L’ambition du texte de Samy et plus globalement des échanges placés sous le signe du Phénix semble considérable : rien de moins que « se doter d’une pensée stratégique propre au siècle nouveau, après les désastres du « socialisme réellement existant ». Si l’on comprend bien cette réflexion serait de nature à aider le NPA à retrouver une boussole dans une situation marquée à la fois par la crise généralisée et systémique du capitalisme et... la crise interne du NPA.
A l’inverse le vide stratégique, s’il s’avérait durable, nous laisserait démuni pour les combats politiques à venir et ouvert à tous les vents et à toutes les tentations symétriquement sectaires et opportunistes faisant coexister de façon conflictuelle et cartélisée le dogmatisme le plus obtus et l’éclectisme le plus plat [1].
Phénix, « super-phénix » ? De l’ usage de la réflexion stratégique
Un première remarque me semble s’imposer pour si possible s’entendre sur ce que recouvre la notion de réflexion stratégique. Samy lui donne une extension très large qui mêle aux questions stratégiques au sens strict des considérations programmatiques et un vaste état des lieux des principaux problèmes, difficultés et interrogations liés à la fois à la transformation sociale et à la société que nous voudrions. Guillaume a sans doute raison d’observer que les questions stratégiques sont avant tout liées à celle du pouvoir... et plus raison encore à mon sens de placer en exergue de son texte cette phrase de Daniel Bensaïd : « L’intelligence de l’avenir dépend de celle du présent ».
Précisons. Je suis pleinement en accord avec l’importance à donner aux questions stratégiques qui recouvrent un espace de réflexion nécessaire si l’on prend au sérieux l’idée que nous militons pour une alternative globale et consciente au capitalisme et pour la construction d’une société socialiste fondée sur un projet partagé. On ne peut qu’insister sur les deux qualificatifs. Alternative globale : il ne s’agit pas d’une lutte pour simplement limiter les dégâts ou protester (posture éthique). Alternative consciente : il ne s’agit pas simplement d’abattre (par n’importe quel moyen) un système mais de construire d’autres rapports sociaux plus libres et plus émancipés ce qui suppose un haut niveau de conscience qui se maintienne dans la durée. Comme d’autres l’ont dit auparavant : fins et moyens sont dialectiquement liés. Amis de Machiavel (même relooké...) s’abstenir. Le défi est majeur.
Pour aller vers ce but il faut un programme mais aussi une représentation au moins hypothétique des voies et moyens qui permettront de le réaliser. La stratégie aide à passer de la simple idée du changement nécessaire (face aux dégâts et à l’horreur du capitalisme beaucoup de personnes sont d’accord) à la réalisation pratique d’un changement possible et souhaitable. C’est l’un des éléments de réponse pour répondre à l’objection : ce que vous proposez est très bien mais impossible à réaliser. Il est donc utile de répondre à la question : quel chemin collectif, conscient et démocratique – c’est-à-dire validé par une majorité – envisageons nous de prendre pour « révolutionnner la société » ?
Il est bon que tout cela soit mis en débat d’abord pour des raisons de fond. A une échelle large des doutes existent sur la possibilité d’abattre le capitalisme et de construire des rapports sociaux plus justes, plus équitables et plus démocratiques et l’objection rappelée plus haut est tenace : qu’est-ce qui garantie que l’on ne va pas vers quelque chose de pire ? Ajoutons que ce doute est raisonnable car alimenté par l’expérience du siècle passé et le désastre des deux courants dominants du mouvement ouvrier. La social démocratie n’a pas changé le capitalisme c’est le capitalisme qui l’a changée , domestiquée, retournée. Le stalinisme a produit des sociétés bureaucratiques où la domination capitaliste a été remplacée par la domination bureaucratique. Et dans le même temps les courants radicaux ou révolutionnaires ont dégénéré ou sont restés ultra minoritaires et impuissants sauf dans quelques brefs épisodes.
La réflexion stratégique est également l’un des facteurs qui permet de faire tenir ensemble dans la durée les éléments constitutifs d’une orientation politique, de maintenir le cap sur des perspectives politiques globales, de jeter des ponts entre les revendications immédiates et l’objectif de la société éco-socialiste à construire.
Je pense que c’est aujourd’hui par ce bout qu’il faut prendre le problème : se servir de la réflexion stratégique pour faire de la politique en commençant par ici et maintenant. En rester à des considérations soit très générales soit uniquement centrées sur les moments décisifs des crises révolutionnaires (passées ou à venir) me fait craindre que nous ne disposions guère de boussole pour des temps présents complexes et incertains. Osons la métaphore maritime : savoir que nous risquons de connaître vents et tempêtes (guerre et révolutions), que des courants puissants et des incitations intéressées à nous faire dévier de notre route existent avec risques de dérives et de naufrages aide-t-il sérieusement à naviguer ? Autrement dit, la réflexion stratégique doit-elle être un commentaire ou un avertissement fait du bord du rivage ou un outil pour naviguer et retourner au besoin à notre profit des vents contraires ? Entre référence philosophique un peu obligée à Pascal puisque nous sommes embarqués et proverbe marqué au coin du bon sens, je dirai simplement : il fait se jeter à l’eau et se servir de nos connaissances et de nos expériences méditées (et donc passées au crible de... l’expérimentation et de la confrontation avec d’autres) pour trouver notre voie et au besoin en inventer une. Nous pouvons le faire sans esprit polémique mais sans esquiver non plus les éventuelles les « questions qui fâchent » dont celle ci : un stratégie anticapitaliste inspirée d’une démarche transitoire et visant à la construction d’une hégémonie (au sens de Gramsci ) consciente, majoritaire et démocratique peut elle se concevoir sans politique unitaire déterminée, sans chercher à conquérir des positions institutionnelles et sans gagner une représentation politique et électorale ?
Bref retour sur la brève histoire politique du NPA
Pour entamer un véritable échange, il faut sans doute revenir quelque peu sur les conditions de naissance du NPA et ce que pouvaient être, dans leur vision pour partie commune mais aussi leurs différences, les hypothèses de tous ceux qui se sont engagés dans sa création. Je précise ce point car il me semble que le résumé que fait Samy d’une analyse présentée comme partagée selon laquelle « les forces de l’extrême gauche traditionnelle ont fait leur temps, que les fils de la filiation d’Octobre 1917 sont, sinon rompus, du moins bien trop maigres pour constituer le cordage nouveau indispensable » ne l’était pas nécessairement par tous. Un certain nombre de courants, sous courants, regroupement et groupes divers et variés, ont vu dans la création du NPA l’occasion et l’opportunité de construire une force politique dans une filiation assez peu actualisée avec le « bolchévisme » et le léninisme. Référé à des réalités plus proches (au moins chronologiquement) ce projet politique envisage de faire exister le NPA comme parti révolutionnaire en reprenant pour beaucoup ce qui fait le fond politique de LO en moins sectaire et fossilisé (pour ne parler que de la plus importante numériquement des multiples organisations ou micro organisation et ne pas employer un autre terme). Cet héritage me semble suffisamment fort et assumé par à un certain nombre de camarades (fut-ce avec quelques corrections critiques à la marge) pour ne pas l’évacuer. Il faut constater que, sans être politiquement homogène, il existe bien un « socle politique commun » qui se cristallise dans la plus grande partie de l’actuelle P2 et d’une partie de la P1 et dont le moins que l’on puisse dire est que la prise de distance par rapport à ce « fondamentalisme » politique n’est pas la caractéristique principale.
Cette cristallisation est une régression par rapport au « trotkysme ouvert » de l’ex-LCR – qui n’était pas que trotskyste et ne pouvait heureusement pas être confondu avec les sectes qui s’en réclament – et à sa réflexion politique et stratégique. Cette régression s’est trouvée facilitée par ce que Samy désigne comme le « pari qu’il était possible de lancer un processus « par en bas » (autrement dit par-dessus les partis existants), et que, le processus une fois lancé, il trouverait ses propres voies pour s’approfondir et se solidifier. ». Soit ,mais reconnaissons que, fondé sur une analyse réductrice et qui faisait la part belle à une conjoncture sans doute favorable mais fragile et limitée, ce pari ainsi formulé pouvait alimenter l’illusion selon laquelle la venue en nombre des « héros anonymes » de la lutte des classes viendrait compenser la faiblesse structurelle du projet.
On peut revenir – y compris d’un point de vue stratégique – sur cette expression pour le moins curieuse de « héros anonymes » qui continue à alimenter certaines déclarations politiques du NPA et d’Olivier Besancenot. Derrière un lyrisme et un parfum libertaire un brin frelatés cette notion est au mieux vide de sens. Il est peu probable que nos compagnons de lutte et d’espoir avec qui nous combattons au quotidien se pensent et s’expriment en tant que « héros ». Mais surtout ils ne sont en rien « anonymes » : ils ont des noms, des visages, des familles, des histoires, des cultures. Leur individualité sociale est faite de multiples appartenances et d’héritages complexes qui sont autant d’invitations à la reconnaissance réciproque, au brassage, aux échanges, à une convergence dans laquelle la diversité ne s’oppose pas à l’aspiration unitaire.. N’oublions jamais que ce sont les totalitarismes – nazi, stalinien ou néolibéral – qui « anonyment » les individus. Ces blessures et des mutilations sont toujours lourdes de conséquences : on mesure combien en rayant de la carte des noms celui d’ouvrier la réorganisation néolibérale du travail a ôté de la visibilité sociale et de raisons de se revendiquer de cette filiation et de cette culture, a limité les capacités d’expression et d’action du mouvement ouvrier.
Sans doute l’intention des utilisateurs de la formule au sein du NPA était-elle autre : une façon d’opposer à de vaines discussions de sommet la saine dynamique de la base. Mais cette construction en trompe l’œil s’est avérée tout aussi stérile. Le NPA, dans son ossature politique fondamentale, ne s’est pas construit « par en bas » mais a accueilli et intégré par en haut outre l’ancien appareil de l’ex LCR les multiples petits courants et sous courants (dont certains déjà présents dans l’ex LCR) [2].
Dans le même temps une certain forme de simplisme nous a privé de tout échange politique constructif possible avec des courants ou équipes militantes qui ont pendant un temps eu le regard tourné vers nous. Nous nous sommes par là politiquement coupé de toute une « avant garde large » politique et syndicale. Nous n’avons ni su ni véritablement voulu accueillir cette mouvance militante et créer les cadres de discussion et d’action qui auraient permis d’essayer de construire ensemble une perspective commune et unifiée à la gauche du PS et des Verts. Et nous avons plutôt adressé à ceux qui étaient en train de rompre avec eux et qui cherchaient leur voie, le message selon lequel faute d’un label anticapitaliste suffisant, nous n’avions rien à faire ensemble, sinon l’action (et encore.. à condition qu’ils se prononcent bien en faveur de la grève générale...) Avec le résultat que l’on sait : une grande partie d’entre eux se sont tournés, malgré sa confusion, vers le Front de gauche et les organisations qui le composent y compris nombre de cadres syndicaux qui cherchaient un prolongement à leur engagement syndical. Et il ne suffit certainement pas comme le prône Philippe Corcuff de miser sur une énigmatique « révolution culturelle » pour espérer changer la donne. Il faut plutôt assumer classiquement la confrontation politique avec les courants réellement existants qui ne sauraient se confondre avec l’éphémère écume médiatique laissée par les néosituationnistes modernes sur lesquels mise Philippe pour notre salut.
En sorte qu’à l’arrivée le NPA n’est ni la traduction et le prolongement politique d’une lutte de masse, ni l’expression de l’ animation militantes de luttes victorieuses du salariat à une échelle significative, ni le produit et la synthèse de courants politiques (ou politico syndicaux) se mettant d’accord sur des axes programmatiques et stratégiques communs. Ironie de l’histoire, à une échelle large le NPA est simplement... le prolongement du succès électoral et médiatique relatif d’Olivier qu’il nous est proposé de réactiver tous les cinq ans (avec ou sans lui, ce qui est encore un autre problème. )
Deux orientations politiques et stratégiques à clarifier
Ce constat quelque peu amer au regard du gâchis des possibles n’interdit pas la réflexion politique et stratégique au sein du NPA et des courants qui le composent. Mais cette réflexion n’a de sens que pour autant que se trouvent clarifiés les projets politiques des uns et des autres. Or il en est au moins deux : regrouper les révolutionnaires (ou auto estampillés comme tels) ou être un creuset qui accueille les individus (non anonymes...) courants, équipes militantes qui cherchent une voie et une expression politique anticapitalistes.
Pour les tenants de la première solution (le texte d’ Yvan ne semble de ce point de vue en être une assez bonne illustration) – avec les filiations et héritages qu’ils assument – le renouveau de la réflexion stratégique est probablement d’un intérêt très relatif. L’essentiel ayant été établi par Marx et Lénine la perspective de son actualisation se confond avec la mobilisation de classe indépendante présente et à venir et passe par la construction d’un parti qui reprend ces fondamentaux en espérant dépasser les limites numériques et politiques des groupes d’extrême gauche.
Pour les seconds à l’inverse le débat stratégique est ouvert et impose à la fois :
– un retour critique sur toutes les formes de révolutions dirigées et de parti qui vise à normaliser le cour des mobilisations si par mégarde elles s’éloignent trop de sa ligne.
– un espace politique public de débat et d’action pour échanger, expérimenter, chercher ensemble, inventer de nouvelles voies de transformation sociale à la fois radicales et démocratiques..
Par rapport à cette perspective les formulations de Samy qui reprennent pour beaucoup des réflexions générales et souvent bienvenues menées dans le cadre de l’ex-LCR me semblent hésiter entre esquive et clarification Elle affleure sans doutes lorsqu’il est demandé comment faire exister « une perspective révolutionnaire indépendante en France dotée d’une influence autre qu’anecdotique. » mais la réponse reste bien convenue et circonscrite à un souci d’équilibre propre à une « majorité de direction » qui a pourtant montré ses limites. Samy propose de tenir à égale distance, « l’archéo-sectaro-gauchisme des dirigeants » de la PF2 et le « « déracinement politico-social » supposé de leur base... et la tentation coupable d’une partie au moins de la PF3 qui n’aurait in fine pour seul projet que d’aller renforcer le Front de Gauche.
Cette distribution des rôles et ce découpage du champ politique et des options qui s’offrent à nous ne rend par très facile le dialogue. Il risque surtout d’occulter une autre voie pour le débat et l’orientation politique du NPA. Celle d’une existence indépendante en tant que courant qui veut dépasser les limites et les impasses stratégiques liées à la seule reprise des problématiques des groupes d’extrême gauche et qui se fixe comme objectif de rassembler sur des bases anticapitalistes « la gauche de gauche » dans un maximum de fronts sociaux et politiques pour faire exister une alternative à la gauche du PS et d’Europe Écologie et neutraliser le poison mortel de la division.
De ce point de vue certains éléments d’analyse de Samy interrogent. En plaçant d’une façon parfois presque caricaturale au cœur du raisonnement la « sédimentation d’une option réformiste de collaboration avec le PS (voire de collaboration de classe tout court comme on l’a vu lors du mouvement des retraites) avec la constitution du PG, puis du FG », tout semble fait pour inscrire de façon unilatérale la trajectoire du Front de gauche et de ses composantes dans le rôle de supplétif consentant du PS. La dimension de recherche attendue et exprimée par bien des militants d’une expression politique distincte et à gauche du PS est totalement gommée. Pire, dans l’hypothèse même où elle s’affirmerait nous dit Samy, il s’agirait d’un réformisme de même nature que celui du PS
Sans renier nos principes, il semble possible de se doter d’une forme de raisonnement un peu plus dialectique. Par le passé un certain nombre de bons esprits raisonnaient à partir de la catégorie – complexe.. – d’organisations « centristes » désignant des formations situées quelque part entre les « réformistes » et les « révolutionnaires ». Ils posaient, me semble-t-il, des questions sur leur dynamique : évoluent-elles de gauche à droite ou de droite à gauche ? Répondre à cette question en ce qui concerne les composantes du Front de Gauche permettrait une appréciation plus nuancée et plus juste que celles en cours dans notre presse. Elle permettrait par exemple de caractériser autrement qu’au travers d’anathèmes concernant la personnalité et la biographie politiques de Jean-Luc Mélenchon (qui est pourtant loin de m’inspirer une énorme sympathie politique...) la trajectoire du PG. On pourrait éviter de se planter en affirmant que les Conseillers régionaux du PG allaient naturellement entrer dans les exécutifs avec le PS... avant de recevoir un démenti de la très grande majorité d’entre eux... et d’expliquer que de toutes façons cela ne change rien.
Plus fondamentalement, cela centrerait le débat avec ses militants sur le fond du problème : les limites et les contradictions de la stratégie de JLM et du PG dans ses déclinaisons successives et jusqu’à la « révolution citoyenne » (qui venant après la « révolution par les urnes » traduit cependant qu’on le veuille ou non un déplacement). Quel sens cela peut-il bien avoir que de répéter en boucle alors qu’ils affirment publiquement le contraire : mais si mais si vous allez gérer avec le PS , la preuve est que vous l’avez fait par le passé... Avoir ce débat public sur le fond serait un élément de politisation mais il n’est possible que pour autant que l’on ne réduit pas par avance le positionnementde ce parti à une tenue de camouflage pour rabattre des voix pour le PS et « aller à la soupe » (cf l’insistance à se demander si Mélenchon sera ou non ministre d’un gouvernement social libéral alors que ll’intéressé répond non avec clarté.. et qu’il a par ailleurs bien d’autres défauts).D’où la question : qu’a-t-on à gagner à stériliser et empêcher toute confrontation sur le fond avec le PG ?
Cela ne peut être sans incidence sur le cours politique du NPA. Car si le signal renvoyé au militant est bien : « il n’y a rien à discuter ni à faire politiquement avec le FG car ce sont des réformistes comme le PS », il est à craindre que les militants convaincus, ne préfèrent l’original qui affirme avec constance que seule la boussole de l’identité révolutionnaire permet de tenir la route à la copie inspirée par Samy même agrémentée de considérations plus justes et plus nuancées.
Le texte de François Sabado et de Léon Crémieux – avec lequel Samy se dit curieusement d’accord... tout en pointant des différences qui ne sont pas minces - répond à une toute autre logique dans sa fonction de clôture du champ politique, de recadrage du débat stratégique recentré autour du clivage réforme révolution (à croire que la dialectique des conquêtes partielles a été inventée par quelque fourbe du PG...) et de fermeture de la parenthèse de la création du NPA. Si l’on peut se retrouver sur des considérations générales sur la situation mondiale et les rapports de force entre les classes comme l’on disait dans le temps, ce rappel du monde tel qu’il va ne semble être placé dans ce décor que pour justifier qu’il faut s’assumer désormais (d’autant plus que la crise est là...) comme organisation révolutionnaire en reprenant ce qu’ils considèrent comme les fondamentaux de l’ex LCR. En forçant un peu le trait on pourrait dire que FS et LC proposent, ni plus ni moins que de refermer la parenthèse de l’effervescence sympathique mais confuse qui a permis la création, le développement puis le recul numérique, politique et militant que nous vivons dans la courte histoire du NPA. La conclusion en découle : l’avenir du NPA sera celui d’une organisation communiste et révolutionnaire. Resterait en suspens le qualificatif de ligue.... pour que la boucle soit totalement bouclée. Hélas la première étape de la réalisation de ce scénario passant par l’incontournable et un peu sur valorisée présentation d’Olivier Besancenot aux élections présidentielles, patatras... voilà le chemin du retour singulièrement obscurci...
Quelques axes pour une stratégie anticapitaliste et autogestionnaire
La stratégie que devrait essayer d’élaborer, d’expérimenter et d’inventer la NPA passe à mon avis par la recherche d’unité de la gauche de transformation sociale et une confrontation avec d’autres, avec sa part de différenciation et sa part d’intégration d’éléments empruntés aux mille et une formes de résistance, d’expression et d’inventions démocratiques qui s’actualisent ici et là. Elle implique le désir et la volonté de faire du nouveau comme marque de fabrique de notre parti, les conditions de réalisation résidant dans son caractère ouvert, large, unitaire et pluraliste (notre ADN). De ce point de vue un recensement peut être moins historique – Pierre Rousset insiste avec raison sur les risques de rabâchage inutile et de déphasage historique – que géostratégique ne sera pas inutile. Avec une finalité autre l’excellent livre de Razmig Keucheyan sur la cartographie des pensées critiques fait le lien entre approches critiques, alternatives et pensées stratégiques. Parmi ses suggestions terminales toutes ne présentent pas le même intérêt. On peut rester dubitatif sur la réconciliation prônée par Balibar entre la pensée stratégique de Lénine et celle de... Gandhi. On s’intéressera davantage à l’importance soulignée du paradigme écologique et à ce qu’il induit sur le plan anthropologique en terme de rupture avec une vision de l’homme maître et possesseur de la nature. Et l’on souscrira plus pleinement encore à la description de la montée en puissance de l’autonomie des pensées critiques à la périphérie de la « pensée occidentale ». L’important sera surtout le défi à relever de la création d’un espace d’échange et d’internationalisation du débat évitant le double écueil du retour du dogmatisme simplificateur et de l’éclectisme relativiste. Ces espaces, note sobrement Razmig, restent à construire.
Cela vaut en matière de conception du ou des sujets de la transformation anticapitaliste. Qui agit pour changer le monde et comment ? La classe ouvrière, le peuple, les « travailleuses et travailleurs », les gens ? Les motivations à changer le monde et à changer la vie seront multiples. Deux dimensions complémentaires au moins se mêlent à la dimension sociale : elles commandent la révolution féministe et la révolution écologiste. De façon plus générale le sujet de la transformation sociale, élargi et hétérogène ne se réduit pas à ses délimitations sociales mais procède plutôt de la réalisation de fronts à géométrie variable et sans hiérarchie établie a priori. L’extension et la diversification même du prolétariat demande de réaliser son unité en reconnaissant sa diversité et la diversité des points de vue dans ses rangs, la pluralité des contradictions, des oppressions et des dominations ainsi que la pluralité des appartenances (sociale, culturelle, de genre, de génération, de lieu de vie, etc...) et des aspirations.
Cela vaut plus encore peut être en matière de rôle, de place et de fonction des forces politiques dans ce processus. Aucune révolution de ces cinquante dernières années ne s’est faite sous la direction ou même avec une influence déterminante d’un « parti révolutionnaire » au sens où certains camarades l’entendent. Il faut rompre de la façon la plus radicale qui soit avec le mythe illusoire et dangereux du parti « cerveau et bras armé » des masses qui fait le lit de tous les substitutismes. Mais le contre pied libertaire de cette tendance, pour sympathique qu’il soit, doit à son tour être questionné. Figure inversée mais finalement symétrique du dispositif précédent il est sans doute plus proche de la pensée magique que de la pensée stratégique. La spontanéité et la créativité des exploités et des opprimés en lutte n’ont jamais, dans la durée, remplacé les médiations et le travail des forces politiques et syndicales organisées . Leur pérennisation et leur pluralisme constituent non seulement des garanties démocratiques essentielles mais des point d’appui pour une auto organisation non pas fantasmée mais réelle. A vouloir sauter par dessus les contraintes partidaires, institutionnelles et étatiques, les « organisations libertaires » (si tant est que cet oxymore ait un sens) se retrouvent alors dans une impasse symétrique à celle de la culture politique « autoritaire » qui les conduit à combler le vide par des changements de cap et des raccourcis déconcertants qui peuvent aller de la participation gouvernementale (Espagne de 36) à des pratiques militaro politiques des plus expéditives et des moins démocratiques.
Quitte à faire du nouveau, inspirons nous du meilleur du marxisme libertaire (celui d’un Daniel Guerin par exemple) et du syndicalisme révolutionnaire et laissons en le pire (dont le romantisme creux et la démagogie à l’égard de tout forme de démocratie représentative et de garantie institutionnelle des droits). Et surtout rendons notre parti utile, non pour diriger, mais pour éduquer, préparer, aider à lever les obstacles, proposer, débattre, prendre des initiatives,
De ce point de vue encore, une telle stratégie ne saurait établir de coupure a priori et de fossé entre ce qui relève d’un « réformisme radical » et la conduite d’une révolution. C’est donc bien l’esprit de la dialectique des conquêtes partielles cher par exemple à un Ernest Mandel (mais Rosa Luxembourg ne sera pas très loin) qui sera convoqué ici. Outre les objectifs de mobilisation et de contrôle qui font partie de notre fond politique commun, il conviendra d’intégrer au mieux ceux de la conquête et de la défense de positions institutionnelles. On sait d’ores et déjà qu’il en est à défendre qui font l’objet d’attaques puissantes : salaire pour partie socialisé, protection sociale, retraite, assurance maladie, service public qui représentent, fut-ce de façon partielle et déformée, un autre possible que celui du capitalisme intégral.
Il faut sans doute aller plus loin dans la consolidation de possibles droits sociaux fondamentaux (logement, revenu, etc.) et d’espaces institutionnels. Il ne s’agit pas de réactiver artificiellement une « guerre révolutionnaire prolongée » autant que larvée et de reproduire non moins artificiellement les « zones libérées » du Chiapas ou d’ailleurs. Il s’agit de percevoir les germes d’une autre société possible présents ici et maintenant dans des espaces en partie débarrassés, parce que telle est la volonté de ceux qui les animent, de la tutelle du capital. : coopératives ouvrières, espaces autogérés, squats, quartiers, et pourquoi pas communes et villes. Il faut se représenter ces avancées non comme une contre société à la LO ou PC des années 30 (la classe ouvrière restant aux portes de la cité on construit une contre société autour du parti et de ses appendices.. à l’abri des mauvaises influences ) mais comme une occupation de la vie sociale et institutionnelle dans la société telle qu’elle est. Cette thématique entre assez en résonances avec celle de « communs » à défendre ou à reconquérir. S’il est difficile de trancher par avance sur le caractère viable de tels « espaces autogérés » la ligne stratégique consistant à fédérer de telles pratiques sociales alternatives n’a rien d’irréaliste.
Nous savons bien que la question du rapport aux institutions est un sujet délicat et controversé. Nous connaissons tous les risques d’intégration et de récupération (sans même parler de l’accusation de « gradualisme » qui ne manquera pas d’être portée ) Mais la solution n’est certainement pas dans la désertion. Car celle ci entretient alors soit la croyance utopique que l’on peut se passer d’institutions ( et de « gouvernement des hommes » comme le porte au fond la trés « libertaire » inspiration de l’Etat et la révolution d’un certain Lénine qui eut ensuite une fois au pouvoir quelques difficultés avec les travaux pratiques ) soit l’illusion que l’on peut en créer à partir de rien des radicalement différentes de celles qui existent aujourd’hui. Or cela n’est guère possible si l’on n’a pas au préalable travaillé de l’intérieur les institutions existantes. D’une façon plus générale cela renvoie aux liens que l’on peut établir entre une culture de mobilisation qui est la notre et la consolidation des résultats obtenus en terme de droit sociaux durables. Imagine-t-on pour ne prendre qu’un seul exemple que le rapport de force qui permit en 36 de conquérir les congés payés aurait permis de les appliquer durablement et partout sans l’existence d’une loi elle même imbriquée dans des institutions juridiques et politiques.
Qu’il faille penser les institutions dans des termes qui les différencient de la machinerie étatique, normalisatrice, hiérarchique et bureaucratique est une chose. Mais l’enjeu est autre. Sous l’empire du néolibéralisme il s’est produit une mutation de l’ensemble de institutions sommées de créer des situations de marché, de compétition et de concurrence même là où il n’y a pas de marchandise. Il ne s’agit pas de revenir à l’état pour contre carrer cette privatisation des existences sociales et individuelles puisque dans bien des cas c’est l’état néolibéral qui a construit ces situations. Il s’agit de travailler à modifier le fonctionnement de ces institutions du capitalisme néolibéral en sorte que les pratiques de coopération, d’échange, de solidarités prennent le dessus. Est- il concevable de mener ce travail sans être d’une façon ou d’une autre dans la place et sans contester ce « management » et cette mise aux normes capitalistes de toute l’action publique ?
Sommes nous ici très loin de l’inspiration et des diatribes anti système qui parsèment le texte de François Sabado et Léon Crémieux ? Oui et non sera-ton tenté de dire. Non car c’est bien le système dans son ensemble que nous voulons remettre en cause. Oui cependant sur un plan stratégique car la subversion du système ne se conçoit pas dans un état d’extériorité, de hors sol et d’exil vers le « nulle part ailleurs » mais requiert le détournement des forces qui le font fonctionner et se reproduire et ce à partir des positions qu’elles y occupent.
Enfin, c’est en lien avec ces objectifs que l’on peut reprendre le débat sur le sens et la portée de la participation aux élections en rappelant ce qui devrait être une évidence : nous y participons principalement ni pour faire connaitre abstraitement nos idées ni pour dénoncer le système, mais pour essayer d’avoir des élus et commencer à se doter d’une représentation politique et électorale. Non par « électoralisme » mais parce que c’est à la fois un point d’appui et une façon de faire l’expérience de ce que nous « valons » et de commencer à résoudre un des problème auxquels il faudra bien répondre un jour autrement que par des pirouettes : nous sommes connus et reconnus pour être très bons dans la dénonciation et l’action collective et pour susciter beaucoup plus de doutes sur notre capacité à « gouverner ». Partout où nous le pouvons il y a lieu d’ offrir à la population et au salariat la possibilité de nous envoyer dans ces institutions comme ses représentants, de « nous essayer ». Et il convient pour cela de ne pas en rester à des spéculations abstraites, mais de prévoir et oser les médiations tactiques et les alliances qui permettent en toute indépendance stratégique de le réaliser.
Dans cet exercice nous sommes il est vrai dépendants des dispositions légales et institutionnelles (en particulier de l’existence ou non de la proportionnelle qui est une revendication démocratique pour laquelle nous devrions nous battre bien davantage). Cela devrait nous conduire à privilégier les élections qui nous offrent le plus possible de chance d’avoir des élus tout en restant au plus prés des préoccupations de la population. Cet objectif peut être partagé et faire partie de l’offre unitaire : nous voulons être en mesure de faire des propositions concrètes pour qu’une autre politique soit menée sur tous les terrains où les responsabilités institutionnelles sont engagées Nous voulons avoir des élus qui auront à cœur tout à la fois de répondre aux aspirations de la population, de soutenir les luttes qui les portent et de donner à chacun les moyens démocratiques de contrôler et de modifier à tout moment une gestion institutionnelle trop souvent opaque et bien éloignée des priorités sociales.
Ce qui devrait caractériser les anticapitalistes sur ce terrain n’est pas le tout ou rien, mais de gagner en légitimité sociale et politique. Cela ne résout bien sur pas la question du pouvoir en tant que telle et je pense que d’autres contributions au Phénix, permettront de la reprendre mais cela rappelle un paramètre qu’il me semblerait assez problématique d’occulter.
En guise de conclusion provisoire
Reprenons pour finir la question présente au début : une stratégie anticapitaliste peut elle se concevoir sans politique unitaire déterminée, sans chercher à conquérir des positions institutionnelles et sans gagner une représentation politique et électorale ? On aura compris que la réponse est clairement non .
Nous avons dit sans fard ce qui nous oppose quasiment point par point au retour au dogme et aux pratiques d’un marxiste léniniste qui, appliqué dans le contexte présent et avec les courants réellement existant au sein du NPA, ne peut conduire qu’à un gauchisme bureaucratique des plus régressifs. Non par malignité intrinsèque de ses animateurs mais tout simplement parce qu’il existe une logique propre à ce type de regroupement dont LO et quelques autres variantes plus ou moins sectaires nous fournissent l’illustration. Le NPA vaut mieux que cela.
Se doter d’une stratégie ne va pas sans élaboration d’un grille de lecture des contradictions de la formation sociale où l’on vit, des potentialités ou des virtualités d’interventions « à gauche du possible ». Elle peut constituer une carte même imparfaite et si l’on veut un fil d’Ariane pour consolider l’influence d’un parti anticapitaliste assez implanté et crédible, suffisamment large, ouvert et pluraliste pour n’avoir pas à recourir à des expédients antidémocratiques ou à des tours de passe passe ou fuite en avant.. en attendant les jours précédents de grands soirs.. qui débouchent sur de profondes nuits...
Par son expérience politique accumulée, par sa capacité en tant qu’intellectuel collectif à éclairer les modifications des situations politiques, à s’engouffrer dans les brèches qui s’ouvrent, à déjouer dans des conjonctures changeantes les pièges du pouvoir, à se confronter démocratiquement aux divers courants politiques, un tel parti serait précieux.
Mais comment pourrait-il jouer ce rôle s’il ne s’est pas préalablement ouvert et élargi dans sa composition sociale, culturelle, politique et s’il ne s’est pas confronté à une ensemble vaste et diversifié de problématiques politiques. Un tel parti se conçoit comme immergé dans la société telle qu’elle est, à la fois produit et matrice de brassage de courants, d’expériences nouvelles et de recompositions politiques.
Cela n’en fait en rien un démiurge agissant à la place des « masses » mais ne le cantonne pas dans le seul rôle d’animateur des luttes. Également tourné vers la conquête de positions institutionnelles et électorales comme un moyen de crédibiliser son projet, il aura ainsi à cœur de le légitimer aux yeux de la population, de l’expérimenter partiellement pour l’enrichir et de préparer ainsi sa réalisation d’ensemble. Pourquoi ne pas y travailler dés maintenant ?
Francis Vergne