L’institut national de recherche sur la sécurité (INRS) a publié son rapport d’analyse des résultats d’une campagne de mesurage des concentrations en fibres sur les chantier de retrait d’amiante. Cette campagne avait été initiée par le ministère du Travail, après plusieurs rapports de l’Agence française de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (Afsset, devenue Anses) établissant la nocivité des fibres fines et courtes d’amiante, non prises en compte dans les dispositions réglementaires relatives au contrôle des niveaux d’empoussièrement en milieux professionnel et environnemental, et recommandant d’abaisser la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) de 100 à 10 fibres par litre d’air.
Les résultats sont alarmants. Ils établissent des niveaux d’empoussièrement très supérieurs à 10 fibres par litre d’air pour une majorité de matériaux amiantés (y compris lorsque l’amiante est liée, comme sur les toitures en amiante ciment) et de techniques de retrait, et ce même en cas de port d’appareils de protection respiratoire par les travailleurs (jusqu’à 242 fibres par litre pour le ponçage de plâtres amiantés avec protection respiratoire !). Pire : les appareils respiratoires réputés les plus performants (masques à adduction d’air, censés permettre de respirer un air pris sur une source non polluée) n’offrent pas toujours un facteur de protection suffisant pour atteindre le maximum de 10 fibres par litre !
Le ministère du Travail prévoit donc de modifier la réglementation dans le courant du premier semestre 2012 et a envoyé fin novembre une instruction aux services d’inspection du travail pour inciter les employeurs à augmenter les niveaux de protection et les maîtres d’ouvrage à préférer, pour les matériaux dont le retrait est fortement émissif de poussières, l’encoffrement des matériaux plutôt que leur retrait.
Ceci est cependant loin de régler la question. Dans son instruction, le ministère du Travail prévoit lui-même une période transitoire de... trois ans pour l’abaissement de la VLEP, délai bien large qui n’empêchera pas les employeurs d’envoyer les travailleurs de l’amiante s’exposer à l’inhalation de fibres sur les chantiers. D’autre part, les impératifs de préservation de la santé des travailleurs se heurtent clairement aux limites des techniques de retrait et de protection. De fait, l’instruction est surtout une circulaire « parapluie ». Elle vise à décharger les hautes sphères du ministère de la responsabilité pénale de l’État et à la reporter sur les inspecteurs et contrôleurs du travail... qui eux-mêmes ne disposent pas des équipements de protection permettant le contrôle des chantiers en toute sécurité !
Les rapports de l’Afsset et l’INRS démontrent que la réglementation actuellement en vigueur ne permet même pas de protéger les travailleurs de l’amiante des risques de maladies professionnelles particulièrement graves. Mais cette inadéquation constatée a posteriori ne résulte pas seulement de l’évolution des connaissances sur la nocivité des fibres, elle est surtout liée à la passivité de l’État français dans le traitement de la question de l’amiante afin de préserver les intérêts économiques des fabricants (Eternit, Valeo, Saint-Gobain en France par exemple). Rappelons que l’amiante n’a été interdite en France qu’en 1997, alors que ses effets hautement nocifs et cancérigènes ont été constatés dès le début du xxe siècle et qu’une faible exposition peut suffire à déclencher des maladies qui se déclarent parfois longtemps après. De 50 à 100 000 décès sont attendus en France d’ici 2025. Une liste noire qui pourrait s’allonger de milliers de travailleurs que l’on croyait protégés par la réglementation. Un nouveau scandale en perspective ?
Julien Lanoli