tous les jours dans la région. Un certain nombre de mineurs ont organisé des occupations des puits. Le 31 mai, les mineurs ont manifesté dans les rues de Madrid, où ils ont été attaqués par la police anti-émeute qui a utilisé des gaz lacrymogènes. Dans d’autres affrontements, la police a utilisé des balles en caoutchouc. Malgré le black-out médiatique, des informations suggèrent que dans certaines régions des Asturies, il y a presque un climat de guerre civile. Il s’agit clairement d’un conflit qui a le potentiel de durer pendant une longue période.
Les Asturies, la principale région minière, a une longue histoire de militantisme ouvrier. « Asturias la Rouge » a été l’un des principaux centres d’opposition au général Franco. Pendant la grève des mineurs britanniques de 1984-1985, les mineurs espagnols ont été particulièrement actifs et généreux dans leur soutien à leurs camarades d’outre-mer.
De la même manière que les mineurs britanniques étaient autrefois considérés comme l’avant-garde du mouvement ouvrier, les mineurs espagnols sont considérés par beaucoup comme l’avant-garde du reste du mouvement syndical espagnol. Cette grève pourrait être l’étincelle qui enflammera toute la péninsule ibérique.
John Cuningham
Ancien mineur, secrétaire du Spanish Miners’ Solidarity Committee
* Source : http://www.workersliberty.org/story/2012/06/13/solidarity-spanish-miners
Lettre de soutien d’anciens mineurs britanniques des grèves de 1984-1985 aux mineurs espagnols en grève
Des anciens mineurs et des militants syndicaux du Royaume-Uni ont mis sur pied, hier soir (11 juin, NdT) à Sheffield (Yorkshire) un Comité de Solidarité avec les Mineurs Espagnols.
Le Comité s’est engagé à mener une campagne nationale au Royaume-Uni, dans le mouvement syndical et dans la communauté des mineurs, en solidarité avec les mineurs en grève et leurs familles dans les bassins charbonniers des Asturies, d’Aragon et du Léon en Espagne.
Au Royaume-Uni, les sympathisants des mineurs espagnols connaissent bien les conséquences – économiques, sociales et politiques – de la destruction de l’industrie charbonnière. Aujourd’hui, il n’existe plus qu’une poignée de mines profondes au Royaume-Uni. C’est tout ce qui reste d’une industrie qui, il y a 30 ans, offrait de l’emploi à plus de 200.000 personnes. A sa place, aujourd’hui, il n’y a plus que le chômage massif, la pauvreté, l’exclusion sociale et la décadence. Ce sont ces conséquences que risquent de connaître les mineurs espagnols s’ils sont vaincus.
Le Comité s’est également engagé à récolter des fonds pour les familles des mineurs en grève, une tâche qui a déjà commencé, ainsi qu’à soutenir par tous les moyens leur juste combat. Une lettre de solidarité, signée par des ex-mineurs, des dirigeants des travailleurs des principales mines de charbon du Royaume-Uni et par des syndicalistes est en préparation et sera envoyée aux organisations syndicales espagnoles dans quelques jours.
Les efforts du Comité ont déjà gagné le soutien du cinéaste internationalement reconnu Ken Loach, qui nous a demandé d’envoyer ce message à ceux qui luttent en défense des puits, de leur travail et de leur communauté en Espagne. Son message est :
« Ce n’est pas la première fois que les mineurs luttent au nom de tous les travailleurs. Cette crise est en train de provoquer une énorme misère, au travers du chômage de masse et des attaques contre les salaires et les conditions de travail. La responsabilité de tout cela incombe à la classe dominante et à ceux qui défendent un système intolérable et injuste. Je vous adresse tous mes vœux de succès et toute ma solidarité. Ken Loach ».
Deux représentants du Comité - lancé par le Réseau d’Information des Mineurs – voyageront cette semaine en Espagne afin de rencontrer les mineurs espagnols et leurs familles.
Plus d’informations : Spanishminerssolidarity hotmail.co.uk
Lettre d’un mineur asturien
J’ai travaillé pendant 25 années dans la mine. Je suis descendu dans un puit quand j’avais 18 ans et j’aimerai vous dire que je suis étonné des commentaires que je lis ici ou là sur la mine et les préretraites. Je vous donne ici mon point de vue pour tenter de dissiper plusieurs doutes ou préjugés existant sur ce secteur.
1. La lutte qui est menée en ce moment par les camarades n’est pas pour demander de l’argent, mais bien pour qu’on respecte l’accord signé l’année dernière entre le Ministre de l’Industrie et les syndicats des mineurs. Selon les termes de cet accord, les aides publiques octroyées au secteur minier devaient durer jusqu’en 2018.
Cet argent provient de la Communauté européenne, et non du gouvernement espagnol. Autrement dit, aucun Espagnol n’a payé quoi que ce soit pour « nous aider » comme le pensent beaucoup de gens qui nous critiquent tellement.
Quant à cet argent, ce que je me demande, comme presque toutes les familles des mineurs, c’est où se trouve la partie provenant du Fonds des Mineurs qui devait, supposément, être destiné à la création d’industries alternatives au charbon dans les bassins miniers. Il se fait que, comme dans beaucoup d’autres secteurs, l’argent a été géré par les politiciens et les syndicats. Avec une partie de ces sommes, je pourrais vous dire que, par exemple, Monsieur Gabino de Lorenzo (ex-maire d’Oviedo) a payé les lampadaires de sa ville, le nouveau Palais des Expositions et de Congrès et de nombreux autres ouvrages. L’ex-maire de Gijon (Madame Felgeroso) l’a investi dans l’Université du Travail et, comme le premier, dans d’autres ouvrages.
Dans la seule Vallée de Turón, dans la Cuenca del Caudal où je vis : de 1889 à 2006, année de fermeture du dernier puit, plus de 600 mineurs sont morts. Et qu’as-t-on fait ? On a construit un centre sportif sans même une toilette. Il fut inauguré ainsi et reste toujours en l’état. On a aussi construit un sentier, pour qu’on puisse se promener, et c’est à peu près tout. Tout notre environnement est rempli de déchets et de terrains vagues que l’on tente peu à peu de réaménager. Mais de ré-industrialisation, qui crée des postes de travail stables, il n’y en a pratiquement pas.
2. Je constate avec stupéfaction que pour beaucoup de gens les subventions publiques au secteur minier sont une mauvaise chose. Mais on oublie qu’il existe les mêmes aides pour d’autres secteurs, comme l’élevage, l’agriculture, la pêche et bien d’autres encore et personnellement je m’en réjouis. Je préfère que ces aides servent à maintenir des emplois plutôt qu’à engraisser les politiciens corrompus qui nous volent quotidiennement.
3. Il semble que beaucoup d’entre vous ne savent pas qu’après la fin de la Guerre civile dans ce pays, les mineurs espagnols ont été forcé de travailler gratuitement tous les jours pendant une heure, et pendant de longues années, afin de reconstruire ce que le franquisme avait détruit, et cela alors que nous n’avions rien à manger dans nos foyers.
4. En 1962, les mineurs ont commencé une grève qui s’est ensuite étendue dans toute l’Espagne. Cette lutte a permis d’arracher de nombreux droits sociaux dont jouissent tous les Espagnols… ces mêmes droits qu’on tente maintenant de nous enlever. Au cours de cette grève, il y a eu une très forte répression, des affrontements, de nombreux prisonniers, de la faim et de l’exil. De nombreux mineurs ont été séparés de leurs familles et envoyés dans d’autres provinces, certains n’ont commencé à revenir qu’à partir de 1980.
5. Sur les préretraites, c’est un mensonge de dire que les mineurs prennent leur préretraite à 40 ans et certains parlent de nos pensions comme si nous avions gagné le jackpot. Il se fait, en vérité, que dans les mensualités que touchent les mineurs retraités sont incluses leurs primes de travail extraordinaires et elles varient en fonction des différentes catégories et spécialités. (…)
6. Le charbon qu’on importe de l’extérieur serait, selon certains, meilleur marché que le nôtre. J’en doute fort, mais admettons que cela soit exact : la solution serait-elle de nous transformer en esclaves comme dans ces pays ? Moi, je souhaite qu’aucun travailleur au monde ne le soit. (…)
7. Concernant les actions de blocages des routes, je veux répondre à tous ceux qui protestent en déclarant que les mineurs les empêchent d’aller travailler, ou d’aller étudier, et qui disent que quand ils auront un problème dans leur propre entreprise, ils iront eux aussi « emmerder » les mineurs. Je leur dit simplement ceci : à chaque fois que des travailleurs d’autres secteurs nous ont demandé de l’aide pour défendre leur emploi, nous avons organisé des arrêts de travail de 24 heures pour les soutenir.
Quand il y a eu la longue grève des mineurs britanniques, nous avons arrêté le travail par solidarité et organisé des collectes de fonds pour qu’ils puissent nourrir leurs familles. Es-ce que quiconque aurait le moindre doute que nous n’allons pas nous unir et nous solidariser avec n’importe quel autre secteur qui serait touché ? Il semble bien aujourd’hui que c’est quelque chose d’impossible, ne serait-ce que de demander l’aide des autres. Il est pourtant fondamental de nous soutenir les uns et les autres. Mais nous faisons le contraire et c’est comme cela que ceux d’en haut pourront toujours avoir l’avantage.
Si tous les travailleurs espagnols étaient aussi unis que les mineurs, ceux qui gouvernent dans ce pays le penseraient à deux fois avant de nous imposer de telles mesures d’austérité, je peux vous le garantir. Réfléchissez bien sur qui vous empêche réellement d’aller travailler ou étudier : avec les vagues de licenciements actuelles et l’austérité dans l’enseignement, c’est bel et bien nos politiciens. (…)
Je vous invite tous et toutes à sortir de chez vous et à défendre également vos droits. En restant passifs, vous permettez que, peu à peu, la faim se réinstalle dans nos vies. Ils veulent que nos enfants et les vôtres deviennent, comme nous, « analphabètes », puisque nous avons plus vu les murs de l’école de l’extérieur que de l’intérieur. Il est plus facile de dominer un peuple analphabète.
Restez informés, vérifiez tout ce que vous voyez à la télévision, maintenant vous avez Internet, les téléphones portables, pour pouvoir rester en contact permanent, pour vous organiser, que ce soit de manière pacifique ou directement sur les barricades, c’est comme vous voulez, mais organisez vous ! Définissez les objectifs que vous voulez atteindre à court terme, car le gouvernement lui, va très vite quand les conditions lui sont favorables, vous le savez bien.
Effacez le mot « peur » et la phrase « cela ne servira à rien » de vos esprits et prenez le contrôle de votre avenir.
Je remercie beaucoup tous ceux et toutes celles qui nous soutiennent dans les autres provinces et dans d’autres pays.
Salutations
Juan José Fernández. Asturies, 15.06.12
* Source :
http://ecorepublicano.blogspot.com.es/2012/06/carta-de-un-minero-asturiano.html
Appel de soutien à la lutte des mineurs
Le combat des mineurs en défense de leurs emplois constitue un exemple de lutte, de combativité et d’auto-organisation qui doit être soutenu par l’ensemble de la classe ouvrière, par la gauche et par les mouvements sociaux.
L’impact de ce combat est en train de susciter une solidarité qui s’étend à tous les secteurs et dans toutes les régions. Il inspire tous ceux et toutes celles qui luttent en ce moment pour s’opposer aux attaques incessantes contre les droits sociaux et les droits des travailleurs.
Il faut résoudre les problèmes des bassins miniers et il faut commencer à les résoudre dès maintenant, avec des objectifs à court et moyen terme. A court terme, il est nécessaire de défendre tous les emplois pour éviter l’aggravation de la tragédie sociale que subissent depuis des années les familles des travailleurs dans ces régions. A moyen et long terme, il est nécessaire d’avancer des alternatives d’emploi réelles dans les secteurs énergétiques non polluants qui permettent de sortir de la crise sans hypothéquer l’avenir des travailleurs.
Au cours de ces dernières années de reconversion, les fonds publics destinés à cette fin ont été dilapidés et utilisés au profit d’une petite minorité. Mener une enquête sur leur affectation précise et établir les responsabilités, c’est le premier pas nécessaire afin d’ouvrir un véritable processus qui impulse un nouveau modèle productif, généré et contrôlé par ceux et celles d’en bas. Un nouveau modèle productif qui soit au service des besoins sociaux de la majorité et respectueux envers notre planète.
Tandis qu’ils sauvent les banques et les banquiers, l’austérité retombe sur les épaules des travailleurs qui se voient forcés de lutter pour défendre leur avenir. Les mineurs nous montrent le chemin que doivent suivre les autres secteurs en lutte. Nous voulons leur exprimer notre soutien et nous lançons un appel pour élargir leur exemple. Il en va de notre avenir.
Pour signer cet appel : yoapoyoalamineria gmail.com
Alfonso Sastre, écrivain et dramaturge
Willy Toledo, acteur
Eva Sastre Forest, éditions Hiru
Rafael Xambó, professeur de sociologie, Université de Valencia
Carlos Gómez Gil, sociologue et professeur de l’Université d’Alicante
José Ramón González Parada, sociologue et directeur de la revue ’Esbozos’
Salvador López Arnal, collaborateur à Rebelión et El Viejo Topo
Jerónimo Aguado Martínez, paysan
Juan Ramón Capella, professeur de philosophie du droit, de morale et de politique
Miguel Riera, directeur de El Viejo Topo
Joxe Iriarte, Bikila, écrivain et membre de Gorripidea
Santiago Álvarez Cantalapiedra, directeur de la revue ’Papeles de relaciones ecosociales y cambio global’
Olga Rodríguez, journaliste et écrivaine
María Trinidad Bretones, professeure d’économie, Université de Barcelone
Esther Vivas, activiste et journaliste
Santiago Alba Rico, essayiste et philosophe
(…)
Le « Gène » de la barricade. Résistance minière
En ces jours de feu et de bataille dans nos Asturies, il convient de se demander ce qu’il y a de spécial chez ces mineurs qui dressent des barricades sur les principales voies de communication asturiennes, masqués comme s’il s’agissait d’un uniforme et qui éveillent la sympathie et l’empathie chez ceux qui espéraient voir surgir un mouvement ou un soulèvement populaire contre tant de barbarie.
J’oserai presque affirmer que nous n’attendions que cela ; un point d’appui flamboyant pour la lutte sur lequel nous puissions nous agripper ; une source d’inspiration. Au risque de paraître nostalgique, qui peut nier qu’il n’a pas pensé ou ne s’est pas remémoré ces derniers jours les événements d’il y a presque 80 ans quand les Asturies se sont soulevées dans la grève révolutionnaire d’Octobre 1934 sous le mot d’ordre d’ « UHP » (« Unios Hermanos Proletarios », « Unissez vous frères prolétaires », NdT) lancé par l’Alliance Ouvrière.
Il pourrait sembler que les mineurs constituent un secteur plus combatif que les autres, et, jusqu’à un certain point, c’est exact. Car cette « gène de la barricade » est dans leur ADN social qui s’est constitué d’une manière particulière. Comme l’a signalé mon ami Boni Ortiz à propos des conditions historiques dans lesquelles les mineurs se sont constitués : « nous pouvons dire que le premier travailleur de la mine asturienne, c’est le paysan du village voisin qui travaille dans la mine comme complément à l’économie familiale basée sur la petite exploitation agricole et d’élevage autosuffisante ».
Le secteur charbonnier asturien s’est construit à partir de paysans qui cherchaient un revenu « extra », ce que l’on a appelé « l’ouvrier mixte ». Le fait que la mine n’était pas sa priorité se reflétait alors clairement dans les plaintes du patronat que A. Surge cite dans son livre « Vers la Révolution » - un ouvrage indispensable pour ceux qui veulent comprendre la configuration matérielle et sociale des bassins miniers asturiens jusqu’en 1934- : « Il fut impossible d’obliger les mineurs à se soumettre à la discipline tellement nécessaire dans le travail minier, ainsi que de leur imposer des châtiments pour cause d’absentéisme, ce qui fait que ce dernier n’a cessé d’augmenter, surtout les lundi et les jours consécutifs aux fêtes ».
Cette double source de subsistance aidait les mineurs à survivre sans dépendre exclusivement de leur salaire. Ce n’est qu’à partir de l’expansion du secteur minier asturien en 1919, à la suite de la crise du marché international provoqué par la Première guerre mondiale, que commence le phénomène massif de l’immigration et de l’ouvrier mineur spécialisé.
Les capitalistes de l’époque prirent conscience qu’il était nécessaire d’empêcher les mineurs de jouir des avantages octroyés par leurs lopins de terre cultivés. Ils développèrent ainsi une série de « mesures sociales » qui, sous un habillage paternaliste, avaient comme unique préoccupation d’enchaîner le mineur rural à son entreprise.
Déjà en 1862, dans un Bulletin Officiel, Álvarez Buylla informait que dans l’usine de Mieres on avait créé une banque d’épargne pour les ouvriers « afin de garantir leur bien être et préserver leur soumission ». Francisco Gascue, un ingénieur des mines, fut le premier à établir le lien entre la prévention sociale et l’efficacité dans le travail ; « la philanthropie est en accord avec l’intérêt de l’industriel » (Revue Minière, 1883).
Et ils parvinrent effectivement à leur objectif. Bien qu’encore aujourd’hui de nombreuses familles qui vivent de la mine possèdent un petit lopin de terre où elles cultivent quelques légumes, la réalité du monde du travail après les années 1920 du siècle dernier est devenue essentiellement industrielle.
Mais ce que les patrons sans expérience de notre capitalisme arriéré n’avaient pas prévu, ce fut les nouvelles conséquences d’une vie centrée dans des bassins miniers au sein desquels absolument toute la population dépend d’une manière unique et exclusive de la mine.
Ce « vivre ensemble » a permis d’unifier les conditions de travail et sociales en leur donnant une homogénéité similaire aux valeurs communautaires des sociétés rurales. Les capitalistes étaient parvenus à éliminer la base économique qui donnait son autonomie aux unités ouvrières domestiques, mais ce fut en créant une contradiction plus grande encore ; une base matérielle sur laquelle repose la solidarité ouvrière et qui prolonge les relations de réciprocité héritées de la campagne.
Ce puissant esprit communautaire ne se réduit pas au fait de vivre dans le même quartier, de partager le même espace physique ; il signifie que ma maison, la tienne et celle de tous les autres sont identiques : même structure, même répartition spatiale, même matériaux… En travaillant dans le même puit de mine, on se rencontre à l’entrée, dans le vestiaire, dans la cage d’ascenseur, dans les douches, à la sortie, au bar… Nous achetons dans les mêmes magasins, de sorte que toi et ta famille vous vous habillez comme celles des autres. Il est même possible que le village lui-même soit traversé par la mine, comme à Ríoturbio, dont le nom évoque la couleur de l’eau dans la rivière après avoir lavé le charbon.
Les bassins miniers (« Cuenca »), ce sont de petits centres urbains, peu peuplés et géographiquement isolés puisqu’ils sont constitués par une série de vallées qui étaient encore très mal reliées entre elles jusqu’à peu. Il est d’ailleurs ironique de constater que l’autoroute de la zone minière fut inaugurée quand on commença à fermer les mines. Pur hasard ? Je ne le pense pas.
L’essence de l’esprit communautaire ancestral ne s’est donc pas perdue malgré l’industrialisation. Cohabitant avec différentes formes d’intégration, nous pourrions dire avec Polanyi que la mine est incrustée dans la vie sociale, qu’elle n’est pas une réalité économique à part, mais qu’au contraire elle traverse tout. C’est ainsi que surgit « l’identité minière », qui dote chaque personne d’une place dans le monde et dans la communauté, de manière uniforme et homogène. L’exemple le plus frappant est illustré par les femmes des bassins miniers qui se définissent en tant que « fille, sœur et femme de mineurs ». Leur identité se forme également autour de la mine et leur rôle dans la lutte a été clé à plusieurs reprises, comme dans les grèves de 1962 (des événements repris de manière brillante dans le court métrage « A coups de talons »).
On peut objecter que tout cela s’exprime aussi dans presque tous les grands quartiers industriels du pays ou du monde, et il est exact que cela explique, en grande partie, le développement des grandes luttes ouvrières et la création des grandes organisations syndicales massivement implantées. Cependant, peu de centres de travail ressemblent à la singularité de la mine.
Dans cette dernière, les ouvriers travaillent ensemble dans de grandes profondeurs sous terre, ils descendent dans une cage obscure et remplie d’autres mineurs, ils avancent dans des couloirs angoissants et étroits dont certains sont si bas qu’il faut progresser en rampant pour progresser d’une galerie à l’autre. Ils dépendent exclusivement des uns et des autres pour travailler et pour survivre dans des tâches solidaires et collectives, telles que le sauvetage des camarades ensevelis. Car personne, aucun service de secours, ne connaît la mine comme ceux qui y travaillent afin d’accomplir cette tâche. La pénibilité et la dangerosité extrêmes de ce travail entraînent nécessairement une solidarité extrême et cette réalité de la mine s’impose également à l’extérieur d’elle. Non seulement pour ceux qui vivent de la mine, mais aussi pour ceux qui vivent des mineurs. Aujourd’hui encore, quand il y a une grève générale dans les bassins miniers, tous les commerces et les bars, grands ou petits, ferment leurs portes. S’il n’y a pas de mine, il n’y a pas de travail, on ne consomme pas et il n’y a pas d’avenir. Pour personne.
Cette extension de la mine au-delà d’elle-même explique la singulière matière avec laquelle sont fait ceux qui vivent et travaillent dans les bassins miniers. Ils ont transformé la culture de la barricade en patrimoine immatériel par leur capacité à la symboliser. La barricade des mineurs est un instrument, un moyen, un support d’une reconquête de significations qui remettent sur la table la persistance d’une culture ouvrière qui est bien plus qu’une simple « survivance » du passé.
Verónica Rodríguez, militante de Izquierda Anticapitalista Asturies
* Source : http://anticapitalistas.org/El-Gen-de-la-barricada