En Birmanie, la soudaine ouverture opérée par le gouvernement d’un pays connu pour être parmi les plus fermé au monde laisse présager un avenir meilleur. Alors que soixante années de dictature militaire ont plongé le pays et sa population dans une situation de pauvreté et de déchéance économique chronique, le vent de liberté et de démocratie qui semble souffler sur Rangoun et Naypyidaw suffira-t-il à relever toute une nation ?
L’espoir est grand, car le changement de cap opéré par les autorités du pays est inédit. En entamant un dialogue avec Aung San Suu Kyi et en réintégrant officiellement son parti au processus politique, les autorités ont ouvert une voie nouvelle. Aung San Suu Kyi et la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) ont ainsi pris la décision de participer aux prochaines élections partielles, qui auront lieu le 1er avril 2012, laissant présager une ouverture politique graduelle envers l’opposition.
Par ailleurs, le 16 janvier dernier le président Thein Sein a accordé une amnistie à environ 300 opposants. Parmi eux se trouvaient les principaux leaders de l’opposition birmane. Malgré les conditionnalités imposées aux prisonniers nouvellement libérés, et le maintien en détention de plusieurs centaines de prisonniers de conscience, ce geste représente la décision la plus significative du président depuis le début de son mandat. Enfin, les autorités ont entamé des pourparlers de paix avec les principaux groupes issus des minorités ethniques, qui se sont soldés par des accords préliminaires de cessez-le-feu.
Face à l’euphorie que déclenchent ces évolutions, l’optimisme prévaut. Pourtant, une autre facette de la réalité birmane semble être ignorée par le monde et ceux qui le dirigent : celle de la situation des minorités ethniques. Plusieurs régions sont encore en proie à une profonde instabilité, des attaques armées continuent d’être perpétrées par des soldats de l’armée birmane, et ce malgré l’ordre donné par le président Thein Sein de mettre un terme à ces attaques. Actuellement, le cas de l’Etat Kachin, au nord du pays, en est l’exemple le plus probant.
Juliette Louis-Servais, chargée de mission du CCFD-Terre Solidaire, revient d’une mission dans cet Etat. Elle témoigne d’exactions graves commises dans le cadre du conflit : « Tous nos partenaires et associations de développement non politisés, ainsi que plusieurs réfugiés m’ont fait état de pillages systématiques des villages, d’attaques contre les civils, d’acte de tortures et de violence sexuelle ». 70 000 personnes ont déjà été déplacées par ce conflit qui dure depuis juin 2011 et ne semble pas en voie de s’apaiser. Cette réalité amène à sérieusement relativiser les promesses de démocratie et de paix énoncées par le régime et largement relayées par les médias et les diplomates.
Dans les zones de conflits, qu’ils soient latents ou ouverts, les populations les plus vulnérables sont souvent les femmes et les enfants. Outre le travail forcé et les déplacements de populations, un autre crime ignoble continue d’être commis à leur encontre par les soldats de l’armée birmane, et ce, en tout impunité : l’utilisation du viol et de la violence sexuelle comme arme de guerre. L’utilisation systématique et généralisée du viol par les soldats de l’armée birmane à l’encontre des populations civiles des régions ethniques vise à soumettre et à briser les communautés que les autorités soupçonnent de soutenir les groupes armées de ces régions. Cette pratique a été documentée depuis 1996 par de nombreuses organisations issues de ces minorités ainsi que par les Nations unies.
Publié à l’occasion de la journée internationale de la femme, un rapport produit par l’association Info Birmanie et sa consœur suédoise le Swedish Burma Committee, relate, en se basant sur les informations et témoignages collectés par les organisations birmanes depuis de nombreuses années, pourquoi le viol est considéré comme une arme de guerre en Birmanie. Le rapport liste les mécanismes qui sont à la disposition des autorités nationales et internationales afin de mettre un terme à cette abomination.
Un rapport publié par la Kachin Women’s Association(KWAT) en octobre 2011 montre que l’utilisation du viol comme arme de guerre continue, en dépit de l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement dit civil en mars 2011. Entre juin et septembre 2011, dans l’Etat Kachin et le nord de l’Etat Shan, la KWAT a pu collecter les témoignages de « (…) trente-quatre femmes et fillettes [qui] ont été violées par des soldats de l’armée birmanes ou des par des individus apparentés au régime au pouvoir. Ces viols ont été perpétrés à l’encontre de femmes et de fillettes âgées de 9 à 50 ans. Beaucoup d’entre elles ont été violées de façon répétée, par plusieurs hommes. Au moins quinze des victimes ont été tuées après avoir été violées. » Etendue aux territoires karen et shan, la Ligue des femmes birmanes a recensé en 2011 plus de 80 cas de viols, dont 35 femmes exécutées.
Si le gouvernement birman affiche une volonté de changement et de réconciliation nationale, il continue cependant de nier les violations des droits de l’homme systématiques et généralisées commises par l’armée birmane à l’encontre des minorités nationales du pays. Lors d’un entretien avec le journal américain Wall Street Journal, Kyaw San, ministre de l’information et porte-parole du gouvernement birman déclarait : « Il y a beaucoup d’allégation sur la Tatmadaw [nom de l’armée gouvernementale birmane], sur le fait que les forces de l’ordre violent les droits de l’homme, particulièrement à l’encontre des races nationales. Ces accusations concernant les violations des droits de l’homme dans les régions ethniques sont complètement fausses. Il s’agit de campagnes négatives à but politique de l’opposition et d’autres groupes qui sont contre le gouvernement et l’armée. »
Malgré les preuves qui s’amoncellent, les appels à la justice et à l’établissement de la vérité portés par les organisations de femmes en Birmanie n’ont pour l’instant pas abouti. Une commission internationale d’enquête, soutenue il y a peu par plusieurs pays dont la France et les Etats-Unis, est aujourd’hui au point mort, la communauté internationale préférant concentrer ses efforts sur le processus d’ouverture politique. Pourtant, comme le rappelle M. Quintana, le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Birmanie : « […] la justice et des mesures assurant la prise de responsabilité et l’accès à la vérité sont essentielles pour que le processus de réconciliation nationale puisse avancer au Myanmar. »
La justice et la lutte contre l’impunité ont fait défaut à la population de Birmanie pendant plus de 60 ans, et sont aujourd’hui des composantes indispensables au processus de réconciliation nationale et à la démocratisation qui semblent s’opérer en Birmanie. Combien de femmes devront encore être violées, combien de mères et de fillettes devront être assassinées avant que la communauté internationale ne réagisse ?
Marie Battini, porte-parole d’Info Birmanie