Drôle de situation. Est-ce en Asie que le nucléaire va se développer, alors même que la catastrophe de Fukushima a ébranlé le pilier du secteur dans la région, le Japon ? Il est permis de s’interroger à quelques jours du premier « anniversaire » du 11 mars. Commémoration rendue encore plus dramatique par la sortie toute récente d’un rapport ré-évoquant l’idée d’évacuation de Tokyo qui avait traversé l’esprit du premier ministre Naoto Kan [1] dans les tous débuts particulièrement dramatiques (et explosifs) de la catastrophe.
Vendredi 2 mars, lors d’une rencontre informelle d’un groupe de journalistes et de scientifiques ou universitaires à Singapour [2], le sujet n’a pas manqué de surgir. En Asie du Sud-Est, l’interrogation la plus pressante vient ainsi du Viet Nam. Le gouvernement y pousse plus que jamais à la construction d’un premier réacteur de 1000 MW, à réaliser d’ici la fin de la décennie, en coopération avec la Russie, nous rappelait ainsi l’attaché de coopération scientifique à l’ambassade de France, spécialiste de ces questions. Et peut-être ne serait-ce là que l’amorce d’un programme bien plus ambitieux. Si personne ne doute de la nécessité dans laquelle se trouve ce pays en plein développement de trouver et développer de nouvelles sources d’énergie, la question de la sûreté en fait frémir plus d’un. Ainsi, l’ancien directeur du l’institut de recherche nucléaire de Dalat lui-même, M. Hien, cité par l’International Herald tribune de ce week-end [3] insiste sur la « mauvaise culture de sûreté » du pays et qui « touche tous les secteurs d’activité ». Et plus généralement, toute la société. Et de citer le nombre inquiétant d’accidents de la route. Alors, construira ? Construira pas ? Le Japon aussi entend bien construire un autre réacteur au Viet Nam. Quand le souvenir de Fukushima commencera de s’effacer ?
Quelques jours auparavant – mais de façon moins pressante – c’est en Indonésie que nous évoquions déjà la question, avec Mme le Pr Evvy Kartini, de l’agence nationale d’énergie nucléaire (BATAN). Pour cette spécialiste des matériaux, fevente adepte de l’énergie nucléaire, s’il y a eu 20 000 morts dans le tsunami, elle n’en a pas vu… dû à Fukushima. Vu les besoins à venir de son pays, il n’y a pas d’hésitation… De fait, l’Indonésie, comme le confirme la rencontre à l’AIEA fin janvier [4], a toujours officiellement des projets du genre dans ses cartons –le « Plan de développement à long terme (2015 - 2019) » qui évoque le « démarrage d’une première centrale nucléaire avec une considération particulièrement grande pour le facteur sûreté ». Mais il semble cependant plus probable que pareille activité sera repoussée - si elle a jamais lieu, pour atteindre le but officiel de « 4000 MWe et 4% de l’électricité totale en 2025 » - à la décennie suivante !
Pour l’instant, le plus gros réacteur indonésien demeure celui de Serpong, à une trentaine de km de Jakarta, d’une puissance de 30 MWthermiques seulement, en service depuis vingt ans, et qui sert essentiellement (par diffusion de neutrons ) à la production de radioisotopes (utiles dans le traitement des cancers, par exemple). Lors de la visite du petit groupe de 7 journalistes européens dont nous faisions partie [5], il nous a été assuré que cette installation de recherche peu puissante (les réacteurs civils producteurs d’électricité peuvent monter jusqu’à 1400 MW) ne risquait vraiment rien. Elle a été prévue, nous a-t-on ainsi assuré sur place, pour résister à une accélération de 0,25 g [6] correspondant à une magnitude de… 9 (sur l’échelle de Richter) ! Tout juste l’équivalent du séisme japonais de Tohoku (son appellation désormais la plus courante) qui a ébranlé Fukushima et provoqué le tsunami. Coïncidence de chiffres trop troublante pour sonner juste.
Dominique Leglu