De Septembre à décembre 2011 Mayotte la quatrième île de l’archipel des Comores va connaître un mouvement social historique. Sur ce territoire rattaché à la France en 1974 et encore contesté en terme de droit international (pour l’ONU, l’OUA ou encore la Ligue arabe l’occupation française est illégale). Le 27 septembre un collectif composé de syndicats (Cisma/CFDT, CGTMa, CGC-CFE et plus tard FO), des associations (Solidarité Mahoraise, Association des consommateurs de Mayotte (Ascoma)) et des collectifs tel le « Collectif des citoyens perdus » (né lors de la première mobilisation contre la vie chère de 2009) vont appeler à la grève générale illimitée et à la mobilisation.
Des revendications égalitaires
Cet appel est issu d’un mois de tractation pour les composantes de ce que l’on va baptiser « l’intersyndicale ». Ces derniers conviennent d’une mobilisation autour de la thématique de la « Vie chère ». Ce mot d’ordre regroupe une revendication simple la baisse des prix de 380 produits de première nécessité. Mais devant l’ampleur de la revendication l’intersyndicale s’accorde sur la baisse dans un premier temps des prix pour 10 produits (les ailes de poulet, les sardines, le riz, la viande, la farine, le lait, le sucre, les tomates, le sable et le gaz). La première phase d’une mobilisation qui souhaite remettre en cause la société de consommation, un développement vecteur d’inégalité.
Pour ce qui est des forces politiques en présence si ce n’est les élus qui vont se joindre au mouvement afin de couvrir leur intérêt de bourgeoisie locale, les organisations politiques ne participeront quasiment pas au mouvement social en tant que tel. Un gréviste s’exprimait ainsi à la troisième semaine du mouvement : « Tu sais c’est la première fois que l’on conteste vraiment à Mayotte on est pas habitué... » A noter que les organisations politiques de tradition « contestataires » sont quasiment absentes de l’île. Les raisons sont sans nul doute à trouver dans le statut particulier de Mayotte, ainsi le PCF de La réunion a t il apporté son soutien au mouvement non sans que les journalistes n’égratignent ce dernier de leurs commentaires acerbes rappelant que le PC réunionnais contestait la présence française à Mayotte... Il semble difficile pour la presse mahoraise à Mayotte de vouloir se battre pour l’égalité de tous et en même temps de contester une réalité coloniale, l’égalité serait donc bien loin d’être une valeur universelle...
La mobilisation de septembre fait suite à une première mobilisation en 2009 en écho au mouvement du LKP dans les Antilles, mouvement qui avait déjà été sévèrement réprimé par les autorités publiques, les arrestations intervenant plus de 6 mois après la fin des grèves... Ces mouvements avaient la même thématique mais n’avaient mobilisé principalement que les habitants de Petite Terre (seconde île de Mayotte qui comprend en fait plusieurs îlots).
En 2011, ce sera une mobilisation qui va intervenir 5 mois après l’accession de Mayotte au statut de 101e département français, mais comme le disait le préfet de l’époque (qui sera distingué par le prix Papon par les associations de défense des migrants) un département c’est avant tout des devoirs avant des droits... Dur nouvelles pour les mahorais qui attendaient depuis des décennies ce département. Nul doute que la diaspora mahoraise va aussi jouer un grand rôle dans le déclenchement du mouvement car c’est elle qui va alerter les habitants de Mayotte sur la situation ubuesque de l’économie mahoraise.
Une économie d’inégalité
Une économie où les prix des denrées sont supérieurs à ce de la métropole depuis la fermeture des frontières économiques et humaines décidée dans les années 90 afin de développer le territoire... Mais des salaires qui restent eux bien inférieurs à la moyenne métropolitaine, le RSA n’existe pas comme l’ensemble des aides sociales que l’on retrouve dans la France métropolitaine et le SMIC n’est toujours pas l’équivalent de celui de la métropole... Une situation sociale et salariale catastrophique pour l’ensemble de la population à l’exception d’une grande majorité des métropolitains de l’île expatriés et surpayés grâce aux primes dont une ironiquement baptisée « prime contre la vie chère »...
C’est ce qui explique en partie la désertion des métropolitains des mobilisations, même si l’aversion de ces derniers pour les manifestations va plus révéler le renouveau d’un esprit colonial mal assumé et une inégalité intériorisée pour nombre de métropolitains. Le statut de colonie de Mayotte sera tellement criant lors de cette lutte que certains mzungus (= blancs) vont très vite retrouver les réflexes que l’on pensait disparus depuis l’Algérie des années 60 ; mais que la politique répressive des autorités, inspirée tout droit de la guerre contre révolutionnaire menée en Algérie, va refaire jaillir.
Les différentes phases de la mobilisation
Cette mobilisation de plus de 44 jours va connaître différentes phases. La répression décidée par les autorités locales dans les premières heures du mouvement va radicaliser ce dernier. Ainsi dès le 28 septembre 2011 le préfet va décider de déployer devant plusieurs centaines de manifestants pacifistes les deux blindés de maintien de l’ordre de la gendarmerie stationnés dans l’ensemble des Dom Tom depuis les manifestations des Antilles (Laissant penser que les DOM TOM restent des pays de « sauvages »). Ce déploiement inimaginable de forces de l’ordre va cristalliser les tensions entre grévistes, soutenus massivement par la population, et les autorités.
Des autorités qui n’auront de cesse d’aller crescendo dans la violence déployée à l’encontre des manifestants. Les tirs de grenades lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de flash ball deviennent le lot quotidien de chaque journée de mobilisation. Un choc pour une population qui avait toujours perçu la France comme la mère protectrice... Cette violence va faire son lot de victimes un enfant de neuf ans va perdre son œil à la suite d’un tir de flash ball [1], tout comme un adolescent de 14 ans qui perdra quand à lui sa mâchoire dans des circonstances similaires ; et enfin la mort dans des circonstances troubles d’un manifestant fuyant la violence policière.
L’État a le monopole de la violence légitime...
Mais un tel acharnement de la force publique ne va pas parvenir à démobiliser la population et va bien au contraire faire grossir les rangs des contestataires toujours plus nombreux jusqu’à atteindre plus de 15 000 manifestants pour une île qui compte 200 000 habitants le 13 octobre. Le seul effet que cette politique répressive va développer c’est le blocage partiel puis total de l’île et notamment des activités économiques. Les barrages vont fleurir partout sur l’île à l’issue de la troisième semaine dans le but d’éviter toutes confrontations avec les forces de l’ordre qui ont reçu d’importants renforts (comme le GIPN de la Réunion).
Un blocage qui va caractériser le mouvement sur les dernières semaines de mobilisation même si cette stratégie n’évitera pas toujours les incidents avec les forces répressives, incidents qui tourneront généralement à la faveur des grévistes (ce qui pèsera d’ailleurs dans les négociations). Mais un blocage qui va également cristalliser les tensions entre la communauté métropolitaine et le reste de l’île. Car le blocus économique met à mal des traditions de consommation [2]. Les incidents qui émailleront les blocages, deviendront très vite un outil pour les autorités qui s’appuyant sur un appareil médiatique tout acquis au discours gouvernemental n’hésitera pas à donner un caractère racial à des incidents qui opposaient seulement grévistes et non grévistes comme l’on voit parfois en marge des mobilisations en métropole. Un exemple de la doctrine contre-révolutionnaire, l’outil favori des autorités gouvernementales dans les colonies (dont les DOM TOM), que l’on hésitait pas à proposer à Ben Ali d’ailleurs début 2011.
Les âpres négociations qui vont accompagner ces 44 jours de grève ne trouvant pas d’issue et les tensions se faisant plus fortes autour des barricades une pause est décidée par le mouvement social sans que les négociations n’aient aboutit.
Le mouvement social ne reprendra qu’un mois plus tard le 19 décembre et ne durera cette fois ci que 2 jours. La signature d’un accord si rapide tient sans nul doute à l’essoufflement du mouvement et aux craintes de l’intersyndicale de voir ce mouvement devenir impopulaire si la lutte devait à nouveau s’éterniser [3].
La fin d’une lutte ?
L’accord trouvé en décembre 2011 reste encore loin des exigences des grévistes. Cet accord ressemble sans nul doute à une tentative de sortie de crise. Ce qui apparaît plus exact c’est que ce mouvement n’est que la prémisse d’autres mobilisations. Ce mouvement est le début d’un vaste mouvement social qui se cherche encore. Il a constitué une véritable onde de choc pour la population en mal de débouchés politiques... Une population qui n’a pas la tradition de la contestation et de la lutte sociale (il n’était pas rare qu’avant chaque manifestation ou action soit entonner successivement prières musulmanes et Marseillaise. Le drapeau français fleurissait aux côtés des drapeaux syndicaux et de certains autres à l’effigie de Mandela...). Chaque jours les syndicalistes synthétisaient l’avancement des négociations et déterminés les stratégies à venir en consultant leur « base » à travers les assemblées populaires ouvertes à tous et toutes qui se tenaient de manière journalière sur la place de la République rebaptisée pour l’occasion place Tahrir...
Même si plusieurs bémols sont à noter dans ce mouvement (le comportement pas toujours très clairvoyant de certains grévistes bloquant les véhicules de secours, des incidents prenant parfois un caractère communautaire sur certains barrages) comme dans chaque mouvement populaire ; la force de ce dernier aura sans nul doute d’être populaire et de faire entrer la société mahoraise dans une phase de contestation de son sort et d’aspiration à l’égalitarisme. Si la remise en cause d’un statut de colonie a gagné les rangs de la contestation, cette remise en cause était encore simplement de surface pas question pour autant de remettre en cause la présence française à Mayotte, la volonté affichée était celle de devenir un département comme un autre. Autre bémol et pas des moindres l’isolement dont aura été victime ce mouvement au contraire du mouvement des Antilles qui avait suscité un élan de solidarité important en métropole.
En France cette solidarité va prendre un caractère communautaire, les mobilisations de soutien ne vont se créer qu’autour de la communauté mahoraise vivant en France observée par les médias tel une bête curieuse, pas vraiment comme des citoyens égaux à part entière... Un statut qui n’est pas sans rappeler celui des Algériens des années 60, les français musulmans comme l’on disait à l’époque (des français de seconde zone). Un peu comme si Mayotte avait certes voulu être française mais n’avait pas réellement demander l’avis de la France, la France voulait-elle de Mayotte ??? Alors évidement on peut trouver beaucoup d’explication à un tel mutisme en France (même si certaines sections syndicales françaises ont apporté leur soutien), y compris le mutisme du mouvement social et de celles et ceux qui la composent (isolement du territoire, black-out médiatique, relais d’informations contradictoires, précarité des moyens de communications locaux, rôle ambigü de la communauté métropolitaine présente sur l’île, …). Il n’empêche qu’à l’heure où une population vivait un mouvement historique aux revendications populaires héritées de la spirale des révoltes de la faim, les grévistes mahorais ont vécu un isolement insoutenable et une indifférence devant des aspirations à l’égalité. Le seul soutien notable du mouvement restera celui du LKP aux Antilles.
Les revendications de la vie chère de l’égalité, de la fin du colonialisme dans les DOM TOM, ne serait-il que l’apanage des seuls DOM TOM ? L’anti-colonialisme et la justice sociale des thèmes obsolètes pour la métropole ?
Tibo