Est-il possible qu’un directeur général du FMI aille au bout de son mandat
? La question peut sembler incongrue tant le poste est envié et lucratif
(environ un demi-million de dollars de salaire annuel net d’impôt), et
pourtant elle est d’actualité. Accusé d’agression sexuelle à New York,
Dominique Strauss-Kahn vient de démissionner un an et demi avant la fin de
son mandat. Sans ce scandale, tout laisse à penser qu’il avait décidé de
se présenter à l’élection présidentielle de 2012 en France et, pour cela,
il aurait également dû présenter sa démission.
Déjà les deux précédents directeurs ont abrégé leur présence à la tête de
l’institution pourvoyeuse d’austérité et de régression des droits sociaux.
En 2007, la démission de l’Espagnol Rodrigo de Rato, deux ans avant la fin
de son mandat, avait constitué une surprise. Quelques mois plus tard, il
intégrait le service international de la banque Lazard à Londres, avant de
devenir membre du conseil consultatif international de la banque espagnole
Santander. Il faut dire que sa nomination en 2004 avait aussi été
inattendue, quelques jours seulement après la défaite électorale du
gouvernement dirigé par José Maria Aznar auquel il appartenait. Comme si
un rejet populaire au niveau national pouvait ouvrir les portes de la
direction d’une des plus grandes institutions multilatérales…
En 2004 aussi, l’Allemand Horst Köhler avait pris de court le monde
économique en démissionnant du FMI pour prendre la présidence de la
république allemande, titre hautement honorifique et bien moins en vue que
celui de directeur général du FMI. En 2000, au contraire, le départ du
Français Michel Camdessus était plutôt la conséquence de la grave crise en
Asie du sud-est : il faut dire que l’action du FMI, qui était venu en aide
aux créanciers ayant réalisé des investissements hasardeux et avait imposé
des mesures économiques aggravant la crise et provoquant la mise au
chômage de plus de 20 millions de personnes, était très fortement
contestée.
Après plusieurs années de forte contestation, notamment dans les pays du
Sud durement touchés par les mesures antisociales imposées aux forceps, le
FMI a été remis en selle par le G20 afin de gérer la grave crise
internationale qui a éclaté en 2007-2008. Au lieu de tirer les
enseignements de cette crise, due à la déréglementation massive du secteur
financier qu’il a lui-même prônée, le FMI poursuit depuis lors avec la
même logique, imposant aux pays du Nord des mesures désastreuses
comparables à celles imposées au tiers-monde depuis trente ans. Les mêmes
erreurs sont répétées, le même fiasco s’annonce, les peuples européens
sont saignés aux quatre veines. La Grèce, l’Irlande et le Portugal sont
actuellement les plus touchés. La crise est le prétexte pour appliquer au
Nord une stratégie du choc tragique en termes de développement humain.
DSK n’a pas dévié de cette ligne. Le FMI d’aujourd’hui est le même que
celui d’hier et il sert la même logique que nous avons toutes les raisons
de combattre fermement. Des mouvements altermondialistes comme le CADTM
réclament depuis des années sa dissolution et son remplacement par une
institution aux objectifs radicalement différents, dont la priorité
absolue serait la garantie des droits humains fondamentaux.
Depuis plus de soixante ans, le directeur général du FMI est européen et
le président de la Banque mondiale est états-unien. Aujourd’hui, le risque
est grand qu’une fois de plus, on nous rejoue le même refrain : en mai
2007, suite à une sombre affaire de népotisme qui a poussé Paul Wolfowitz
à démissionner de la Banque mondiale, les dirigeants européens ont accepté
son remplacement par Robert Zoellick en échange de la certitude de pouvoir
continuer à nommer le directeur du FMI. Comment ce système inadmissible de
double cooptation euro-américaine peut-il encore continuer ? Le critère de
nationalité doit laisser la place à un critère d’orientation générale et
de compétence : après plus de soixante ans de choix catastrophiques, la
direction du FMI doit mettre la clé sous la porte et ouvrir la voie à une
nouvelle structure chargée de renverser radicalement la logique à l’œuvre.
Il faut en finir avec ce modèle économique qui n’a réussi qu’à rendre les
riches plus riches et les puissants plus puissants. Il faut en finir avec
ce modèle économique qui a échoué puisqu’il est le terreau sur lequel se
développent la dette, la pauvreté et la corruption. Comme la Banque
mondiale, le FMI en a été l’un des principaux promoteurs et porte donc une
lourde part de responsabilité. Il doit rendre des comptes sur son action
passée. Changer d’équipage relève de l’anecdote. C’est la question du
maintien du FMI lui-même qui doit être posée.
Damien Millet – Eric Toussaint