Rencontre avec Nawla Darwiche, qui assure en ce moment la présidence de l’association, et Mona Ezzat qui s’occupe notamment de l’organisation des campagnes.
NAWLA DARWICHE
“Femme Nouvelle“ n’est pas une “association de services”, mais une organisation de “plaidoyer social”. La plupart de ses militantes ont des racines politiques de gauche et défendent un féminisme ayant une portée sociale. Même si elle est assez connue, notre association a des moyens limités. Pour contourner les atteintes à la liberté d’association, nous avons commencé à exister en 1984 sous forme d’un comité ad-hoc, puis en 1991 sous la forme juridique de société à but non lucratif. En 2003, nous avons tenté d’être reconnue comme ONG, mais au bout de 2 mois et 2 jours, le Ministère des Affaires sociales nous a informé par courrier que cela nous avait été refusé sur avis des services de sécurité. Nous avons alors lancé une grande campagne nationale et internationale et nous avons reçu de nombreux soutiens.
Depuis des années, “Femme Nouvelle” s’occupe en Egypte de sujets tabous, comme par exemple les violences faites aux femmes. L’association a eu un rôle pionnier en ce domaine. C’est en effet la première organisation qui se soit battue contre les agressions physiques, sexuelles et morales. La situation des femmes au travail s’est beaucoup aggravée depuis 1993, raison supplémentaire pour tenter de briser le mur du silence.
La montée des fondamentalistes est effrayante. Certaines déclarations des responsables des Frères musulmans demandent, par exemple, que ceux-ci n’épousent que des femmes membres de la confrérie. Mais, simultanément, un nouvel esprit est né sur la place Tahrir : il n’y a pas eu un seul cas de harcèlement sexuel pendant les 18 jours qui ont fait tomber Moubarak. Il en a été de même dans les autres villes. Pendant ces 18 jours, un Frère musulman a même déclaré présenter ses excuses aux femmes qu’il aurait pu offenser. Le jour des élections, il n’a pas été signalé de cas de harcèlement sexuel.
Notre travail en direction des salariés est plus important que jamais car, depuis 2005, le nombre de mobilisations a franchi un seuil qualitatif. Nous sommes dans un moment historique où les militants des droits de l’Homme ont eu un rôle décisif à jouer. En effet, depuis plus de 50 ans, l’Egypte a connu un véritable vide politique avec des partis politiques fantoches. Si la société civile n’est pas à la hauteur et n’a pas de rapports plus étroits avec les masses, l’Egypte va revenir des dizaines d’années en arrière. Des progrès restent à faire du côté des syndicats au niveau de la prise en compte de la dimension femme, notamment au niveau de la formation.
En 2007, notre association a décidé de mener une étude de terrain sur les ouvrières de l’industrie [1].
C’était, à ma connaissance, la première fois qu’un tel travail était réalisé en Egypte. Elle portait sur 600 salariées employées dans trois secteurs où la concentration de main-d’œuvre fémininine est élevée : textile, industrie pharmaceutique et assemblage de pièces électroniques. Les résultats sont incroyables : nous n’imaginions pas un tel niveau de détresse. A la fois en tant que salariée et en tant que femme. Nous avons organisé trois tables rondes avec elles, et elles nous demandaient ce qu’elles devaient faire ainsi que ce que nous pouvions faire pour elles. Nous avons répondu que nous n’agissons pas à la place des gens, mais avec eux. On a publié un film documentaire avec les té- moignages de quatre ouvrières.
Mais nous ne voulions pas nous contenter de faire des recherches et traiter ces femmes comme des “animaux de laboratoire”. Nous voulions les aider à s’organiser. Depuis 2010, nous avons commencé une deuxième étape de recherche, plus qualitative. Ce n’est pas le nombre de personnes étudiées qui nous intéresse : ce n’est en effet pas notre fonction d’organiser les gens. L’association intervient dans des secteurs où il n’existe pas d’organisation syndicale. Elle fait le travail de prise de conscience, et elle met ensuite les ouvrières en contact avec la confédération indépendante.
Notre recherche a porté sur les “Zones franches”, qui existent dans les quatre gouvernorats d’Alexandrie, Suez, Ismaëlia et Port-Saïd. Les femmes qui vien- nent travailler dans ces usines sont, en général, originaires des zones rurales alentours. Elles sont doublement stigmatisées : sur leur lieu de travail, et dans la localité dont elles sont originaires. De plus, là où la densité de main-d’œuvre féminine est élevée, l’encadrement est masculin et le harcèlement sexuel répandu.
Nous avons décidé de procéder ainsi :
— Sélectionner des ONG de terrain pouvant procurer des formations ;
— Commencer à travailler avec les ouvrières sur les questions de genre, de
droits syndicaux, leur expliquer comment s’y prendre pour créer un syndicat, etc.
Sur la base de ce travail, des femmes d’autres secteurs nous ont alors contactés, comme par exemple des infirmières, ou encore des femmes de ménage à qui la loi interdit explicitement de former un syndicat. Et ces dernières nous ont demandé de les aider à en constituer un. On ne travaille pas seules dans notre coin. Au contraire, on cherche à le faire en réseau avec d’autres organisations, comme par exemple celles faisant de l’aide juridique. Lorsque des femmes syndicalistes nous contactent, nous les mettons en contact avec des avocats.
Nous publions également des communiqués de solidarité. Tous les quatre ans nous participons à la session sur les droits de l’Homme organisée par l’ONU : en février 2010, c’était le cas de l’Egypte qui était étudié. En plus de notre travail concernant les femmes, nous nous occupons également d’autres sujets comme la liberté d’organisation. “Femme nouvelle” a notamment contribué à empêcher une aggravation de la loi régissant les ONG.
MONA EZZAT
Les recherches que nous avons effectuées depuis 4 à 6 ans nous permettent de disposer de données sérieuses concernant la situation des femmes au travail [2]. Nous disposons maintenant d’un réseau d’informations de terrain ayant une certaine vision commune au sujet des droits des femmes. Les organisations avec lesquelles nous avons travaillé sont passées d’une attitude d’offre de services basée sur la charité, à une action de soutien aux revendications basées sur les droits humains.
Nous avons, par exemple, contribué à impliquer ces organisations de terrain dans une petite étude concernant le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Au début, la plupart de leurs membres n’étaient pas conscientes de ces discri- minations. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et elles créent dans leurs propres organisations des commissions sur la violence contre les femmes, les femmes au travail, etc.
Certaines ouvrières ont commencé à avancer des revendications spécifiques au genre, par exemple autour des droits liés à la maternité : il n’y a, par exemple, pas de congé maternité dans les "Zones économique spéciales”. Les ouvrières avec qui nous avons travaillé ont aidé d’autres à en prendre conscience. Nous sommes face à un véritable phénomène boule de neige : de plus en plus de femmes contactent le département “campagnes” de notre association.
Dans les entreprises de Suez, après avoir travaillé sur les droits humains, nous avons également abordé les droits de s’organiser et de se syndiquer. A un autre niveau, nous intervenons également dans les milieux académiques et politiques. Nous distribuons du matériel, des communiqués de presse, orga- nisons des conférences, etc.
Nous avons des contacts avec le Bureau international du travail (BIT), et bien entendu l’ONG Oxfam qui est notre bailleur de fonds. Ce que nous visons, à l’avenir, c’est développer les possibilités de leadership parmi les femmes travailleuses, qu’elles soient en capacité de négocier, de faire du lobbying. A l’occasion du 1° mai 2011, nous avons lancé parmi les femmes
et les hommes une pétition comportant une série de revendications concernant les femmes au travail, et pas seulement les ouvrières. Nous pensons que c’est important dans le cadre de la tentative de blocage du processus révolutionnaire. Le nouveau ministre du Travail peut être un point d’appui : c’est un ancien expert du BIT, et il connait donc très bien les normes internationales en vigueur. Il organise en ce moment des “consultations”, mais il ne semble pas être au courant que des associations de femmes existent en Egypte.
Lecture : http://whoisshe.wmf.org.eg/content/about-wmf