En plus de nombreuses analyses sur la période et la conjoncture que je partage pour l’essentiel (pour les détails, il faudra approfondir), Léon Crémieux et François Sabado (C/S) affirment un choix fort [1] : « Cette approche a une conséquence politique nette, dans la situation actuelle de crise globale, c’est le fait de choisir d’apparaître, justement « anti et hors système ». Il est décisif, face à la crise de représentation politique mais aussi face à la montée de Le Pen, d’incarner, à gauche « le parti anti et hors système » ! »
Je suis complètement d’accord avec ce choix. Et, bien entendu, il ne faut nullement en tirer ni le refus de participer aux élections ni, quand c’est possible, aux institutions elles-mêmes. Reprenant ce qui est développé dans plusieurs textes (et dans les principes fondateurs du NPA), C/S disent d’ailleurs « Dans une perspective de révolution socialiste surtout dans les pays à forte tradition parlementaire, il y a la nécessité de participer aux élections et d’y avoir des élus. Les élus peuvent et doivent constituer des points d’appui pour l’action révolutionnaire. Dans les pays à fortes traditions parlementaires comme en Europe ou en France, le processus révolutionnaire traversera aussi certaines institutions bourgeoises, à des degrés divers, en particulier les communes, c’est une des raisons qui nous font intervenir régulièrement et sérieusement dans les institutions. »
Bien qu’il me soit difficile à cette étape de dire s’il s’agit pour ce thème « anti-système » d’un choix de portée historique ou seulement de conjoncture, tout pousse à un positionnement de ce genre. Laissons de côté le long terme, assez flou par définition. Mais sur le moyen terme, bien que la discussion doive se poursuivre, deux considérants au moins vont dans le sens de C/S à mes yeux (je les ai développés dans mon texte « 20 défis » [2]). Le premier est lié à la nature du PS qu’on ne peut plus considérer comme la social-démocratie traditionnelle, du moins dans sa grande majorité, (j’ai proposé la définition de « parti bourgeois à clientèle populaire gardant des liens déclinants avec la tradition de la gauche française »). Et le second tient à l’évolution globale des institutions, restreignant pour une période indéfinie les espaces d’autonomie (voir points 16, 19 et 20 de mon texte « 20 défis »). Surtout, sur le court terme : l’ampleur des attaques prévisibles compte tenu de la crise ; la cassure accélérée avec les masses que cela entraînera qu’elle soit provoquée par la droite ou par la gauche ; la gestion de ces politiques par le PS s’il parvient au pouvoir ; tout ceci fait qu’il est indispensable d’incarner, à gauche, une option antisystème, appuyée, en positif, sur un programme anticapitaliste.
Pour poursuivre le débat, je pose quelques questions supplémentaires, à l’intérieur de ce choix général.
1) La comparaison avec le FN
La preuve est faite par le FN qu’on peut peser fortement sur les rapports de force sociaux, politiques et idéologiques sans présence dans les institutions et même, cas d’espèce, jusqu’à maintenant sans programme alternatif réel, voire sans aucune « perspective politique » d’arrivée au gouvernement. Pour tous ceux, nombreux, qui considèrent que c’est l’absence de ce type « de perspectives politiques » qui nous bloquent en priorité à nous NPA, la leçon mérite d’être méditée.
Il faut se garder cependant de pousser la comparaison trop loin. Le FN est souverainiste/protectionniste (toujours), mais il oscille selon les périodes d’un positionnement purement libéral à un autre (l’actuel) antilibéral. La constante étant le racisme et le vieux fond du pétainisme et du colonialisme. Mais, indépendamment de ses « programmes », il fait partie du « système » à un certain niveau. Non seulement parce qu’il défend au final le capitalisme, mais parce qu’à cette étape il ne le fait pas avec des options « national-révolutionnaires », réellement hors système, comme le fascisme des années 30. Parti fasciste, il est en même temps un parti de la droite extrême (laissant envisager comme possible des alliances gouvernementales classiques pour plus tard).
Nos choix de privilégier « la rue », en plus de celui pour l’unité de la classe prolétarienne [3], et plus généralement, la mise en cause par nous des institutions d’État dans leur légitimité profonde fait qu’en tout état de cause, jamais nous ne serons un pendant « à gauche » de ce que le FN est (présentement) « à droite ». En effet, l’option choisie par nous, suppose de s’appuyer sur l’activité des masses elles-mêmes (il est frappant de voir qu’au contraire, et toujours à cette étape, la progression du FN se fait sans mobilisation de masse particulière autre qu’électorale).
2) Majorité parlementaire et majorité d’idées
La seconde question rejoint les préoccupations stratégiques à moyen terme. Même si l’option antisystème s’accompagne, comme il se doit, d’un programme de transition (« la valise »), ça ne donne pas les moyens de mettre en œuvre la machine (avec une « poignée »).
Le FG dispose d’une réponse stratégique bien connue maintenant : une victoire électorale d’une gauche unie, et dans laquelle les options anticapitalistes (ou même seulement antilibérales) seraient dominantes. Parfois il s’agit aussi de s’appuyer sur le mouvement social, mais toujours subordonné à cette conquête.
C’est une stratégie en trompe-l’œil pour plusieurs raisons. Compte tenu de la nature du PS, il n’y aura jamais une telle alliance avec lui. S’il s’agit de lui voler ses électeurs dans ce processus, cela supposerait une radicalisation telle qu’elle ne peut s’imaginer que d’abord hors élections, dans la lutte sociale elle-même. De plus toutes les expériences de ce type ont fini comme on le sait, avec politiques antipopulaires, échecs et désastres. Enfin, si d’aventure il se passait autre chose (comme dans le Chili d’Allende), la bourgeoisie imposerait une confrontation violente contre-révolutionnaire. Donc, c’est une quadruple illusion. Mais en attendant, c’est bien une option stratégique repérable.
La nôtre ne peut pas être réduite à « une posture antisystème appuyée sur un programme, plus l’attente et la préparation de mobilisations de masse à la hauteur d’une telle posture ». Manque au moins une partie de la poignée. Dit autrement, il demeure la question centrale suivante : comment dans un pays comme le nôtre favorise t-on des avancées révolutionnaires quand on est loin de la révolution ?
Avec d’autres (récemment, le texte de Guillaume Liégard [4], celui écrit par moi avec François Sabado [5], mon texte déjà cité, « 20 défis » en son point 15, de nombreuses contributions de Daniel Bensaïd [6]) le choix qui est proposé pour combler ce fossé est celui du combat hégémonique de type Gramscien [7]. Une posture hors système ne se résume ni à un positionnement propagandiste, ni à un positionnement d’attente, mais à un combat multiforme de ce type, tous les jours (culturel, idéologique, social, politique, institutionnel, expérimental appuyé sur la pratique sociale). Il nous faut opposer à la recherche (qui plus est illusoire) de la majorité parlementaire, celle de la conquête des majorités d’idées (bien moins illusoires en fait et aptes, finalement, à une vraie influence y compris sur « le système », mais principalement par l’extérieur).
3) Les anticapitalistes comme enjeu, entre réforme et révolution
Une autre question encore (au moins) doit être abordée c’est celle de la base militante potentielle d’un tel projet. C/S se prononcent pour des partis anticapitalistes révolutionnaires de masse, rompant avec les petits groupes révolutionnaristes, réduits parfois de plus à des sectes. Mais en même temps, et avec lucidité, ils décrivent avec force détails ce qu’il faut bien appeler une crise de l’engagement (nulle part de croissance organique non seulement des partis anticapitalistes, mais plus généralement de ceux de gauche y compris réformistes, et encore des syndicats eux-mêmes, du mouvement associatif, bref, de tout le mouvement ouvrier au sens large).
Ainsi le fait est patent : le soutien d’opinion à un positionnement « antisystème » se traduit rarement en engagement militant. Les raisons en sont multiples, mais les données incontestables. De plus, les forces militantes effectivement ou potentiellement disponibles sont, en général, bien moins « antisystème » que nous. Dans ce vaste espace potentiellement anticapitaliste il y a inévitablement des segments, variables en ampleur selon les conjonctures, avec d’un côté les secteurs (voire seulement des personnes) qui sont et demeurent en rupture avec le champ partidaire de la gauche gestionnaire et de l’autre des secteurs qui lui restent attachés. Un de nos problèmes majeurs tient en ceci que ces deux pôles peuvent être en situation de rupture entre eux, et c’est plutôt le cas aujourd’hui.
Cela dit, si les deux pôles sont présents en permanence, l’ensemble du champ concerné ne comprend jamais de compartiments étanches, mais une continuité. Tou-te-s ces militant-e-s oscillent entre des positions de ralliement utilitaire à une union avec le PS, (y compris sous son hégémonie qu’on espère alors provisoire) ou des positions purement réformistes, et des options antilibérales conséquentes, ou bien encore anticapitalistes révolutionnaires. Et il faut de plus envisager en pratique les superpositions possibles de toutes ces positions. Or c’est le point que je voudrais souligner, c’est lorsque ces deux pôles, ces « deux publics », le in et le off, sont unis dans un combat donné (politique, social, sociétal, écologiste, idéologique…) hors du champ dominé par le PS qu’une perspective plus influente peut voir le jour.
On se trouve devant deux possibilités extrêmes, menant toutes deux à des impasses. Choisir de manière prioritaire le pôle proche du « vieux » mouvement, au risque de se trouver ramenés à une position subalterne vis-à-vis des courants réformistes (avec la traduction que ça suppose dans les luttes elles-mêmes, souvent dirigées comme on sait par ces mêmes courants) et de plus, avec la certitude de la soumission au PS au bout du compte. Ou choisir l’autre pôle de manière exclusive, au risque non seulement de se retrouver durablement seuls comme parti, avec l’illusion que le NPA est le début et la fin du processus, juste intéressé à faire fonds sur une poussière de secteurs disjoints et eux-mêmes très fragiles politiquement.
Ma réponse à ces contradictions tient en trois propositions, données ci-dessous.
– Un choix prioritaire donné à la « reconstruction » hors système, comme le proposent C/S. C’est un choix premier, le plus important, sur lequel il faut se prononcer. Ce qui implique que le NPA pense son intervention en fonction de l’ensemble des pratiques sociales de contestation du système, et pas seulement et encore moins prioritairement à partir de l’espace restreint où se discute l’avenir de la gauche partidaire « antilibérale ».
– Le refus d’acter une scission entre « les deux publics », dont le risque est pourtant bien présent dans la conjoncture. Le NPA doit lutter en sens inverse pour les unifier sur des bases radicales.
– En pratique, cela dépend d’une manière cruciale de la conjoncture générale. Ainsi, si la gauche gagne les élections de 2012, l’attitude vis-à-vis de cette majorité va agir comme un critère immédiatement déterminant, apte à rebattre les cartes. Dans ce cas, un positionnement hors système pourrait se combiner étroitement (et trouver un large écho) avec une opposition politico-sociale de gauche aux politiques qui seraient mises en œuvre, offrant un cadre concret de jonction entre les « deux publics » décrits ci-dessus.
Samy