Un rapport d’enquête, rendu public mardi 10 janvier, jette une lumière nouvelle sur les événements qui ont déclenché le génocide au Rwanda au cours duquel huit cent mille personnes ont été tuées, pour la plupart de l’ethnie tutsie. Commandé en 2010 par les juges antiterroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux, ce rapport s’est appliqué à reconstituer les circonstances dans lesquelles l’avion qui transportait le président rwandais Juvénal Habyarimana a été abattu le 6 avril 1994, alors qu’il s’apprêtait à atterrir à Kigali. Le dirigeant hutu venait de promettre d’appliquer l’accord de paix prévoyant le partage du pouvoir avec la rébellion tutsie, rappelle un article du Nouvel Observateur [voir ci-dessous].
Une première enquête menée à partir de 1998 par le juge Bruguière accréditait jusque-là la thèse d’une attaque menée par les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement armé tutsi, dirigé par Paul Kagame, l’actuel président du Rwanda. En 2006, neuf mandats d’arrêt sont émis visant des proches de M. Kagame.
Or, selon le nouveau rapport présenté mardi, les missiles qui ont détruit l’appareil du président Habyarimana auraient été tirés du camp de Kanombe, tenu par les loyalistes hutus, et non par des Tutsis. Pour arriver à ces conclusions, le juge Trévidic s’est rendu sur place fin 2010, accompagné d’experts, spécialistes notamment des tirs de missile. Une initiative que n’avait pas prise le juge Bruguière.
« UNE JOURNÉE HISTORIQUE »
Réagissant à ce revirement de la justice française, Me Bernard Maingaint, avocat des proches du président Paul Kagame, a évoqué « une journée historique et très importante ». « Nos clients, qui ont été injustement accusés et poursuivis pendant des années, se trouvent confortés dans leurs positions », a dit l’avocat. Un point de vue que ne partage pas Me Jean-Yves Dupeux, avocat des enfants Habyarimana : « L’expertise ne peut désigner le camp hutu. Ce que dit l’expertise, c’est que, en l’état de leurs constatations, les tirs ne peuvent provenir du camp [de Paul Kagame]. Ça ne désigne pas pour autant le camp d’en face. »
Le gouvernement rwandais a quant à lui salué un rapport qui « rend justice à la position soutenue depuis longtemps par le Rwanda sur les circonstances entourant les événements de 1994 », selon la ministre des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo. « Il est clair pour tous désormais que l’attentat contre l’avion était un coup d’Etat mené par des extrémistes hutus et leurs conseillers. (...) Avec cette vérité scientifique, les juges Trévidic et Poux ont fermé brutalement la porte à dix-sept ans de campagne de négation du génocide », a-t-elle estimé.
L’enquête menée par le juge Bruguière a longtemps empoisonné les relations entre la France et le Rwanda, Paul Kagame considérant que Paris tentait de lui imputer la responsabilité du génocide. La délivrance de mandats d’arrêt en 2006 contre son entourage proche avait même provoqué la rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali, rétablies depuis. En déplacement au Rwanda en février 2010, Nicolas Sarkozy a reconnu des « erreurs » de la France, qui soutenait le régime Habyarimana, dont sont issus les génocidaires.
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 10.01.12 | 20h04 • Mis à jour le 10.01.12 | 21h21.
INFO OBS. Rwanda : révélations sur l’attentat qui a été le signal du génocide
L’attaque de l’avion qui a coûté la vie au président Habyarimana pourrait ne pas avoir été commise par les tutsis.
Quand le président rwandais, Juvénal Habyarimana, décolle de Tanzanie, le 6 avril 1994, il fait déjà nuit. Du fait de l’heure tardive et de l’insécurité qui règne dans son pays, son équipage français a tenté de le convaincre d’attendre le lendemain pour repartir. En vain. Le dirigeant hutu est pressé de quitter le sommet de Dar es-Salaam où, sous la pression, il a dû promettre d’appliquer enfin l’accord de paix prévoyant le partage du pouvoir avec la rébellion tutsie. Il doit aussi ramener chez-lui son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, également présent à la réunion.
A 20 heures 21, le Falcon annonce son approche à la tour de contrôle de l’aéroport de Kigali. Il apparaît tout phare allumé dans le ciel d’encre lorsqu’une balle traçante file à sa rencontre, décrit une courbe, puis redescend. Une seconde flamme orange part du sol et, cette fois, atteint sa cible. A 20 heures 25, l’avion explose en vol et s’écrase près de la résidence présidentielle. Le corps déchiqueté de Juvénal Habyarimana sera retrouvé dans ses propres jardins, ainsi que les dépouilles des trois Français membres d’équipage, Jacky Héraud, Jean-Pierre Minaberry et Jean-Michel Perrine.
Une thèse mise à mal
D’où le missile est-il parti ? La question peut paraître anecdotique, voire dépassée, dix-huit ans après les faits. Elle est pourtant l’une des clés de l’attentat qui a coûté la vie au dirigeant hutu et donné le signal du génocide de 800.000 Tutsis. Pour le juge Jean-Louis Bruguière, qui a le premier instruit l’affaire, sans jamais se rendre sur place, la roquette a été tirée par des rebelles du Front populaire rwandais, le FPR de Paul Kagamé, depuis Masaka, une colline boisée, située à quelques 4 km de l’aéroport. Le but ? Déclencher un processus de guerre pour faire tomber le régime.
Contrairement à leur prédécesseur, les deux magistrats qui ont repris depuis quatre ans l’instruction, Nathalie Poux et Marc Trévidic, sont partis du terrain et non de déclarations recueillies pour l’essentiel auprès d’opposants en exil à Paul Kagamé. Sept experts ont été dépêchés sur place : trois spécialistes en aéronautique, deux géomètres, un balisticien et un acousticien. Leur rapport qui sera remis cet après-midi aux parties fragilise un peu plus les conclusions du juge Bruguière déjà mises à mal par la rétractation de plusieurs témoins.
Selon nos informations, ils ont pu établir que l’avion qui volait alors à très basse altitude a été touché sur son flanc gauche à proximité du lieu du crash, soit à plus de trois kilomètres de la « ferme » de Masaka, point de départ présumé du missile. Cela supposerait alors que le tireur a accroché le Falcon alors qu’il arrivait dans sa direction, puis l’a laissé passer et l’a abattu par derrière. Les experts ont également étudié deux témoignages anciens, passés à l’époque inaperçus.
Deux témoignages clés
Le premier émane du dr Pasuch Massimo, un médecin militaire belge membre de la MINUAR, la mission des Nations unies, qui résidait dans un camp des Forces armées rwandaises (FAR) à Kanombe, près de la piste d’atterrissage. L’homme a été auditionné par l’auditorat militaire de Bruxelles quelques mois après l’attentat. Le 6 avril au soir, il se trouvait dans son living quand il a « entendu un bruit de souffle », puis a aperçu « un éclairage filant orange » et enfin « une boule de feu qui s’écrasait sur la parcelle du Président ».
Le second témoin est un Français, Grégoire de Saint-Quentin, lieutenant-colonel des troupes de marines. Assistant militaire auprès des FAR, il logeait lui aussi à l’intérieur du camp de Kanombe, dans la dernière ligne de maisons. « Vers 20 h 30, j’ai entendu le départ des coups, puis l’explosion, raconte-t-il sur PV à Jean-Louis Bruguière, le 8 juin 2000. Puis, j’ai vu une boule de feu dans le ciel ». Cet homme devenu depuis général a été auditionné une nouvelle fois par le juge Trévidic, le 7 décembre dernier. Il a confirmé avoir « entendu deux départs de coups » qu’il situe à 500 ou 1000 mètres de sa villa. Et d’ajouter : « C’était suffisamment proche pour que je crois qu’on attaquait le camp ».
L’expert en acoustique a étudié avec précision la configuration du lieu, la température, les conditions climatiques, afin de connaître les modalités de propagation du bruit, ce soir-là. Il apparaît hautement improbable que les deux militaires aient pu percevoir le souffle de missiles tirés à 3,750 k de là, au lieu dit de la ferme de Masaka. Et surtout, la vitesse de la lumière étant un million de fois plus rapide que celle du son, les deux hommes auraient dû voir l’avion exploser avant d’entendre les roquettes. Conclusion : les tireurs se trouvaient à proximité, voire à l’intérieur, du camp de Kanombe, tenu par des officiers rwandais pour la plupart hostiles au règlement de paix qui imposait la fusion des rebelles et de l’armée régulière. Cette autre piste n’a jamais véritablement été explorée par le juge Brugière : celle d’un coup d’Etat perpétré par des extrémistes hutus déterminés à empêcher l’application du traité d’Arusha et à en finir une bonne fois pour toute avec les Tutsis.
Christophe Boltanski
* Le Nouvel Observateur. Créé le 10-01-2012 à 12h01 - Mis à jour à 22h27.
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20120110.OBS8446/info-obs-rwanda-revelations-sur-l-attentat-qui-a-ete-le-signal-du-genocide.html