BERKELEY (GRANDE-BRETAGNE) ENVOYÉ SPÉCIAL - S’il fallait un symbole de la complexité du démantèlement des centrales nucléaires, les deux réacteurs de Berkeley, à la frontière entre l’Angleterre et le Pays de Galles, pourraient le fournir. La première centrale britannique construite à des fins entièrement civiles, ouverte en 1962, a été fermée en 1989, pour des raisons économiques (son design pionnier n’était guère efficace). Puis, il aura fallu trois ans pour retirer et retraiter le combustible radioactif, puis vingt ans pour réaliser, fin 2010, la mise sous scellés des réacteurs.
S’ouvre maintenant une décennie qui va permettre d’enfouir localement les déchets radioactifs de moyenne activité, avant une attente de soixante ans pour que ceux-ci perdent une partie de leur dangerosité. Restera alors, à partir de 2074, à les transférer dans un lieu de stockage géologique profond de très long terme… qui n’existe pas encore. Au total, cent-vingt-deux ans se seront écoulés entre le début de la construction et la conclusion finale, si le calendrier est tenu.
La centrale de Berkeley, où travaillent encore 250 personnes, est pourtant un modèle. Des experts du monde entier viennent visiter ces deux réacteurs Magnox, un modèle à refroidissement par gaz unique au Royaume-Uni. « Ce que nous faisons ici n’a jamais été réalisé auparavant pour cette technologie. Nous défrichons les techniques », explique Sean Sargent, le directeur du site.
HERMÉTIQUEMENT CLOS
La mise sous scellés des deux réacteurs est la principale réussite. Une première pour le Royaume-Uni, qui a nécessité de retirer le circuit de refroidissement, de coucher les énormes chaudières de 310 tonnes qui étaient auparavant verticales, et d’abaisser de 15 mètres le sommet de la centrale. A l’intérieur, tous les équipements, du moindre câble électrique jusqu’à la plus petite sonde, ont été retirés. Restent aujourd’hui deux immenses bâtiments hermétiquement clos, qui ne font plus l’objet d’aucune surveillance scientifique.
Mais cette avancée fait suite à deux décennies de tâtonnements, qui ont provoqué une escalade des coûts : le démantèlement de Berkeley devrait coûter environ 800 millions d’euros, presque deux fois et demi plus que l’estimation faite en 2005. Et surtout, cette somme laisse de côté la facture la plus importante : le retraitement du combustible nucléaire, qui est effectué à l’usine de Sellafield, située 400 kilomètres plus au nord. Au total, le coût estimé du démantèlement des onze centrales Magnox britanniques – dont deux sont encore en opération –, ainsi que de l’usine de retraitement de Sellafield, s’élève à 58 milliards d’euros.
En 1990, le démantèlement de Berkeley avait pourtant plutôt bien commencé. Les barres d’uranium utilisées pour le cœur du réacteur avaient été sorties et refroidies dans des piscines, avant d’être envoyés à Sellafield. Pour Berkeley, c’était un grand pas en avant. « Cela retire 99,9 % de la radioactivité », explique M. Sargent.
Le 0,1 % restant, constitué de déchets de faible et moyenne activité, demeure pourtant un problème. A la fin des années 1950, les constructeurs de la centrale avaient imaginé une solution simple : quatre cuves en béton, aux murs d’un mètre et demi d’épaisseur, étaient destinées à recevoir le matériel de dangerosité moyenne. Aujourd’hui s’y entassent en vrac des tubes utilisés pour le contrôle des réacteurs, des débris qui entouraient les bâtons d’uranium, des boîtes contenant la « boue » radioactive tirée des piscines de refroidissement…
REMISE À PLAT
Au début des années 1990, cet entassement anarchique a paru inacceptable aux autorités de sûreté nucléaire, qui ont imposé la construction d’un nouveau bâtiment pour entreposer les déchets. Commande a été passée à un sous-traitant, mais l’affaire a tourné au fiasco : l’opérateur de Berkeley n’a pas surveillé le chantier et, quand les autorités ont voulu des preuves de sa sûreté, il a été incapable de les fournir. Ordre a alors été donné d’abandonner le projet : il en demeure aujourd’hui un grand bâtiment vide aux épais murs de béton, où les bras mécaniques chargés de manipuler les déchets radioactifs pendent dans le vide.
Cet échec, doublé de gros problèmes sur le site de Sellafield, a poussé les autorités britanniques à tout remettre à plat en 2004, en créant l’Autorité de démantèlement nucléaire (NDA), pour superviser la « démolition » des onze centrales Magnox. Celle-ci a ordonné à Berkeley la construction d’un nouveau bâtiment pour recevoir les déchets de moyenne activité. Mais ce ne sera que pour soixante ans, avant de trouver, quelque part au Royaume-Uni, une vraie solution pour enfouir les déchets à long terme.
Eric Albert
Le coût du démantèlement sujet à révision
Quand les premières centrales nucléaires ont été construites, le gouvernement britannique vantait une électricité qui serait tellement peu chère que les compteurs électriques deviendraient inutiles. Un demi-siècle plus tard, le coût du démantèlement, financé presque entièrement par l’Etat, est estimé à 58 milliards d’euros pour les onze centrales Magnox (première génération) et pour l’usine de retraitement de Sellafield, dont la déconstruction représente près des trois quarts de la facture, soit 38 milliards d’euros.
De l’aveu même de l’Autorité de démantèlement nucléaire (NDA), ce chiffre est sujet à révision : depuis sa création en 2005, la NDA a revu avec une hausse de 60 % le coût du programme. Cette enveloppe ne comprend pas le démantèlement des huit centrales plus modernes aujourd’hui possédées par EDF au Royaume-Uni, et encore moins celles que l’électricien français souhaite construire prochainement au Royaume-Uni.