Beaucoup d’élus, d’économistes et de journalistes louent le rôle du FMI dans la crise internationale qui a démarré en 2007. Pourtant, le FMI revient de loin. A partir de 2004, l’augmentation importante des cours des matières premières a provoqué un net accroissement des réserves de change des pays en développement qui atteignaient en 2008 le triple de celles du Japon, de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord réunis. Nombre de pays du Sud les ont utilisées pour rembourser de manière anticipée le FMI, réduisant ainsi leur dépendance à son égard. Discrédité par le désastre social des politiques qu’il a imposées au Sud, le FMI a néanmoins profité de la crise qui a éclaté en 2007-2008 pour reprendre pied et généraliser au Nord les mêmes politiques néfastes.
Profitant de cette crise, le FMI ne l’a absolument pas anticipée. L’examen des rapports semestriels intitulés Perspectives de l’économie mondiale dans lesquels le FMI dévoile ses prévisions sur l’état futur de l’économie globale est édifiant.
D’une manière globale, au moins jusqu’au mois d’octobre 2007, les messages généraux du FMI étaient optimistes. Ils confortaient l’opinion dominante du moment : l’idée que le monde était entré dans une période de « grande modération » caractérisée par une forte croissance mondiale et une faible volatilité financière, les récessions graves pouvant désormais être évitées. Ainsi, le FMI prévoyait en avril 2007 que « la croissance mondiale devrait rester vigoureuse en 2007 et 2008 » (Perspectives de l’économie mondiale, avril 2007, p.15). Alors que ce rapport prévoyait une croissance mondiale de 4,9% pour les années 2007-2008, sa mise à jour de juillet se montrait encore plus optimiste : 5,2% ! En réalité, la croissance mondiale s’est élevée à 3,9% en 2007 et 1,9% en 2008. On pouvait aussi lire : « Globalement, les perspectives semblent moins menacées qu’il y a 6 mois » [1]. Saluons l’exploit du FMI et de sa troupe d’experts économistes qui n’entrevoient aucunement les prémices de la crise qu’ils ont pourtant sous les yeux.
Non content de n’avoir pas prévu la crise, le FMI est de plus resté très optimiste lors de son éclatement et n’a pas anticipé qu’elle allait se propager des Etats-Unis à l’Europe et affecterait la santé économique de la planète. A ce sujet, l’examen des différents rapports du FMI ainsi que des déclarations de ses plus hauts dirigeants prêteraient à sourire si on pouvait faire abstraction du mal qu’a causé indirectement le FMI en ne voyant rien venir et en ne prévenant pas ses 187 pays membres des risques de contagion de la crise américaine.
Jusqu’en août 2007, la direction du FMI estimait que les perspectives économiques mondiales étaient « très bien orientées ». Dix mois plus tard, le directeur du FMI de l’époque Dominique Strauss-Kahn déclarait au sujet du secteur financier : « les pires nouvelles sont derrières nous ». En septembre 2008, la banque d’affaires américaine Lehman Brothers était déclarée en faillite. Le paroxysme de la crise fut atteint à ce moment-là. En effet, dans le mois qui a suivi cette faillite, les gouvernants et les banques centrales des Etats-Unis et de l’Europe ont vivement réagi en injectant des centaines de milliards de dollars et d’euros pour empêcher que le système financier des pays les plus industrialisés ne s’effondre.
Revenons un an en arrière. En juillet 2007, le FMI revoyait ses perspectives de croissance mondiale à la hausse. Il affirmait : « Tandis que la correction du secteur immobilier se poursuit, les risques globalement baissiers liés à la demande intérieure américaine se sont un peu estompés. Les risques haussiers pour la croissance dans la zone euro et dans les pays émergents signalés en avril se sont en partie matérialisés et ont été intégrés dans les projections de base. De plus, des progrès ont été faits qui ont réduit le risque de correction désordonnée des déséquilibres mondiaux (…) » [2]. En totale contradiction avec ceci, le secteur immobilier américain a bien continué à dégringoler à l’automne 2007. Des centaines de milliers de gens se sont retrouvés à la rue. Parler de « risques haussiers pour la zone euro » révèle un manque complet d’anticipation de la transmission de la crise américaine à l’Europe. La prétendue réduction du « risque de correction désordonnée des déséquilibres mondiaux » laisse sans voix au regard de ce qui s’est produit peu de temps après.
Le constat général que nous pouvons tirer est le suivant : le FMI, l’institution internationale chargée de veiller à la stabilité financière mondiale, n’a pas anticipé la crise de 2007-2008. Il n’a pas prévu que la crise allait éclater en 2007 aux Etats-Unis ni qu’elle allait par la suite s’étendre au monde entier. DSK lui-même a admis en début 2011 que son institution « avait vu ses prévisions économiques et financières mises en échec par la crise mondiale ».
Etats-Unis : Le FMI a chanté les louanges du secteur financier qui a déclenché la crise
Non seulement le FMI n’a pas pressenti la crise aux Etats-Unis mais en plus il a souvent mis en avant et pris en exemple le modèle financier américain. Une série d’affirmations écrites dans les rapports du FMI l’illustre très clairement. Alors qu’à la mi-2006 la bulle immobilière était sur le point d’éclater, le FMI a nié les dangers qui menaçaient l’économie des Etats-Unis : « Les taux de défaillance sur crédits hypothécaires ont, de tout temps, été bas. Ajouté à la titrisation du marché hypothécaire, ceci permet de penser que l’impact d’un ralentissement du marché immobilier sur le secteur financier serait limité [3] » [4]. Pour bien comprendre ce passage, il faut savoir que selon le FMI, la titrisation réduit les risques ! Nombre d’affirmations en témoignent. En voici une extraite du rapport sur la stabilité financière dans le monde : « La titrisation et, plus généralement, l’innovation financière ont rendu les marchés plus efficaces en répartissant mieux les risques » [5]. Ainsi, d’après le FMI, le fait pour les banques d’intégrer les crédits à haut risque (subprime) à des produits structurés (Collateralised Debt Obligation, CDO) pour les vendre sur les marchés financiers (opération qui, au passage, leur permettait de sortir ces créances douteuses de leurs bilans) est une pratique exemplaire et permet de diluer les risques ! A noter aussi au passage que les agences de notation ne faisaient pas mieux en attribuant la note maximale AAA aux CDO et autres produits structurés.
Mais le FMI ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Il a fait plus fort encore. En effet, non content de saluer la titrisation comme un procédé modèle (qui, faut-il le rappeler, a mené à la plus grande crise que le monde ait connu depuis les années 1930), le FMI a encouragé d’autres pays à adopter ce genre de pratiques qui étaient censées booster la rentabilité des actifs financiers. Ainsi, par exemple, le FMI conseillait au Canada d’imiter la dérégulation financière made in USA : « Les stratégies timorées du système bancaire canadien donne des rendements sur actifs beaucoup plus faibles qu’aux Etats-Unis » (FMI, Rapport pour les consultations de 2007 au titre de l’article 4 avec le Canada). Il conseillait aussi à l’Allemagne de s’aligner sur le modèle financier américain. L’Allemagne et le Canada étaient classés par le FMI dans un groupe de pays où « la rentabilité n’a pas encore atteint les niveaux internationaux et où l’innovation doit encore progresser » [6]. Dans ces pays, les conseils du FMI ont mis l’accent sur la nécessité de réformes axées sur le marché afin de surmonter les soi-disant entraves structurelles alors que ce sont justement certaines d’entre elles qui ont contribué à protéger ces pays de la crise. En clair, le FMI a conseillé au Canada et à l’Allemagne, entre autres, des mesures qui, si elles avaient été appliquées, auraient aggravé la crise. L’Allemagne et le Canada ont donc été protégés de la crise parce qu’ils n’ont pas accepté les recommandations du FMI. Mais tous les pays n’ont pas refusé les réformes proposées par cette organisation. Aussi, non content de ne pas avoir prévu la crise aux Etats-Unis ni son extension planétaire, le FMI a contribué au renforcement de cette dernière en conseillant à ses pays membres de déréglementer leurs marchés financiers selon le « modèle » états-unien !
D’une manière générale, le FMI a évalué très positivement le système bancaire et financier des Etats-Unis jusqu’en 2007, année du début de la débâcle économique américaine. Nous nous contenterons de mentionner deux messages clés révélateurs de cet état de fait. Voici ce que déclaraient les responsables du FMI au sujet des Etats-Unis en 2007 : « Les banques commerciales et d’investissement proprement dites sont foncièrement en bonne santé financière et les risques systémiques semblent faibles » (FMI, Rapport pour les consultations de 2007 au titre de l’article 4 avec les Etats-Unis). Toujours en 2007 et à propos des Etats-Unis, les mêmes responsables affirmaient : « Bien qu’il n’y ait pas de place pour la complaisance, il semble que l’innovation ait épaulé la solidité du système financier. Les nouveaux marchés de transfert des risques ont favorisé la dispersion du risque de crédit, d’un noyau où l’aléa moral est concentré, vers la périphérie où la discipline de marché est le principal frein à la prise de risques. (…) Si l’alternance des périodes d’euphorie et de panique n’ont pas disparu — les phases d’expansion–récession du crédit hypothécaire à risque en étant la dernière illustration — les marchés ont montré leur capacité à s’autoréguler » [7].
L’Union européenne, « vers une expansion durable » selon le FMI en 2007
Nous avons vu que le FMI n’a pas anticipé la crise aux Etats-Unis ni son extension à l’Europe. Tournons-nous vers le vieux continent. Sans surprise, avant la crise le FMI était positif et optimiste au sujet de l’Union européenne : « Les perspectives sont les plus favorables depuis plusieurs années. L’économie s’oriente vers une expansion durable, imputable pour partie à des considérations cycliques, mais aussi aux politiques mises en œuvre. (…) L’environnement extérieur est jugé globalement propice » [8]. Le FMI était aussi confiant vis-à-vis des marchés financiers européens. Il était rassuré que « la volatilité du marché financier et les primes de risque soient à leur plus bas niveau historique » [9]. La naïveté et l’aveuglement du FMI prêteraient à sourire si les conséquences de la crise pour l’Europe n’avaient pas été aussi désastreuses.
Le FMI, supporter enthousiaste du Tigre celtique
Beaucoup de prévisions du FMI se sont révélées inexactes mais peu semblent aussi ridicules que celles adressées à l’Irlande, le « tigre celtique » dont le FMI a fait l’éloge pendant des années. Extraits choisis des louanges et prédictions : « L’économie irlandaise a été remarquablement performante au cours des dix dernières années. Le taux moyen de croissance du PIB réel a été d’environ 7 % par an au cours de la période 1995–2004. (…) Ces résultats impressionnants sont pour une large part attribuables à la politique économique avisée des autorités, y compris une politique budgétaire prudente, une fiscalité légère sur la main-d’œuvre et les revenus des entreprises et des accords de partenariat social qui ont contribué à la modération salariale. L’économie reste très performante. (…) La hausse des prix de l’immobilier, qui s’était ralentie jusqu’au milieu de 2005, a repris sur fond d’expansion rapide du crédit. En réponse au relâchement des règles de prêt, les autorités ont accru la pondération des risques des hypothèques résidentielles. En mars 2006, une équipe du FMI s’est rendue à Dublin pour actualiser le Programme d’évaluation du secteur financier de 2000 (PESF). L’équipe a constaté que le système financier irlandais demeure robuste » [10]. En effet, on retrouve ceci dans les conclusions de la mise à jour du programme d’évaluation de la stabilité financière de l’Irlande : « Les perspectives du système financier sont positives, les institutions financières disposant de marges suffisantes pour amortir une série de chocs » [11].
En résumé, selon le FMI tout allait bien pour l’Irlande. Les prix de l’immobilier étaient en hausse, une bulle spéculative se formait… Pas de problème, répondait le FMI puisque les autorités ont augmenté « la pondération des risques des hypothèques résidentielles ». Le FMI ne s’est pas inquiété outre mesure de l’endettement exceptionnel des ménages encouragé par la déréglementation financière, notamment via des emprunts hypothécaires, qui avait pourtant atteint 190% du PIB avant la crise. Le fait que le secteur bancaire irlandais était surdimensionné avec un total des capitalisations boursières, des émissions d’obligation et des actifs des banques équivalant à 14 fois le PIB de ce pays n’a pas non plus semblé déranger le FMI [12]]]. Les bulles immobilières et boursières qui s’étaient développées dans les années 2000 au nez et à la barbe du FMI éclatèrent en septembre-octobre 2008. Elles causèrent un véritable chaos social dont l’Irlande ne s’est toujours pas remise, avec notamment un taux de chômage qui est passé de 0% en 2008 à 14% début 2010.
Conclusion
Le rapport du bureau indépendant d’évaluation (BEI) du FMI souligne : « L’opinion dominante au sein des services du FMI — groupe cohésif de macroéconomistes — était que la discipline et l’auto-régulation du marché suffiraient à écarter tout problème majeur des institutions financières. Toujours selon la pensée dominante, les crises étaient peu probables dans les pays avancés dont le degré de « sophistication » des marchés financiers leur permettrait de progresser sans encombres avec une régulation minimale d’une part importante et croissante du système financier » [13].
Un rapport plus récent réalisé par le même organisme révèle que : « Parmi les autorités interrogées, beaucoup ont estimé que les études du FMI étaient hautement prévisibles et ne permettaient pas l’expression de points de vue alternatifs. Cette opinion concernait l’ensemble des productions analytiques du Fonds » [14].
Comme l’affirmait, Joseph Stiglitz, ancien n°2 de la Banque mondiale entre 1997 et 2000 : « Si l’on examine le FMI comme si son objectif était de servir les intérêts de la communauté financière, on trouve un sens à des actes qui, sans cela, paraîtraient contradictoires et intellectuellement incohérents » [15]. Loin de servir l’intérêt des populations affectées par la crise, loin d’agir pour le plein emploi comme ses statuts l’exigent, le FMI est au service des grandes puissances et des entreprises transnationales parmi lesquelles les grandes sociétés financières privées jouent un rôle fondamental. Dans ce contexte, à l’aune des conditions de vie des plus démunis dont l’amélioration devrait guider toute politique digne de ce nom, il est nécessaire d’agir pour sa dissolution et son remplacement par une institution démocratique et centrée sur la garantie des droits fondamentaux, en un mot une institution « utile ». Tout le contraire du FMI actuel…
François Sana