Le féminisme radical se penche sur les causes structurelles de la situation des femmes ; il analyse les rapports sociaux de sexe et la culture comme source de l’oppression patriarcale. Son radicalisme consiste à identifier les causes de la violence masculine (viol, harcèlement, discrimination dans l’emploi, prostitution, violence domestique, pornographie ...) avec le but d’en finir avec ces violences. Il est impossible de trouver des solutions durables sans un diagnostic « radical ». Les féministes radicales se battent avant tout pour l’égalité.
Quand nous parlons de la violence inhérente au système, nous abordons des domaines tels que les organes répressifs de l’appareil d’Etat, l’endoctrinement (idéologique) ou l’intériorisation de la répression.
Caliban et la sorcière – Femmes, corps et accumulation originelle (Silvia Federici)
Le 4e livre du Capital
La leçon politique à tirer de « Caliban et la sorcière » consiste en ce que le capitalisme, en tant que système économique et social, est nécessairement liée au racisme et au sexisme.
Le capitalisme doit justifier et mystifier les contradictions intégrées dans leurs relations sociales qui le sous-tendent :
– la promesse de liberté, face à la réalité de la contrainte généralisée,
– la promesse de prospérité, face à la réalité de la privation massive…
… tout en dénigrant la « nature » de celles et ceux qu’il a exploité : femmes, sujets coloniaux, descendants d’esclaves africains, immigrants, personnes déplacées par la mondialisation.
Ainsi, au cœur du capitalisme, il n’y a pas seulement une relation symbiotique entre salariat et esclavage, mais nous nous pouvons aussi déceler une dialectique entre accumulation et destruction de formes de vie ; un anéantissement dont les femmes ont payé le prix fort, à travers leur corps, leur travail, leur existence.
Ce livre montre que ce ne fut pas une entreprise facile que de transformer les humains en salariés ou en esclaves, ni d’enfermer les femmes à la maison, soumises à l’autorité des hommes. Federici explique comment et pourquoi s’est produite la soumission de la vie aux lois du marché capitaliste. Son étude fournit les clés pour comprendre la formation du système. Ce travail permet, par la même occasion, de relire l’histoire sous une optique matérialiste, depuis le Moyen Age jusqu’à la modernité : l’émancipation des paysans qui ont survécu à la peste noire, la politique délibérée d’expropriation des terres, le véritable génocide contre les femmes qu’a été la chasse aux sorcières, puis l’imposition de la vision mécaniste du corps humain – autant d’éléments qui nous ont conduit vers une discipline stratégique, où les forces de la nature ont été domestiquées au profit de l’accumulation capitaliste…
De l’émancipation de l’esclavage jusqu’à l’hérésie subversive, un fil rouge traverse l’histoire de la transition du féodalisme au capitalisme. Le triomphe des pouvoirs étatiques et l’émergence de la formation sociale qui finira par prendre le nom du capitalisme, n’ont pas eu lieu sans recourir à une violence extrême. L’accumulation capitaliste primitive a exigé l’écrasement des mouvements plébéiens, urbains et paysans, qui avaient mis en œuvre diverses expériences de vie communale et de répartition des richesses, généralement sous la bannière d’hérésies religieuses. Leur anéantissement a ouvert la voie à l’expropriation, à la formation de l’Etat moderne et à la privatisation des terres communales, à la conquête et le pillage de l’Amérique, à l’ouverture du commerce des esclaves… dans une guerre de grande envergure contre toutes les formes de vie et de culture populaire qui ciblait les femmes, leur autonomie et leur corps, comme un objectif de toute première importance. Leur asservissement devenait un socle indispensable à l’architecture du nouveau système.
À travers son étude de la chasse aux sorcières, Federici, non seulement décrypte l’un des événements les plus indicibles de l’histoire moderne, mais met en lumière un épisode qui est au cœur d’une dynamique puissante de condamnation sociale dirigée sur le corps, la connaissance et la reproduction des femmes. Ce travail suppose également la prise en compte de voix inattendues (celles des subordonnés, Caliban et la sorcière), qui résonnent encore fortement aujourd’hui dans les luttes permanentes contre la violence originelle.
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Rappelons ce que veulent les femmes : une société sans violences, fondée sur l’égalité. Une société dont le but serait le bonheur de l’ensemble de la population et non l’accumulation de richesses aux mains d’une poignée de privilégiés. Les racines de la violence contre les femmes nous montrent la voie à suivre pour déconstruire ce que le système a installé dans nos sociétés pour soumettre notre corps - et dominer la nature dans son ensemble. Comprendre ses mécanismes nous donne les moyens de restaurer le sens commun, le respect de la vie, la justice, et de fixer de nouvelles formes collectives d’organisation sociale. Voici donc un travail fournissant, enfin, les moyens de comprendre et d’entamer la lutte pour récupérer ce qui a nous été volé...
Silvia Federici est professeur à l’Université Hofstra à New York. Militante féministe depuis 1960, a participé à des discussions internationales sur le statut et la rémunération du travail domestique. Durant les années 1980, elle a travaillé également comme enseignante au Nigeria, où elle a été témoin d’une nouvelle vague d’attaques contre les biens communs, en Afrique.
Sylviane DAHAN
Banyoles, 27/8/2011
Illustration de William Blake. L’Europe soutenue par l’Afrique et l’Amérique, 1796 [non reproduite ici]