Science et histoire
Hubert Krivine
La Terre, des mythes au savoir
Préface de Jacques Bouveresse
Cassini, Paris 2011
Quel est l’âge de la Terre ? Dans l’Europe chrétienne, jusqu’à la Renaissance et au delà, on l’évaluait à quelques milliers d’années. Newton, analysant la Bible, donna une estimation plus précise : la Création avait eu lieu 3998 ans avant Jésus-Christ. Cependant la physique de Newton et de ses successeurs allait changer la donne. Au 19e siècle, Lord Kelvin, continuant Buffon et Fourier, chiffre l’âge de la Terre à quelques dizaines de millions d’années. C’est selon Kelvin le temps nécessaire pour le refroidissement du globe terrestre de sa valeur initiale à l’époque actuelle ; et cela recoupe l’évaluation de l’âge du Soleil, supposé diffuser de l’énergie à partir de son effondrement par effet gravitationnel, la source d’énergie la plus puissante connue à l’époque. L’autorité de Kelvin est un argument contre Darwin, dont la théorie de l’évolution des espèces exige une durée considérable, que Darwin hésite à chiffrer. Puis la découverte de la radioactivité, qui permet de tester la durée de vie des roches, et celle de l’énergie nucléaire, qui permet de rectifier l’âge du Soleil, donnent raison à Darwin contre Kelvin. Actuellement, on sait qu’à quelques millions d’années près la Terre est agée de 4,55 milliards d’années.
C’est à cette belle histoire qu’est consacrée la première partie du livre du physicien Hubert Krivine. Elle s’inscrit parfaitement dans le programme que l’auteur s’est donné : faire entrer la culture scientifique dans la culture tout court, montrer le passage des mythes au savoir, et réhabiliter la notion réputée naïve de vérité scientifique, contre l’idée que la science ne serait qu’une opinion socialement construite. Dans sa préface, Jacques Bouveresse insiste sur la portée philosophique de cet aspect du livre.
La Terre est-elle fixe dans l’univers ou tourne-t-elle sur elle même et autour du Soleil ? Que vaut Copernic contre Ptolémée ? Comment se situent les astronomes de l’Antiquité, Aristote, la Bible, l’Eglise catholique, les astrologues, Tycho Brahe, Giordano Bruno, Galilée, Képler, Newton, Poincaré ? Que sait-on des mouvements et des distances dans le système solaire ? Où intervient la mécanique céleste, où se trouve le chaos déterministe ? Quand le Cardinal Bellarmin, qui instruisit le procès de Galilée, a-t-il été canonisé et fait « Docteur de l’Eglise ? De quoi l’ « intelligent design » est-il le nom ? Ces questions, et bien d’autres, forment la matière de la seconde partie de l’ouvrage. C’est une histoire foisonnante. L’ensemble donne l’occasion, dans les annexes, à de très bonnes leçons de physique.
Le livre est passionnant, et l’éditeur, Cassini, a pris grand soin de sa présentation. C’est un petit éditeur, que vous pouvez recommander à votre libraire favori.
Jean-Pierre Kahane
mathématicien
* Paru dans l’Humanité du 1/06/2011.
Hubert Krivine, La Terre, des mythes au savoir, Préface de Jacques Bouveresse, Cassini, Paris, 2011, 296 p.
Au 17e siècle, de grands scientifiques comme Newton, se basant sur une lecture attentive de la Bible, plaçaient l’origine de la Terre à 4000 ans avant Jésus-Christ. Au 19e siècle, un des plus grands physiciens, Lord Kelvin, se basant sur des calculs précis de thermodynamique, donnait à la Terre 20 à 40 millions d’années, ce qui était insuffisant pour que la sélection naturelle opère comme le pensait Darwin. Aujourd’hui on sait que la Terre est vieille de quatre milliards d’années.
Mais comment le sait-on ? Le but du livre de Krivine est d’expliquer comment on est arrivé aux connaissances actuelles en qui concerne l’âge de la Terre ainsi que sa position dans l’espace.
Ceci constitue un excellent livre de popularisation scientifique, parce qu’il aborde des sujets très intéressants, entre autres à cause de leur impact sur notre vision de nous-mêmes, dans un style clair, accessible à tous, sans équations (sauf dans les appendices dont la lecture n’est pas indispensable), et en expliquant l’évolution historique qui a permis d’arriver aux connaissances actuelles, le tout accompagné d’une réflexion épistémologique : comment sommes-nous si sûrs aujourd’hui de l’âge et de la position de la Terre, alors que nous nous sommes tant trompés dans le passé ? Mais contrairement à un certain nombre de travaux en sociologie et en histoire des sciences, cet ouvrage se place résolument dans une perspective non relativiste et explique comment la science découvre (et non pas « construit ») la nature des choses.
L’auteur discute aussi en détail l’histoire des conflits entre la science et les religions « révélées », histoire qui est constamment réécrite par les religieux.
Jean Bricmont
La Terre, des mythes au savoir,
Hubert Krivine, éd. Cassini, 296 p., 26 euros.
Voilà un ouvrage qui aurait mérité ici un meilleur sort que ce laconique paragraphe. Œuvre du physicien Hubert Krivine, frère de..., mais surtout scientifique émérite, il ne s’agit pas d’une histoire de l’univers, mais de la façon dont les hommes l’ont perçu au travers de leurs illusions, de leurs mythes et religions. Passionnant récit du combat que le savoir scientifique, avec de géniaux et héroïques précurseurs, a de tout temps mené pour imposer ce qu’on pourrait appeler notre infinie relativité face aux absolutismes religieux. C’est le récit, accessible à tous, de grandes controverses, à commencer par celle qui a opposé les tenants du géocentrisme à ceux de l’héliocentrisme. Les héros de cette prodigieuse aventure s’appellent Aristote, Ptolémée, Copernic, Kepler, Newton, Giordano Bruno et quelques autres, moins connus de nous. Car, comme il se devait, Hubert Krivine ne limite pas son exploration à la tradition grecque. Il nous emmène aussi en Chine et en Inde, où se menait, avec d’autres héros, un même combat.
* Paru dans Politis du 2 au 8 juin 2011