Inutile de revenir sur l’état présent du NPA. Peu de monde oserait dire qu’il ne s’agit que d’une crise de croissance. Aussi, les opinions sur le pourquoi et le comment de la situation actuelle ne peuvent-elles qu’être nombreuses.
Les tensions explosives actuelles ne sont pas essentiellement dues à des questions de tactique politique sur le front électoral, au degré de compromis dans des alliances pragmatiques ou à des conceptions divergentes sur un Front uni revisité. On ne peut comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui qu’en revenant aux sources, qu’en regardant loin dernière nous.
Le NPA a été largement porté sur les fonds baptismaux de par la volonté de la LCR. La période s’y prêtait absolument, tant du point de vue du champ politique à gauche que du mouvement social. Il n’y a pas eu d’erreur de timing.
Mais l’initiatrice principale – la LCR – était une organisation en crise grave. Crise que l’on peut résumer ainsi : dessèchement programmatique, marginalisation voire démission des cercles d’élaboration et d’actualisation de la réflexion (un groupe d’étude économique sans rapport avec les organes de direction, démission ou isolement de cadres anciens ayant un apport théorique possible, début du processus d’aller « écrire ailleurs » plutôt que dans les organes de la LCR, hermétisme grandissant des discussions internes par rapport à ce qui se produit en dehors (et souvent par des militants de la LCR ou des ex) : Attac, Solidaires, revues diverses.
De cette dérive fatale, à partir du début des années 2000, pour une organisation se réclamant d’une longue tradition marxiste critique, vont naître un certain nombre de pratiques et de « manières d’être » qui démarrent sous la LCR et vont se poursuivre et s’accentuer dans le NPA. Avec notamment un système d’expression autour du mot « révolutionnaire » qui perd son sens premier, théorique et pratique, de lutte pour subvertir un système et poser la question du pouvoir. Qui s’est transformé en « marqueur » identitaire autour de quelques postures tactiques et d’une relation plus proclamée qu’organique avec la « classe ouvrière ».
On pourrait dire que c’est presque une dérive fatale, inévitable, pour une très petite organisation, très minoritaire au fil de décennies, consumant peu à peu sa réserve vitale acquise en 1968. Notons au passage que depuis les débuts du mouvement ouvrier français jamais il n’y a eu une telle durée, une telle attente de « l’événement » refondateur d’une nouvelle génération militante large, prenant à sa charge l’élaboration d’une mise à jour programmatique. 45 ans à date entre mai 68 et aujourd’hui et on attend toujours !
Notre histoire fut, durant un temps, celle d’une résistance théorique audacieuse aux mièvreries d’un mouvement ouvrier en décomposition, en dépit, c’est vrai, d’un vieux fond nostalgique sur le modèle historique de la révolution russe (« Tournez vos armes contre vos généraux »). Mais, au bout du compte, un appauvrissement théorique et pratique finit par se chercher une justification existentielle. Elle peut prendre la posture de l’éternel témoin (Lutte Ouvrière) ou de l’accompagnateur des luttes (la LCR des années 2000). L’un des tournants majeurs fut donc, hélas, celui de l’alliance (électorale) avec « nos camarades de LO » - LO une secte politique au recrutement par clonage comportemental que nous devrions dénoncer comme telle. Dans cette période, la LCR a très fortement accentué un vocabulaire, un profil, un rituel ouvriériste. La petite musique gauchiste qui s’en dégageait cachait finalement assez mal la raison électoraliste de cette alliance de circonstance : faire un score à deux, bénéficier des retombées financières du remboursement de campagne, faire un coup. L’opération avec LO, fort heureusement, n’alla guère plus loin. Sauf qu’elle venait s’ajouter aux autres difficultés d’appauvrissement de l’élaboration, de perte de repères par rapport à la financiarisation globale du capitalisme, de changement dans l’organisation du capital, des entreprises, des formes de travail, etc. Dans cet environnement complexe (sans doute aussi important que le fut le débat sur l’impérialisme au tournant des XIXe et XXe siècle) cette « alliance » avec LO donna une forte impulsion au repli sécuritaire du discours ouvriériste (au sens d’un opéraïsme simpliste) et « prolétarien », sans grand rapport avec l’évolution sociologique, professionnelle du salariat au sens large. Sans parler de ce qu’une organisation révolutionnaire devrait publiquement représenter des niveaux les plus élaborés du travail intellectuel (recherche, juridique, artistique, etc.).
C’est cette LCR-là qui prend l’initiative du NPA. Pour le meilleur : initiative juste, pas à contretemps, avec enthousiasme. Et pour le pire : accentuation des tendances propagandistes, ouvriéristes (comme décrites plus haut), pressions de courants sectaires pré-organisés et reproduisant leurs thématiques dogmatiques, etc.
Aussi, n’est-il pas étonnant que très vite le parti et son porte-parole soient apparus comme de simples témoins d’un monde du travail en colère. Le parti des luttes, le parti des ouvriers en colère, le parti anticapitaliste dont la parole publique a bien du mal à dépasser les seules revendications d’urgence. Olivier, qui dans ce contexte s’est tout de même fort bien débrouillé, expliqua un jour que le parti voulait être le « délégué du personnel » des travailleurs ! Vraiment rien d’autre ?
Et pourtant un parti qui aurait dû pouvoir se poser en candidat, non pas d’un pouvoir révolutionnaire sorti de l’insurrection (il faudra encore attendre un peu), mais apte à exprimer un projet de société en rupture : pour une société où le marché est minoritaire, où les besoins sociaux ne sont pas des marchandises ; une société fondée sur de nouvelles formes radicales de démocratie directe en partant déjà des besoins dans les quartiers et les cités. Et à partir de là, donner toute l’attention nécessaire à la formulation de revendications radicales (transitoires) mais non déconnectées du réel et des rapports de forces concrets.
Je considère que l’un des archétypes du propagandisme du NPA gît dans le mot d’ordre « d’interdiction des licenciements ». Je ne vais pas reprendre ce long débat, dont le contre-point a été publié en livre [1]. Mais comment est-il possible de se cramponner à pareil slogan quand soi-même on constate que « ça ne marche pas dans les entreprises », que ça ne mobilise qu’à la marge des salariés concernés ou de petits groupes d’opposition syndicale CGT, que l’on oscille étrangement entre la demande générale et sa réduction à « dans les entreprises qui font du profit », que l’on oublie au passage 80% des licenciements qui se font au jour le jour dans les TPME et que l’on n’ose même pas (et pour cause) accompagner cette revendication d’une demande de loi. Dans ce cas qui « interdit » les licenciements ? La mobilisation ? La nationalisation sous contrôle des travailleurs ? Alors qu’il était possible de formuler autrement la bataille contre les licenciements, plus universelle, plus compréhensible, plus mobilisatrice, plus embêtante pour les directions confédérales.
Un parti candidat à un changement de société doit bien sûr s’attaquer à toutes les formes de licenciements économiques, de « mise au rebus » des salariés, à cette violence sociale qui justement ligote le statut des gens, leur vie, leur revenu, leur vie tout simplement… au « poste de travail » que le capitaliste leur concède. Mais surtout ne pas suivre la phraséologie des courants frustres de la CGT sur « la casse », avec cette incapacité à prendre en compte la globalité des phénomènes : bouleversement irréversible de la division internationale du travail, économies d’échelle qu’une société post-capitaliste devra impérativement développer, destructions d’emplois nuisibles, démembrement d’industries polluantes, d’armement, etc. [2] Le mot d’ordre « d’interdiction des licenciements », formulé comme il le fut depuis 1999 (Danone, Air-Lib ; Marks & Spencer), apparait comme une réponse sans profondeur, comme un simple témoignage de rage, aux lois barbares de la concurrence marchande. Il n’a été aucunement mobilisateur, son influence n’a pas dépassé quelques cercles CGTistes. Il n’a pas été la réponse adéquate à la revendication confédérale CGT du « statut du travail salarié » (au fait qui paye ?). Cet exemple est l’un des plus significatifs du propagandisme abstrait du NPA.
Mais que fait le parti des luttes quand il y a moins de luttes ? Que fait le parti qui lutte contre trop de personnalisation et de médiatisation quand les luttes reculent ? Il disparait. Et ceci démoralise ses militants, ceci nous désespère tous, ceci nous conduit à penser qu’il y a eu dès le départ un problème.
Tout ce qui se réfléchit aujourd’hui, s’écrit et s’élabore, se repense et se rediscute sur le fond se fait hors du NPA, hors des organes du NPA. Parfois par des militants du parti lui-même, mais ailleurs ou sous une forme marginale, ponctuelle (université d’été) sans impact sur le journal, sur les formations internes, sur le site, sur les débats.
Comme au pire moment de la LCR, le débat va tourner sur une formulation, sur une construction grammaticale ayant pour « enjeu » une mini-tactique électorale… pendant que l’économie mondiale se bouleverse, que les lignes de ruptures sociales et même « morales » au sein de notre société se forment et se fissurent de plus en plus haut dans la stratification des revenus, qu’une partie de la jeunesse va être vouée à la paupérisation, etc. Pour quiconque de clairvoyant le parti « anticapitaliste » n’est pas convaincant, un peu amateur, dépourvu de figures intellectuelles marquantes, invisible dans la littérature politique, sans expression discernable dans la jeunesse.
On rétorquera que cela est dû à la période. Je ne le pense pas. L’assèchement des idées, les bêtises que nous avons pu dire les uns et les autres (nous tous !) par le passé, la sclérose des années 90 et 2000, oui ! Mais sur un point très important, la style d’Olivier mettait le doigt sur une vérité, sur une nouveauté : la société est en colère, la société n’en peut plus, la société craque. Il y a à peine deux ans tout le monde savait que la crise était due à la cupidité d’une minorité et à la spéculation. Ne nous gobergeons pas sur un possible nouveau mai 68, mais tout de même ! Cette extension du dégoût moral (et qui mène certains à suivre le FN) ne pourra plus s’éteindre à l’occasion d’un nouveau 10 mai 1981. Autre chose peut et doit se passer.
Face à cela, on a construit un parti qui recommence les débats de la LCR, sur des questions de « principes ». Et quels principes ! C’est un peu comme si au moment des débats sur l’impérialisme, la guerre, la question coloniale, le parlementarisme, la grève générale et la violence de masse au tournant du XXe sicècle, un parti quelque part en Europe s’était divisé et fractionné sur le fait de savoir s’il devait ou pas interpeller ou pousser à l’alliance électorale un petit regroupement centriste n’ayant pas plus d’avenir que lui.
En fait, il aurait fallu que le NPA subvertisse le passé « dernière période » de la LCR, apporte une ouverture sociale nouvelle et (non accessoirement) une impulsion nouvelle dans l’élaboration théorique, programmatique. Qu’il s’attaque à des questions novatrices nées de la mondialisation financière, des nouvelles formes de violences marchandes- questions qu’il aurait fallu mettre au centre des préoccupations, des réflexions et des élaborations des militants avant toute autre chose. Il aurait fallu que l’aile marchante du travail d’entreprise soit profondément renouvelée, spectaculairement élargie à toutes sortes de secteurs, qualifications, technicités. Il aurait fallu se faire quelques bons séminaires sur l’évolution de la formation sociale, sur l’évolution du salariat. Produire et produire encore de l’analyse à partir des luttes auxquelles les militants du NPA pouvaient participer ou qu’ils pouvaient de toute manière observer. Se risquer à quelques formules prudentes mais solidement défendables sur le début d’une transition post-capitaliste. Etc.
C’est à mon sens dans tout cela que se trouve la raison première de la crise actuelle du NPA et de ses débats destructeurs. Je ne pense pas que l’on puisse tergiverser et faire semblant de croire à un second souffle sans une telle révolution interne. L’incapacité du NPA à polariser un vrai « camp » anticapitaliste et donc à proposer des choses pour les élections par exemple est significative de son impuissance générale à agir sur le réel.
Claude Gabriel, 19 juillet 2011