Dans un texte récent [1]
]], L. Crémieux et F. Sabado (C/S) ont apporté leur contribution à la discussion engagée sur les questions stratégiques dans et autour du NPA. Par delà les nombreux points d’accords avec ce texte, il convient de cerner nos différences d’approches, nos nuances voire nos divergences sur ces questions de stratégie politique.
Je laisserai de côté les nombreux développements très conjoncturels du texte C/S pour n’aborder que quelques aspects. Trois éléments me paraissent nécessiter discussions et approfondissements : la crise du NPA, le parallèle opéré par les camarades avec les années 30 et enfin la définition d’une stratégie « anti et hors système ».
1- Sur la crise du NPA
La crise du parti ne fait pas de doute. Les difficultés de la situation politique tant nationale qu’internationale pèsent lourd. Et les deux camarades sont de trop fins connaisseurs de la situation internationale et des différentes organisations d’extrême gauche de par le monde pour ne pas connaître l’extraordinaire difficulté à construire des organisations révolutionnaires/anticapitalistes, non marginales, dans un rapport de forces si dégradé. C’est sans doute, pour reprendre une expression souvent utilisée par Samuel Johsua, la question du plafond de verre. Mais cette réalité ne doit pas obérer la discussion sur les raisons plus subjectives de cette crise car au moins celles-ci relèvent de notre ressort. Et les camarades ont raison de souligner, « La situation politique objective joue pour beaucoup dans la crise du NPA mais... ».
C’est parce que la situation a profondément changé qu’il fallait dépasser les formes d’organisation de l’après 68. Nous avons donc eu raison de créer le NPA, projet qui, comme le souligne le texte de C/S vient de loin. En revanche, l’affirmation suivante ne peut être partagée : « La LCR aurait pu se contenter de bons résultats électoraux qui n’auraient, tout de même, pas enrayé les problèmes substantiels de l’extrême gauche dans la nouvelle période ». Et bien justement non, la LCR ne pouvait se contenter de gérer un illusoire pré carré électoral en escomptant des dividendes sous la forme de nouveaux militants. Ne rien faire, c’était l’assurance d’amorcer une crise bien plus profonde encore que celle que nous vivons. Le processus politique et organisationnel autour des succès des deux campagnes présidentielles de 2002 et 2007 conféraient à la LCR une opportunité et une responsabilité particulière. Mais en même temps, en raison même de notre réussite, nous avons suscité dans un milieu militant non négligeable et au-delà, une réelle attente à laquelle il nous fallait répondre. Si nous avons osé franchir le pas, c’est d’abord parce que nous étions convaincus de la pertinence du tryptique « Nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti ». Mais c’est aussi, qu’a contrario, nous avions sous les yeux l’expérience de Lutte Ouvrière. Cette organisation, malgré un temps d’hésitation au printemps 1995, a décidé de ne rien faire de ses deux succès de 1995 et 2002. Quand une politique réussit, elle suscite un espoir et une attente dont on est comptable. Ne pas tenter d’y répondre, c’est démontrer son inutilité politique. Pour prendre une image qui vaut ce qu’elle vaut, lorsqu’on a gagné le championnat de deuxième division, il faut accepter de monter en première division. Sinon, c’est l’assurance de désespérer ses supporters et c’est prendre un billet rapide pour les divisions inférieures, il n’y a pas possibilité de revenir au statu quo ante.
Avec le NPA, nous avons voulu construire un parti en faisant le pari raisonné que l’écart qui existe en France entre la radicalité sociale et la traduction politique de cette combativité doit pouvoir être comblé, au moins en partie. Ce faisant nous avons été confronté à des problèmes nouveaux tant sur les questions organisationnelles que sur le plan politique. Les vecteurs de politisation, les raisons de l’engagement, les références partagées sont aujourd’hui fort différents. Au demeurant la coupure qui s’est opérée n’intervient pas en février 2009 avec la fondation du NPA mais dans les années post 2002 lorsqu’après le premier succès électoral à la présidentielle de 2002 nous avons fait le choix d’ouvrir très largement les portes de la LCR. La thèse de doctorat de Florence Johsua [2] sur les raisons de l’engagement dans la LCR montre très clairement que ce qui s’est joué dans ces années là ce n’est pas un simple grossissement de la LCR, organisation trotskyste issue de Mai 68, mais bien d’un changement de nature de cette organisation. Sait-on seulement que sur les 3200 membres de la Ligue en 2008 seuls 3 à 400 en étaient membres avant 1995 ? Pour reprendre la formule de Benjamin Stora, la génération 68 est la dernière génération d’Octobre. Résoudre les problèmes d’aujourd’hui ne peut donc se faire avec simplement les solutions d’hier.
Par delà les erreurs tactiques qui furent nombreuses, même si les points de vue peuvent varier sur la nature de celles-ci, avec le NPA, des problèmes nouveaux sont apparus, ceux d’un parti pesant sur le champ politique et non plus ceux d’une petite organisation politique. L’impréparation, la méconnaissance des enjeux et la sous-estimation des problèmes ont été évidents. A cela s’ajoute une certaine arrogance de notre part. Là encore, lorsqu’on monte en première division il est sans doute illusoire, voire prétentieux de penser, qu’on va tout de suite jouer la Ligue des champions alors que l’enjeu est le maintien en D1. La discussion sur les questions stratégiques est donc décisive et il nous faut poursuivre le débat au sein du parti. Il est incontestable que lors du congrès de fondation, parce qu’il s’agissait d’une fondation processus, nous avons produit un texte inachevé en ce qui concerne Les principes fondateurs du NPA. Pour reprendre la formulation des camarades, effectivement, « des ambiguïtés, flou, indéfinitions forcément nécessaires » doivent être levées. Une lecture trop rapide du texte de C/S pourrait laisser entendre qu’il suffirait de retourner aux sources du passé pour régler nos problèmes de stratégie et d’orientation. Telle n’est évidemment pas la position des camarades. Si sur certains problèmes nous avons bien quelques solutions, sur bien d’autres aspects, nous n’avons, au mieux, esquissé que des pistes de réflexions. De toute évidence, il faudra de nouvelles expériences du mouvement de masse pour progresser substantiellement. Mais notre capacité à féconder les mouvements à venir dépend aussi de notre aptitude à comprendre le présent.
2- La crise, la question de l’engagement
Par nature, on ne peut trouver d’analogie historique qu’en se tournant vers le passé. La question qui se pose alors, c’est de séparer le pertinent de l’obsolète, de différencier le mort et le vif. Même s’ils le font avec une grande prudence, la comparaison opérée avec les années 30 par les camarades C/S apparaît peu opératoire.
Ainsi les camarades indiquent « une crise économique et sociale de l’ampleur de celle des années 30 » et plus loin « Ce que nous avons c’est une polarisation des forces, liée à l’approfondissement de la crise de civilisation que connaît le monde capitaliste, qui renforce à cette étape la droite et l’extrême droite et qui met sur la défensive le mouvement ouvrier au sens large. Nous avons d’un certain point de vue, une situation politique qui ressemble « aux années 30 » mais au ralenti. Année 30 avec la crise et la poussée des droites et des populistes et fascistes, au ralenti, parce qu’il n’y a pas l’explosivité de l’affrontement révolution/contre révolution fasciste, justement des années 30 ». Il me semble que ces deux passages apportent plus de confusion que d’éclairage et gomment les éléments nouveaux de la situation.
– D’abord parce que la gravité même de la crise est fortement à moduler suivant les zones géographiques. Vu d’Australie ou de Chine voire du Brésil et de l’Inde, on pourrait dire, la crise ? Quelle crise ? Compte tenu du poids démographique et économique de ces pays, voilà une différence substantielle dans la situation internationale. Cela contribue sans doute à s’interroger sur la dynamique à l’œuvre dans l’économie capitaliste. A minima nous assistons à un fort rééquilibrage sur la place occupée par chacun, au profit des pays du Sud. Et peut-être, même si le processus est loin d’être achevé, sommes-nous entrés dans une phase où l’économie dominante bascule des Etats-Unis vers la Chine. Un tel bouleversement s’opère rarement sur le tapis vert et l’Europe a toutes les chances d’être une des principales victimes de cette réorganisation du capitalisme mondial. Dans cette perspective, nous sommes effectivement dans une crise extrêmement profonde qui ne fait que s’amorcer et dont les répercussions sociales et politiques peuvent être désastreuses.
– Ensuite, il est je crois hasardeux d’en appeler aux années 30 pour comprendre la poussée des droites populistes et autoritaires. Cette poussée dans l’entre deux guerres ne peut s’expliquer sans la conjonction de deux facteurs décisifs qui sont totalement absents dans la période actuelle. La première c’est évidemment la force propulsive de l’Octobre russe et les répercussions de la poussée révolutionnaire du début des années 20 (Allemagne, Hongrie, Italie …). Pour l’essentiel, l’émergence d’une droite autoritaire et réactionnaire voire ouvertement fasciste apparaît alors comme une réaction, un contrecoup de la menace d’une révolution socialiste. Le second, en toile de fond, renvoie aux conséquences de la boucherie qu’a représentée la première guerre mondiale : brutalisation des sociétés (Enzo Traverso y ajouterait comme prémisses les dégâts de la colonisation) et réorganisation du continent européen. La montée des extrêmes droite et droites populistes aujourd’hui en Europe relève d’une toute autre nature. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas le pendant d’une poussée révolutionnaire.
– Le texte des camarades C/S souligne avec raison l’absence de traduction militante des conflits sociaux actuels, même lorsqu’ils s’inscrivent dans la durée. A titre de comparaison l’explosion vertigineuse des effectifs de la CGT à peine 800 000 pour la CGT et la CGTU en 1935, près de 4,7 millions après juin 1936 ne peut que laisser rêveur. La crise de l’engagement est une question sérieuse qu’il faut prendre à bras le corps. Ce n’est pas comme on l’entend parfois dans la gauche radicale une crise de la forme parti, c’est bien l’ensemble du mouvement ouvrier et de ses organisations qui est en crise. Dans les années 30, au-delà de la proximité de la poussée révolutionnaire, il faut y ajouter une réalité sociologique. Si le prolétariat était numériquement moins nombreux qu’aujourd’hui, il était incontestablement plus concentré dans de grandes unités de production et surtout plus homogène d’un point de vue socio-culturel (cadre de vie, niveau scolaire centré sur le certificat d’étude …). De plus, parce qu’il se renforçait années après années il était sans doute beaucoup plus sûr de sa force et de sa fonction historique. Toute autre est la situation aujourd’hui où l’hétérogénéité, l’atomisation et l’individualisation l’emportent largement. Si Facebook et Twitter sont des relais formidables pour la circulation de l’information en temps réel, il est peu probable que ces instruments soient d’une quelconque aide pour contribuer à former un intellectuel collectif. Le texte de Pierre Rousset [3] pointe des éléments de réponses et des pistes de travail en s’interrogeant sur ce qu’il appelle la politisation post-Seattle.
La comparaison avec les années 30, même au ralenti, relève donc plus d’une histoire parenthèse dont il faudrait reprendre le fil et gomme de ce fait les profondes mutations idéologiques, politiques et économiques de période actuelle. Elle ne donne pas les clefs pour appréhender la complexité d’une orientation capitaliste/révolutionnaire au XXI° siècle.
3- Anti et hors système
L’enjeu est donc de construire un parti anticapitaliste/révolutionnaire de masse. L’énoncé de l’objectif ne suffit évidemment pas à trouver le chemin surtout dans une situation difficile marquée par les reculs. Il marque toutefois une rupture avec les notions de partis d’avant-garde tels qu’elles ont été développées dans les années post 68.
J’ai essayé d’avancer quelques pistes de réflexions [4] et je voudrais revenir ici sur un élément abordé par le texte des deux camarades et que reprend à son compte Samuel Johsua dans sa réponse, la dimension « anti et hors système »
« Cette approche a une conséquence politique nette, dans la situation actuelle de crise globale, c’est le fait de choisir d’apparaître, justement « anti et hors système ». Il est décisif, face à la crise de représentation politique mais aussi face à la montée de Le Pen, d’incarner, à gauche le parti anti et hors système » nous disent C/S. Samy, quant à lui, indique qu’il est complètement d’accord avec ce choix et entreprend une comparaison avec le FN [5]. Le débat est effectivement sérieux mais mérite quelques éclaircissements.
D’abord il n’est pas inutile de rappeler ici un certain nombre d’éléments qui figurent dans Les principes fondateurs du NPA [6], et qui font donc, largement accord entre nous. Parti anticapitaliste, le NPA se prononce pour en finir avec le système actuel fondée sur la propriété privée des principaux moyens de production et analyse sans aucune ambiguïté la nature des institutions : « Il n’est pas possible de mettre l’Etat et les institutions actuelles au service d’une transformation politique et sociale. Ces organismes, rodés à la défense des intérêts de la bourgeoisie, doivent être renversés pour fonder de nouvelles institutions au service et sous le contrôle des travailleurs et de la population ». Cette question de la nature des institutions est décisive car elle a des répercussions fondamentales dans le mode d’action. En particulier, cela veut dire que si nous avons aussi une activité politique au sein des institutions, le centre de gravité de notre intervention est bien la lutte des classe et l’auto-organisation des travailleurs. Autre élément qui fait accord entre nous et qui découle de notre analyse de la situation du mouvement ouvrier, c’est que dans l’articulation recomposition/reconstruction le curseur doit être clairement positionné du côté de la reconstruction. Ce choix est non seulement le produit de la trajectoire des autres forces politiques mais aussi que, face à la crise du mouvement ouvrier, il ne s’agit pas tant de disputer la direction de ce qui existe que de le refonder. Ce qui amène, nécessairement, à s’intéresser aux nouvelles formes de politisation et de radicalisation. On ne fait pas du neuf qu’avec du vieux et si tout ce qui bouge n’est pas rouge, tout ce qui est rouge ne bouge pas.
Ces quelques rappels sont notre bien commun et ne me semblent pas contestés en notre sein si ce n’est marginalement. D’où pourquoi cette insistance qui enthousiasme Samy sur cette référence « anti et hors système ». Dit autrement, par rapport à ce qui est notre positionnement et notre activité actuels quelle est la traduction politique concrète qui ouvrirait des horizons vraiment nouveaux à un tel positionnement ? Parce que anti et hors système pourquoi pas ? Mais qu’est-ce qui change, pour faire quoi et jusqu’où ?
Prenons l’exemple, pas tout à fait hypothétique, d’un deuxième tour PS/FN au second tour de 2012, qu’est-ce qu’on fait ? On va jusqu’au bout d’une logique anti-système et on est agnostique ? Ou bien, au final, on laisse entendre qu’il faut voter pour un candidat du système, ne serait-ce que pour battre l’extrême-droite ? Il faut sans doute reprendre la discussion sur ce qu’est devenu le Parti socialiste, ce qu’il reste de ses rapports avec le mouvement ouvrier, avec les traditions de la gauche française. Mais malgré l’évolution de ce parti, au regard de la politique de Sarkozy et de l’apparition d’un courant avéré au sein de la droite qui promeut une alliance avec le FN [7], on voit bien que la logique anti et hors système n’est pas d’un grand secours dans un tel cas de figure.
Dans le débat sur l’indépendance par rapport aux institutions il y a me semble-t-il une grande faiblesse. Peu ou prou, le débat en notre sein, sur la question des institutions se ramène trop souvent aux seuls cadres issus du suffrage universel. La force et la complexité de la domination bourgeoise sur les classes exploitées sont autrement plus sophistiquées dans leur mélange de coercition et de consentement. Il suffit d’évoquer des institutions comme l’école ou la justice, pour ne pas citer l’armée ou la police. Et quelle est la fonction des bureaucraties syndicales vis-à-vis du système, à l’extérieur ou partie prenante ? Comme l’indique F. Sabado dans sa préface à la maladie infantile [8], « la notion de bureaucratie explique et décrit ce processus d’intégration de certains secteurs issus du mouvement ouvrier et du mouvement social dans les structures de l’Etat et de l’économie capitaliste et son basculement du côté des intérêts fondamentaux des classes dominantes ». On pourrait en particulier discuter de la place des comités d’entreprises dans la corruption du mouvement ouvrier syndical (le cas de la CCAS d’EDF n’est hélas pas isolé). Le FN dans un communiqué de presse [9] vient de mettre sur le même plan Bernard Thibaut et Nicolas Sarkozy en dénonçant leur collusion et en appelant de ses vœux de nouveaux syndicats. C’est redoutablement anti système, mais est-ce notre terrain ? Si les syndicats peuvent faire partie du système, personne pour autant ne propose de les déserter.
Surtout, on peut être au cœur d’une institution sans pourtant y être élu et en ayant des responsabilités non négligeables parfois bien supérieures à celles d’un élu. Parce qu’on y travaille par exemple. Avoir des responsabilités au CEA, c’est être partie prenante du système militaro-industriel français, et c’est donc sans doute difficilement compatible avec le NPA. Mais être cadre dans une collectivité territoriale et s’occuper du développement urbain des quartiers, de l’insertion par exemple c’est être un peu utile ou c’est nécessairement participer au développement des projets des classes dominantes ? L’approche de Daniel Bensaïd dans son livre posthume apparaît plus utile : « Le problème de la politique, conçue stratégiquement et non de manière gestionnaire, consiste précisément à saisir les moments de crise et les conjonctures propices au retournement de cette asymétrie [entre dominés/dominants]. Il faut accepter pour cela de travailler dans les contradictions et les rapports de forces réels, plutôt que de croire, illusoirement, pouvoir les nier ou s’y soustraire. Car les subalternes (ou les dominés) ne sont pas extérieurs au domaine politique de la lutte, et la domination n’est jamais entière et absolue. Le dehors est toujours dedans. La liberté perce au sein même des dispositifs de pouvoir. La pratique est porteuse d’expériences et de connaissances propres, susceptibles de fournir les armes d’une hégémonie alternative. » [10]
Pour en rester aux simples questions électorales, le vrai problème est bien sûr comment on est élu et pour faire quoi. Et il nous faut constater que nous avons là deux problèmes.
Le premier est lié au mode de scrutin, en France c’est en général le scrutin majoritaire à deux tours avec éventuellement une dose de proportionnelle. C’est évidemment un lourd handicap pour nous dans la mesure où cela fait en général découler l’obtention d’élus d’un accord (même technique) avec le PS. A la lumière de la trajectoire de ce parti, il faut reconnaître que le niveau de difficulté devient croissant.
Le second est lié à la réduction de l’espace démocratique qui amenuise comme une peau de chagrin les possibilités de mise en place d’une politique de rupture même partielle dans une ville par exemple. L’adhésion à un projet politique n’est pas d’abord idéologique dès lors qu’on touche de larges couches. La force du Parti Communiste à une certaine époque c’est aussi d’avoir montré que dans les villes qu’il dirigeait le sort des travailleurs, des plus démunis s’améliorait effectivement. Un tel espace pour une certaine autonomie de gestion est sans doute impossible aujourd’hui avec l’évolution des champs de compétences administratifs. De ce point de vue, cela aggrave nos difficultés dans le cadre de la conquête de l’hégémonie politique tel que l’entend Gramsci. « Ce dernier met l’accent sur les phases préparatoires à la révolution, sur la nécessité de la conquête de l’hégémonie – sociale, politique et culturelle- par les classes dominées où celles-ci montrent la supériorité de la gestion ouvrière ou sociale et de leur démocratie et autogestion socialiste sur la domination de l’économie capitaliste et celle de l’Etat bourgeois » [11]. Explorer les voies pour développer tous les gisements de communisme est pourtant indispensable. Je ne reprends pas ce que j’ai déjà écrit [12] sur le sujet qui est assez proche « des majorités d’idées » développées par Samy.
Dans la construction d’un parti de masse, ou disons à vocation de masse, notre rôle doit être de regrouper l’ensemble des anticapitalistes. Le NPA a permis une première avancée et c’est un point d’appui précieux pour poursuivre. Mais de toute évidence nous sommes encore loin du compte. Notre tâche est donc de continuer à regrouper la galaxie anticapitaliste. Le problème c’est que nous ne sommes pas un astre assez puissant pour que les seules forces de la gravitation puissent suffire à réaliser ce regroupement. Et en même temps, nous sommes la seule force politique organisée nationalement et nous le resterons probablement. On ne peut contourner cette difficulté qui existe depuis la fondation du NPA. Pour partie, la solution dépend de l’intensité de la lutte de classes, de l’ampleur des mobilisations et de notre capacité à être utile au quotidien. Mais cette réponse est un peu courte. Pour reprendre la formulation de Samuel Johsua que je partage, il existe bien « deux publics » disjoints : l’un, acquis à un positionnement antisystème mais qui s’engage peu et l’autre, constitué de forces militantes potentiellement disponibles mais bien moins antisystème que nous. Notre rôle est pourtant d’être capable de s’adresser à ces deux publics si nous voulons contribuer à structurer un vaste espace anticapitaliste.
Le processus en cours dans la sphère écologiste traditionnelle devrait nous conduire à être plus attentifs, car d’un certain point de vue il recèle les mêmes ingrédients. Autour d’un seul parti, Les Verts ont fédéré une bonne partie de la sphère écologiste. De toute évidence, l’affaire est compliquée et la pérennité de EE-LV n’est pas assurée. De plus le processus n’est pas aisément reproductible sur le terrain de l’anticapitalisme. En particulier, le tissu associatif écolo est sans doute beaucoup plus riche que son équivalent anticapitaliste, encore que… il faudrait voir et sommes-nous bien sûrs d’avoir cette préoccupation…
Il me semble que notre approche à cette étape souffre d’un handicap majeur, celui d’ignorer les indispensables médiations entre le parti et les masses. L’idée trop répandue qu’il suffit simplement au parti de s’exprimer par l’intermédiaire de sa presse, de ses campagnes et de ses porte-parole n’est pas la hauteur. Le Parti Communiste au temps de sa splendeur, ce n’est pas simplement un parti puissant de plusieurs centaines de milliers de membres avec un fort relais syndical dans la CGT. C’est aussi l’animation de dizaines d’associations (du Mouvement de la paix en passant par l’Union des femmes françaises….) qui créent l’indispensable maillage pour que la politique du parti puisse irriguer l’ensemble de la société.
Tout cela ne relève pas particulièrement d’une problématique anti et hors système à laquelle les camarades donnent bien peu de chair, mais il nous faut sans doute explorer un peu plus de ce côté-là. Entre la construction du parti et le front unique, il y a peut-être place pour des constructions intermédiaires partielles, qu’elles soient ponctuelles ou inscrites dans la durée.
Guillaume Liégard