Samedi 3 septembre a été le test dont le mouvement de protestation en Israël avait besoin pour montrer que l’aspiration à la justice sociale peut et doit être plus forte que la peur. 450 000 personnes ont envahi les rues à Tel Aviv et aussi de tout Israël pour exiger un réel changement de politiques, contre les choix néolibéraux imposés par les gouvernements successifs au cours des trente dernières années.
« Les tentes ne sont que l’emballage », a dit le président de l’Union nationale des étudiants (National Student Union), Itzik Shmuli, à la foule. « Le peuple d’Israël est au cœur de ce mouvement. Nous n’arrêterons pas cette protestation tant que vous, Monsieur le Premier ministre, ne nous donnerez de vraies solutions. »
Tous les orateurs, à Tel-Aviv et dans les autres villes, ont convenu que la protestation va entrer dans une nouvelle phase, avec des formes d’action nouvelles, mais le même niveau de mobilisation. « Il se pourrait que les campements deviennent plus concentrés et consolidés, mais ils ne vont pas plier. Les protestations vont continuer à devenir plus fortes jusqu’à ce que nos demandes soient satisfaites », a déclaré aux médias pendant la manifestation Roee Neuman, le porte-parole du campement du boulevard Rothschild à Tél-Aviv. A Jérusalem, la décision a été différente. Le président de l’Union des étudiants de l’Université hébraïque, Itai Gotler, a déclaré au quotidien Haaretz qu’ils allaient démanteler le principal campement à Jérusalem, tout en voulant maintenir vivante la lutte.
L’immense foule réunie en seulement quelques heures à Kikar Hamedina à Tel-Aviv a rassuré les dirigeants du mouvement, montrant qu’ils ont la force nécessaire pour affronter le gouvernement. « Ma génération a toujours eu l’impression que nous étions isolés dans ce monde, mais maintenant nous sentons la solidarité », a déclarée Daphnée Leef. Elle a été la première à planter une tente au boulevard Rothschild et est l’une des dirigeantes du mouvement les plus critiquées ces derniers jours par les médias conservateurs.
« Après six semaines de manifestations, ce mouvement est devenu mature », a expliqué Idan, un organisateur actif des manifestations, à l’Alternative Information Center (AIC) à Jérusalem. « Les gens ont pris conscience de la situation. Pour le gouvernement, la stabilité consiste à ignorer ce qui se passe dans les rues d’Israël, mais maintenant Netanyahu est obligé d’écouter nos protestations et d’agir ».
La justice sociale et l’égalité sont les slogans des manifestations. Rien n’a changé depuis la fin juillet, et la conscience politique n’a pas augmenté. La principale question est de savoir si ce mouvement pourrait faire naître un nouveau parti politique et provoquer un changement structurel de la scène politique israélienne, en mesure de contester la politique coloniale des gouvernements israéliens. Quel est l’avenir du mouvement ? Quels sont les plans et les espoirs des Israéliens qui ont pris part à la protestation ?
« Je ne sais pas ce qui se passera après cette protestation, je ne peux pas prédire l’avenir », déclarait Eyal, un jeune père à la manifestation de Jérusalem. « Je ne pense pas que ce mouvement pourrait se politiser, car nos revendications sont seulement économiques et sociales ». Beaucoup d’autres, qui manifestaient à Jérusalem hier, partageaient cette vision. « Je n’ai pas de vision politique. Ce que je demande, c’est seulement la justice sociale », ajoutait Idan.
Angela, active dans le mouvement de base à Jérusalem, est très critique. Elle a tenu dans ses mains une petite pancarte : « Les Palestiniens demandent aussi la justice sociale. » « Nous devons commencer à parler de la question palestinienne, de l’occupation militaire et de la politique coloniale de Netanyahu », a-t-elle dit à l’AIC. « Je ne sais pas ce qui se passera dans les prochains jours parce que même si la plupart des organisateurs des manifestations sont de gauche, ils ont délibérément évité de parler de la question palestinienne et de toute autre question politique, afin de ne pas diviser ou détruire le mouvement. »
Les Palestiniens qui protestaient hier soir à Jérusalem ont été très peu nombreux : il y avait quelques Bédouins du Néguev, loin des manifestants, comme un corps séparé. « Israël a volé les terres de ses citoyens arabes du Néguev » proclamait leur banderole.
« Israël veut faire oublier les protestations internes au nom de sa sécurité », a déclarée Dana, une étudiante. « Après les attentats d’Eilat certaines manifestations ont été annulées, mais le fait qu’aujourd’hui nous sommes ensemble et plus nombreux signifie que nous avons sont les moyens et que nous voulons continuer cette protestation. » L’avenir ? « Des élections anticipées. »
Toutefois, selon les récents sondages, la droite israélienne n’a pas perdu de voix et si des élections anticipées avaient lieu, les partis religieux et nationalistes gagneraient plus de la moitié des sièges à la Knesset.
L’absence d’une vision politique commune, le consentement tacite envers la politique colonialiste et militariste de Netanyahu, le fait qu’en octobre les étudiants vont reprendre l’université et de nombreux jeunes seront appelés dans l’armée, soulèvent la question de l’avenir de ce mouvement.
Samedi soir, le mot solidarité a également été utilisé plusieurs fois à Haïfa. Depuis le début des mobilisations, dans cette ville du nord, la justice sociale allait de pair avec la solidarité sociale et l’union entre Juifs et Palestiniens. Au pied des jardins Bahai, le président du syndicat étudiant de l’Université de Haïfa, Yossi Shalom, s’est adressé à 40 000 personnes : « Il n’y a pas plus beau spectacle que celui de la solidarité sociale. En tant qu’étudiant, c’est la leçon la plus importante que j’ai apprise au cours de ces derniers mois ».
Un des fondateurs du principal campement palestinien de Haïfa, Shanin Nasser, a également été très ému par le nombre de personnes présentes. Il y a seulement quelques semaines, quand 15 personnes sont mortes à Eilat dans les attentats, puis 15 autres lors des bombardements israéliens sur Gaza, Nasser et ses amis du quartier de Wadi Nisnas étaient inquiets, craignant les effets sur le nouveau partenariat qu’ils tentent de construire avec la jeunesse juive de Haïfa. Hier leurs espoirs ont été restaurés. « Aujourd’hui, nous changeons les règles du jeu. Plus de coexistence basée sur le houmous et les fèves. Ce qui se passe ici est la véritable coexistence, quand les Arabes et les Juifs marchent ensemble, bras dessous-bras dessus en réclamant la justice sociale et la paix », soulignait le jeune journaliste.
Les mises en garde du gouvernement sur la possibilité de roquettes lancées à partir de Gaza ont empêché les manifestations dans les villes de Beer Sheva, d’Ashdod et d’Ashkelon. Mais les manifestants de ces villes du sud se sont déplacés vers le nord ou le centre du pays pour rejoindre les manifestations et les campements des autres villes.
Les manifestations tant attendues du 3 septembre ont été un succès. Vient maintenant la partie difficile. Le mouvement populaire devra utiliser ces 450 000 voix pour forcer le gouvernement à se mettre à la table de négociation et pour obtenir des changements concrets, non de commissions ou des promesses, mais des solutions. Dans trois semaines, le gouvernement israélien, la société et probablement le monde entier auront les yeux tournés vers les Nations Unies et la demande palestinienne de voir leur État reconnu. Après commencera un mois de fêtes juives. C’est maintenant qu’il faut l’emporter.
Mikaela Levin et Marta Fortunato