Si ce n’était sinistre, cela ferait une bien belle photo lors d’une bien belle balade de chefs d’état au printemps dans la bien belle “île du Bonheur”. Ce qui se dit en japonais - qui peut encore l’ignorer ? - Fukushima. Ce samedi, en effet, ce sont Wen Jibao (premier ministre chinois) et Lee Myung Bak (président de Corée du sud) qui doivent être reçus dans la ville de Fukushima, non loin de la centrale en perdition, par Naoto Kan (premier ministre japonais). Les cœurs de réacteur (fondus) sont encore très très chauds (le combustible en fusion atteint 2800°C). Ce, pour plusieurs mois, voire plusieurs années [1].
Selon Kyodo news qui rapporte l’information [2], ce sommet tripartite de deux jours a surtout pour objet de « demander à la Chine et à la Corée du Sud de faciliter l’entrée des produits alimentaires japonais sur leurs territoires ». Les becquerels dans les épinards, les curies dans l’océan et ses poissons, plus généralement l’incurie dans le traitement de la crise, ne plaisent pas du tout aux voisins du Japon. Et ils peuvent y trouver un moyen de pression sur l’archipel – naguère locomotive économique de la région – alors même que son affaiblissement n’a pas eu, loin de là, que des désavantages pour eux (la baisse de certaines exportations japonaises, voitures et produits high tech a plutôt servi la Corée du sud ces dernières semaines)… Ce sera un signe tangible de dialogue, qu’on imagine à l’avance interprété – il y aura des caméras – en termes de « ça va mieux ». Quand, techniquement, rien n’est résolu. Les problèmes au cœur de la centrale, invisibles, ne peuvent pas être filmés et visualisés et le « cœur » du problème demeure bien trop radioactif pour qu’on s’en approche. Ce n’est pas le moindre des « avantages », du moins en apparence : parce qu’on ne voit rien - ou si peu (cf. une des dernières vidéos tournée dans la centrale sur YouTube [3])- va-t-on commencer à oublier ?
Cette visite des puissants voisins pourrait aussi mettre un peu de baume au cœur du premier ministre nippon, dont on apprend aussi avec une certaine stupéfaction qu’il n’aurait pas été mis au courant, dans les premières heures de la catastrophe, de certaines données cruciales. Selon le porte-parole du sommet du gouvernement, Yukio Edano, qui a prononcé ces phrases lors d’une conférence de presse - « un fax parvenu au bureau du Premier ministre et sur lequel étaient indiquées les simulations [4] par ordinateur du panache radioactif très tôt dans la journée du 12 mars, ne lui a pas été transmis ! » En d’autres termes, si ce qui est dit est avéré, le Premier Ministre ne pouvait pas être parfaitement conscient de ce qui était en train de se dérouler à la centrale quand, le matin du 12 mars, il a survolé les lieux. On le constate, la rétention d’information – sauf à tout mettre au compte d’une extrême confusion – a atteint au Japon le sommet même de l’Etat dans la catastrophe de Fukushima. Et maintenant, on pourrait assister à des batailles farouches pour savoir sur qui rejeter les fautes de pilotage (de crise). Un article récent du New York Times évoque ainsi les affrontements qui ont eu lieu au sein même de TEPCO [5], aux premières heures de la catastrophe, entre le responsable du nucléaire chez l’opérateur et le directeur de la centrale autour d’une question désormais considérée comme cruciale, celle de la dépressurisation des enceintes. Pour l’un, il fallait la faire très vite, pour l’autre il fallait attendre. Le quotidien américain ne manque pas, à ce sujet, de faire remarquer qu’il existe deux philosophies opposées sur cette question (et donc sur le pilotage d’une centrale) entre opérateurs. Il y a ceux qui préfèrent garder les enceintes fermées au maximum (pour protéger l’extérieur de toute émission de radioactivité) et ceux qui pensent qu’il faut laisser passer un peu de radioactivité, sinon on risque bien pire (une explosion hydrogène etc.). C’est manifestement ce qui s’est passé à Fukushima, également parce qu’il n’a pas été possible d’actionner les valves de dépressurisation aussi facilement qu’attendu. Parce qu’il n’y avait pas d’électricité, mais aussi parce que certaines ont dû rester bloquées après le séisme – qui a endommagé dès le début nombre de canalisations (tuyaux cisaillés, murs déstabilisés etc.)
Après des révélations aussi ahurissantes, on en finirait par trouver d’autres annonces « banales ». Ainsi, celle remontant à jeudi et faite par la télévision publique NHK [6] : pendant le mois d’avril, des matériaux radioactifs (Césium 134 et 137) ont été découverts jusqu’à Osaka (3è ville du Japon) par l’Institut de santé publique d’Osaka. Autrement dit, à environ 550 kilomètres à l’ouest/sud-ouest de Fukushima, bien plus loin de la centrale que ne l’est Tokyo, puis Nagoya et même Kyoto.L’Institut ayant cependant précisé que les niveaux ne dépassaient pas le dix-millième de la radioactivité naturelle”, ce qui est « sans impact sur la santé ». Une affirmation qui ne manquera pas d’être contestée. Toute augmentation de radioactivité est à bannir, et l’on ne peut ignorer les controverses autour des « très faibles doses » de radioactivité et leur impact sur la santé humaine (leur impact sur les chromosomes mais aussi le protéome –l’ensemble des protéines de notre organisme). Nous y reviendrons un jour en détail, après l’avoir brièvement évoqué lors d’un tchat consacré à Fukushima [7].
Pour ce samedi, et la rencontre entre les trois grands responsables asiatiques, elle se tiendra en tout cas à l’heure où a été annoncé « le pire déficit jamais enregistré par un groupe japonais non financier », comme le rappelle l’AFP. L’opérateur TEPCO de la centrale de Fukushima accuserait en effet un déficit de 11 milliards d’euros. Et sa tête va être décapitée - le directeur général Masataka Shimizu et son adjoint Sakae Muto vont être « congédiés » d’ici la fin du mois de mai.
Pendant ce temps, la centrale demeure dans un état « sérieux » - terme que n’utilise plus l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), sur son site. Aujourd’hui, c’est avec un énoncé bien plus détaillé et circonstancié que l’agence internationale donne l’état des réacteurs – toujours très problématique puisque le combustible des cœurs a fondu- sur son site Web. Si deux d’entre eux (n°1 et 2) sont « sous-critiques » (il n’y a plus de réaction en chaîne), selon l’agence, cela ne peut toujours pas être affirmé pour le réacteur n°3 [http://www.slideshare.net/iaea/table-3-unit-3-reactor-fukushima-daiichi-nuclear-power-plant-18-may-2011]]. Pas plus d’ailleurs que dans la piscine n°4 [8], où il est conseillé de continuer à injecter de l’eau borée (le bore permet de ralentir les neutrons) pour réduire le risque de criticité. Difficile d’éteindre ce « feu » bien particulier. Il y faut de l’eau, de l’eau, toujours de l’eau. Sachant que les enceintes de confinement fissurées ne la retiennent pas.
Résultat : par exemple dans le réacteur N°1, « il y a actuellement 4,2 mètres d’eau hautement radioactive qui a envahi le sous-sol ». A l’heure qu’il est, on continue de se demander le temps qu’il va falloir (et s’il est même possible de) pour mettre en place un « circuit fermé », comme l’envisage Areva dans son plan de décontamination (lire sur le site de Sciences et Avenir et voir la vidéo ainsi qu’évoqué dans un blog précédent [9]).
Dominique Leglu