Depuis le printemps 2011, de nombreuses manifestations pacifiques spontanées, rassemblant jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de personnes, ont lieu à travers le monde. Au commencement, c’est peut-être le mouvement « Geração à rasca » (« génération dans la dèche »), lancé le 12 mars au Portugal et reconnu comme la plus grande manifestation que le pays ait connue depuis la révolution des œillets en 1974, qui inspira ce que l’on appelle aujourd’hui le mouvement des IndignéEs.
Celui-ci voit le jour, en Espagne, le 15 mai, avec pour unique revendication celle d’une réelle démocratie. Le mouvement du 15 mai, se réclamant aussi des influences du printemps arabe, et des mouvements grec et islandais de 2008, a alors très vite pris une certaine ampleur dans la péninsule ibérique. Considérant que les partis politiques ne les représentent plus et ne prennent aucune mesure en leur faveur, les Indignados espagnols se mettent à camper sur les places principales des villes, notamment à la Puerta del Sol à Madrid, jusqu’aux élections du 22 mai 2011.
Ces manifestantEs, pour la plupart assez jeunes et fortement touchéEs par le chômage, reçoivent alors l’appui de plus de 500 associations très diverses (tout en refusant la collaboration avec les partis politiques et les syndicats) et dénoncent le chômage, les mesures d’austérité et le pouvoir des banques. Les forces anti-émeutes finissent par les déloger avec violence et par interdire tout rassemblement mais la mobilisation ne s’arrête pas là, puisque le mouvement du 15 mai s’exporte très vite à l’étranger.
Des mouvements similaires, qui se réfèrent aux « IndignéEs », apparaissent alors dans d’autres pays. L’indignation devient européenne. Mais ces mobilisations, en mai 2011, sont bien moindres en dehors de l’Espagne. Il s’agit le plus souvent de manifestations quotidiennes rassemblant entre 30 et 300 personnes.
La Grèce après l’Espagne
Dès le 25 mai, c’est la Grèce qui s’indigne. À Athènes, sur la place Syntagma, les IndignéEs grecs convergent pour dénoncer la gestion désastreuse des finances publiques, les plans de rigueur imposés par le gouvernement et la corruption des hommes politiques. Le 5 juin, on estime entre 100 000 et 500 000, les personnes rassemblées en ce lieu. Puis le 15 juin, c’est un appel à la grève générale qui est lancé à la population afin de rejoindre les « IndignéEs » devant le Parlement.
À la suite de cette pression, le 9 novembre, le Premier ministre George Papandréou démissionne pour laisser place à un gouvernement d’union nationale dirigé par Loucas Papadémos. En Belgique, le mouvement des IndignéEs s’établit lui aussi dans plusieurs villes du royaume (Bruxelles, Liège, Namur…) regroupant quelques centaines de personnes jusqu’à ce que la police procède à l’expulsion des campements d’Ixelles et de Liège. Il faut attendre le mois de septembre et l’arrivée des marches européennes à Bruxelles pour voir à nouveau des IndignéEs en masse dans la capitale européenne.
En France, les premières manifestations de soutien aux Espagnols ont eu lieu aussi très vite. Le 15 mai, ils se rassemblent à Bayonne et les 19 et 29 mai à Paris, où 3 000 personnes convergent place de la Bastille. Dans plus d’une cinquantaine de villes, des manifestations et des rassemblements ont également lieu. Le mouvement se construit progressivement mais les difficultés restent massives : la répression policière est importante et toute tentative de campement est systématiquement compromise.
Le mouvement traverse l’Atlantique
À l’automne, les IndignéEs parisiens se sont mis à occuper la Défense, en écho aux actions d’« Occupy Wall Street », mouvement né aux États-Unis et lié à celui de « ¡Democracia real ya ! » Lancé par le magazine canadien Adbusters et relayée par plusieurs groupes de désobéissance civile américains dont les Anonymous, ce mouvement anticapitaliste sans leader s’indigne outre-Atlantique contre le trop grand pouvoir de la finance et l’accroissement des inégalités sociales. Il affirme représenter « les 99 % de la population contre les 1 % les plus riches ». L’occupation d’une place à Wall Street lance l’indignation à travers tout le pays. Le 6 octobre, on comptait 146 villes américaines mobilisées. Plus de 30 000 New-Yorkais sont finalement descendus dans les rues en résistance contre l’austérité.
Cette occupation a aussi donné des idées aux Londoniens puisque le 15 octobre, un collectif appelé « Occupy LSX » (Occupy London Stock Exchange) appelle à la première manifestation d’IndignéEs à Londres. Des tentes sont alors installées sur le parvis de la cathédrale Saint-Paul, au cœur de la City, puis sur Trafalgar Square et enfin dans un immeuble inoccupé de la banque suisse UBS, réquisitionné pour y créer une banque d’idées. Les forces de l’ordre interviendront mais l’exaspération est là, comme en témoignent les 2 millions de salariéEs de la fonction publique anglaise qui participent à la première grève générale depuis 1979 à Londres.
Cette même exaspération, alimentée par la hausse du coût de la vie et des inégalités, a aussi précipité, le 3 septembre, près d’un demi-million de personnes dans les rues à Tel-Aviv et dans les principales villes du pays. La démocratie israélienne est profondément malade de son système électoral et de la corruption ambiante. Les politiques israéliens sont interpellés par ces IndignéEs.
Et gagne l’Est
Tout comme en Russie d’ailleurs. En effet, au lendemain des élections russes et son lot de falsifications massives de la part du parti du pouvoir, presque 10 000 personnes se sont retrouvées à manifester dans la capitale. Après quoi, plus de 300 personnes ont été arrêtées à Moscou et autour de 200 à Saint-Pétersbourg. Le 10 décembre, alors qu’était annoncée une journée nationale de protestation, 100 000 personnes ont défilé sur la place Bolotnaïa, à Moscou, et à peu près autant en province, toutes villes confondues. Dans les rues, comme dans les autres pays, c’est un mélange d’euphorie de se retrouver ensemble et de colère face à cette usurpation de démocratie.
De la Tunisie à l’Espagne, de la Grèce à la France, du Royaume-Uni à Israël, des États-Unis à la Russie, la protestation se répand comme une traînée de poudre, et sur les places du monde les citoyenEs se rassemblent. Les situations de tous ces pays sont pourtant extrêmement différentes : les IndignéEs européens dénoncent les mesures d’austérité, les Uncuts anglais dénoncent les coupes budgétaires, les Occupy anglo-saxons ont pris pour cible la finance, les Russes s’indignent eux de la fraude électorale...
Autant de combats qui exigent la mise en place d’une réelle démocratie, d’une réelle réappropriation de l’espace public. À travers les assemblées populaires et l’exercice du consensus, le pouvoir est à nouveau entre les mains de tous. Le mouvement des IndignéEs s’autogère et met la démocratie participative au centre des débats. Les exigences locales sont mises en réseau et portées à d’autres niveaux, avec une mutualisation des revendications autour de ce même axe démocratique.
Mais quelles peuvent être les perspectives au niveau mondial ? Les luttes restent très localisées et les revendications très générales. Il faudra suivre avec attention ce à quoi aboutira l’appel à la grève internationale lancé pour le 15 mars 2012 et les projets portés par ces différents pays qui s’indignent... Même si le mouvement emportera très probablement l’adhésion des populations, il y a fort à parier que les perspectives seront bien difficiles à trouver pour ces IndignéEs.
Coralie Wawrzyniak