Trois mois après les élections qui lui ont assurée une victoire écrasante, Yingluck Shinawatra dirigeante du Puea Thai et première femme Premier ministre de Thaïlande doit faire face aux pires inondations depuis 1942.
Depuis le début de la mousson fin juillet, environ deux millions cinq cents mille personnes ont été affectées par les inondations dans 28 provinces du Nord et du Centre du pays. Plus de 400 personnes ont péri et des centaines de milliers d’autres sont tombées malades.
Le retour à la normal devrait prendre encore au moins 6 semaines. Les efforts sont maintenant concentrés pour éviter que le centre de la capitale Bangkok ne soit inondé, son poids économique représentant plus de 40% du PIB de la Thaïlande. La ville est complètement encerclée par les eaux et les autorités doivent faire face à une conjonction de fortes pluies, d’une marée haute empêchant l’écoulement des eaux vers la mer et l’arrivée massive d’eaux du Nord et du centre du pays inondés.
Bangkok a été protégée par d’immenses murs de sac de sables au détriment des provinces avoisinantes et des populations modestes qui les occupent. A l’extérieur de cette enceinte, l’eau ne peut pas s’écouler vers la mer. Elle peut atteindre plus de 1 mètre de haut submergeant les maisons environnantes. Les tensions et le ressentiment sont palpables et l’armée a été déployée pour protéger les digues de fortune.
Le gouvernement a été très vivement critiqué pour la mise en œuvre tardive d’aides jugées relativement inefficaces. Au-delà de cette crise, c’est l’ensemble de la gestion de l’eau qui est à revoir. Le département d’irrigation de l’office d’hydrologie et de gestion de l’eau a maintenu pendant plusieurs mois à un niveau très élevé l’eau dans les deux plus grands barrages, Sirikit et Bhumibol, sur les rivières Ping et Nan qui se jettent dans le fleuve Chao Phraya qui traverse Bangkok. L’eau contenue a dû être relâchée au pire moment accentuant les inondations en aval et aggravant la situation aux abords de la capitale.
Les dégâts matériels sont absolument considérables et les conséquences économiques se font déjà sentir. Les maisons et infrastructures ont été détruites ou endommagées par centaines de milliers. De larges zones de la plaine centrale, le grenier à riz de la Thaïlande, ont été submergées par les flots détruisant 10 % des récoltes du premier exportateur mondial de riz. Plusieurs zones économiques ont aussi été inondées affectant plus de 10000 usines, certaines ayant dû fermer. Des centaines de milliers d’emplois sont menacés et avec eux, le revenu de millions de personnes qui en dépendent.
L’économie thaïlandaise n’est pas seule affectée par les inondations. La Thaïlande produit des matières premières et des composants approvisionnant les chaînes de production manufacturières dans d’autres pays où ils sont utilisés pour fabriquer des produits finis sur place. C’est par exemple le cas dans la micro informatique et l’automobile. 60% des disques durs proviennent de Thaïlande et leur pénurie a entraîné une hausse des prix sur les marchés internationaux. L’industrie automobile représente, quant à elle, 12% du PIB et emploie 300000 personnes. La plupart des grands constructeurs, assembleurs et fabricants de pièces et de composants se sont installés en Thaïlande. L’arrêt de la production dans certaines usines entraîne des dysfonctionnements dans la chaîne de production d’autres pays. Ainsi Honda a déjà annoncé un ralentissement de sa production au Canada et aux États-Unis et Toyota au Japon. Cela pourrait aussi être le cas de la Chine, la première destination des exportations thaïlandaises.
Selon de premières prévisions qui n’incluent pas d’éventuels dégâts dans le centre de Bangkok, le coût des inondations pourrait s’élever à 4 milliards de dollars et représenter 1 à 1,5 % du PIB. Avec une économie qui tourne au ralenti, les rentrées fiscales sont au plus bas. Cette catastrophe naturelle aux conséquences sociales et économiques énormes pourrait avoir à plus long terme un impact sur la politique économique et les mesures sociales proposées par le Puea Thai en faveur de sa base électorale populaire durant la campagne électorale.
Pour l’instant, le gouvernement vient d’approuver une rallonge du déficit budgétaire de 50 milliards de baths pour la nouvelle année fiscale qui débute le 1er octobre, le portant à 400 milliards de baths (9,5 milliards d’euros). Tous les organismes de l’État et les ministères ont aussi été priés de réduire de 10% leurs dépenses afin de trouver 80 milliards de baths (1,9 milliards d’euros) pour financer l’aide et la reconstruction. Enfin, le gouvernement envisage la possibilité de se tourner vers les organismes multilatéraux pour emprunter plusieurs centaines de milliards de baths.
Parmi les mesures phares de la campagne électorale, le Puea Thai s’était engagé à porter le salaire minimum journalier à 300 baths (7 euros) pour tous au 1er janvier 2012. Actuellement, il n’y a pas de salaire minimum à l’échelle nationale mais un salaire minimum dans chaque province qui oscille entre 159 (3,75 euros) et 221 (5,20 euros) baths par jour.
Le salaire minimum en Thaïlande est déterminé et mis en œuvre par une commission tripartite composée de 15 membres – 5 représentants de l’État, 5 représentants des employeurs, 5 représentants des salariés. Mi octobre, un accord a été trouvé entre les représentants des salariés et de l’État, contre l’avis du patronat. Le salaire minimum sera augmenté de 40 % à l’échelle nationale à partir du 1er avril, ce qui le portera à environs 300 baths à Bangkok et dans 6 provinces où il est déjà assez élevé. Dans les 77 autres provinces, il restera donc en dessous du seuil des 300 baths promis durant la campagne électorale mais devrait progressivement augmenter jusqu’à 300 baths en trois ou quatre ans.
En imposant une hausse substantielle du salaire minimum journalier contre l’avis des industriels déjà affectés par les inondations, le gouvernement a envoyé un signal fort à sa base électorale composée principalement d’ouvriers et de paysans. Les petites et moyennes entreprises seront les plus affectées par la hausse des salaires. Mais si l’on regarde sur l’ensemble de la décennie, l’augmentation du salaire minimum n’a dépassé que deux fois l’inflation en 2001 et 2007 et globalement il a au mieux stagné.
La hausse du salaire minimum journalier est présentée par ces détracteurs comme une mesure populiste. Mais une augmentation substantielle devrait contribuer à diminuer les inégalités sociales profondes qui divisent la Thaïlande, l’un des pays les plus inégalitaires d’Asie. Cela pourrait constituer un premier pas permettant de relancer la consommation intérieure thaïlandaise, trop faible, et ainsi de contrebalancer une dépendance aux exportations qui représente actuellement 60 % du PIB.
Durant la campagne électorale, le Puea Thai a avancé d’autres mesures économiques en faveur des plus modestes qui composent la majorité de la population, comme de permettre aux emprunteurs de suspendre le remboursement de leur dette pendant 3 ans, de garantir le prix du riz, d’indexer le remboursement des prêts octroyés par l’État aux étudiants à leur revenus, de fixer à nouveau à 30 baths le prix de la couverture universelle pour les soins médicaux. La mise en œuvre de telles mesures bouleverserait en partie à moyen terme la structure socio-économique de la Thaïlande.
La crise provoquée par les inondations va être un véritable test politique. S’il veut tenir ses promesses de campagne et engager un programme de reconstruction post-inondation qui profite à la majorité, le gouvernement va devoir mettre en œuvre une politique fiscale courageuse qui va chercher l’argent là où il est, en premier lieu parmi les millionnaires thaïlandais et la famille royal et en diminuant drastiquement le budget de l’armée qui a explosé depuis le coup d’État militaire de 2006. Cela suppose de s’affronter aux élites qui ne sont pas disposées à payer une politique qui bénéficierait aux larges masses.
Enfin, même si la reconstruction constituera à n’en pas douter la tâche principale du gouvernement dans les mois à venir, il devra aussi répondre aux aspirations à la démocratie, à la justice sociale et aux changements politiques et sociaux que les Chemises rouges ont réclamé avec force ses dernières années. Le gouvernement répondra-t-il à ces attentes ?