Le jeune « dirigeant suprême » de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a inauguré un nouveau style, mais les grandes orientations politiques du pays demeurent inchangées. Porté à la tête du Parti du travail et de l’armée, Kim Jong-un, héritier d’une dynastie communiste s’étendant désormais sur trois générations, a renoué avec le comportement plus chaleureux de son grand-père, Kim Il-sung (1912-1994).
Contrairement à son père, Kim Jong-il - mort en décembre 2011 -, qui ne prenait pas la parole lors des grandes manifestations du régime, Kim Jong-un a prononcé, le 15 avril, - jour de la commémoration du centième anniversaire de Kim Il-sung, un discours de vingt minutes de la tribune sur la place portant le nom de ce dernier. Le discours fut diffusé en direct à la télévision d’Etat et suivi d’un imposant défilé militaire.
Cultivant une ressemblance physique avec son grand-père - même visage lunaire et même coupe de cheveux -, Kim Jong-un a adopté la veste à col officier que ce dernier affectionnait au lendemain de la révolution. A Pyongyang, on comparait ce premier discours avec celui prononcé à Pyongyang par le jeune Kim Il-sung le 10 octobre 1945, deux mois après la libération du joug colonial japonais. Il n’avait cependant pas emporté les foules...
Les trois Kim ont accédé au pouvoir pratiquement au même âge : la trentaine. Les récentes apparitions en public de Kim Jong-un ont donné l’impression qu’il faisait preuve d’une assurance témoignant d’un transfert du pouvoir désormais parachevé.
La consolidation de sa position aurait permis à Kim Jong-un de prendre des initiatives : il aurait décidé d’entrouvrir la Corée du Nord aux médias étrangers et de les autoriser à visiter le pas de tir, jusqu’à présent tenu secret, de la fusée Unha-3, porteuse d’un satellite - tir qui se solda par un échec. Il serait en outre à l’origine de l’admission du fiasco de lancement.
Si le style est nouveau, les orientations politiques de Pyongyang semblent en revanche inchangées. Ferme sans être belliciste, Kim Jong-un n’a donné aucune indication d’un assouplissement de la position nord-coréenne. Soulignant les « exploits » de ses aïeux, il a déclaré qu’il poursuivrait la politique de la « primauté de l’armée », - mot d’ordre des dix-sept ans de « règne » de son père -, qui confère aux militaires un poids particulier.
« Les cent ans écoulés sont l’histoire de notre armée » et celle-ci « sera toujours à la tête de notre révolution ». L’armée pèse d’un poids considérable : par son nombre (1,2 million de soldats) et son rôle dans l’économie (grands travaux d’infrastructure et complexe militaro-industriel).
Tout en se déclarant prêt aux pourparlers « avec tous les pays qui n’ont pas une attitude hostile à l’égard de la RPDC », Kim Jong-un a affirmé que « la supériorité militaire et technologique n’est plus aux mains des seuls impérialistes. L’époque où nous étions menacés d’une attaque nucléaire est désormais révolue » - sous-entendant ainsi que la Corée du Nord disposerait de moyens de dissuasion et serait « en mesure d’abattre n’importe quel ennemi ». Une déclaration qui semble indiquer que la RPDC n’a pas l’intention de renoncer à ses capacités nucléaires.
A deux reprises, Kim Jong-un a fait référence à un élément essentiel de la politique nord-coréenne : « la dignité et la souveraineté ». Un nationalisme farouche, blessé - par la colonisation japonaise (1910-1945) puis par la partition du pays - et renforcé par ce qui est ressenti à Pyongyang comme la menace des Etats-Unis, qui ont envisagé, à trois reprises, de recourir à l’arme atomique contre la RPDC. Ce nationalisme farouche est le ressort du régime plus que le marxisme-léninisme, qui n’en constitue plus l’armature idéologique.
« La voie coréenne vers le socialisme » et la doctrine Juché (indépendance) forment les grands axes du « kimilsungisme », néologisme apparu dans les années 1980 puis quelque peu oublié, qui refait surface - notamment dans le discours de Kim Jong-un.
Ce nationalisme farouche, dont Kim Il-sung serait l’incarnation - Kim Jong-un a parlé de la Corée du Nord comme du « pays de Kim Il-sung » -, explique dans une large mesure la résistance du système aux coups de boutoir de l’Histoire : effondrement du mentor soviétique, évolution de la Chine, dramatique famine (1995-1997), économie moribonde et souffrances de la population. « Le nationalisme plus que le socialisme explique la pérennité du régime », estime Gi-Wook Shin, auteur d’Ethnic Nationalism in Korea (Stanford University Press, 2006).
Une revendication de souveraineté sur laquelle Pyongyang ne fera aucune concession. La fierté nationale nord-coréenne est un facteur dont les Etats-Unis et leurs alliés doivent tenir compte dans les réactions au tir raté du 13 avril, qui viole les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (de 2006 et 2009). On peut craindre qu’en réponse à l’alourdissement des sanctions à son encontre la RPDC ne procède à un troisième essai nucléaire. Commencerait la spirale récurrente sanctions-riposte-sanctions, non exempte de risques de dérapages.
Philippe Pons, correspondant à Tokyo