Le mouvement populaire népalais a emporté une victoire retentissante en imposant la restauration du Parlement. Une nouvelle phase s’ouvre, sur la réunion d’une assemblée constituante.
Après plusieurs semaines de mobilisations et 18 jours de grève générale, une douzaine de morts, tués par les forces de répression, et des centaines de blessés, le mouvement populaire népalais a emporté une première victoire de grande ampleur. Le roi Gyanendra a finalement dû se résigner à convoquer le Parlement qu’il avait dissous en février 2005 pour se doter des pleins pouvoirs.
Cette victoire est d’autant plus retentissante que le mouvement démocratique s’affrontait sans armes, à Katmandu, à une armée engagée depuis 10 ans dans une sale guerre contra la guérilla rurale du Parti communiste du Népal (Maoïste) et à une véritable dictature royale. Jusqu’à la fin, le roi a bénéficié d’importants appuis internationaux de la part des gouvernements indiens, chinois, étatsuniens et européens. En dernière minute, les chancelleries occidentales ont exercé de fortes pressions sur les partis d’oppositions pour qu’ils acceptent un compromis pourri : ils choisiraient un nouveau Premier Ministre, mais le roi garderait le contrôle de la situation et le droit de dissoudre le Parlement.
Les gouvernements occidentaux se targuent d’exporter la démocratie dans le monde entier. Ils n’en ont pas moins observé avec beaucoup de suspicion un mouvement démocratique très profond, qui surgissait de la société népalaise elle-même sur des mots d’ordre simples : restauration du Parlement et des libertés civiles, convocation d’une assemblée constituante à même de décider de la nature du régime... Leur obsession : en terminer au plus tôt avec la crise. Mais la mobilisation populaire était si forte qu’aucun parti d’opposition ne pouvait accepter le compromis de dernière heure proposé par le roi et les chancelleries.
Au fil des jours, dans ce royaume de 28 millions d’habitants, les manifestations et rassemblements sont passés de 50.000 à 100.000 puis 200.000 et au-delà.. Sans oublier la grève générale. Il est assez plaisant de voir l’actualité de formes de lutte jugées « archaïques » par les idéologues de la modernité. La puissance de l’exigence démocratique est frappante. Elle bouscule bien des clichés, soigneusement entretenus par les tenants du « choc des civilisations », sur les peuples asiatiques (qui plus est, himalayens !) étranger à la démocratie. Mais de quelle démocratie parle-t-on ?
La restauration du Parlement de 2005 n’a jamais été le but ultime des mobilisations. Il est dominés par des partis, comme le Congrès, qui ont failli. La deuxième étape du combat démocratique, décisive, concerne la convocation d’une assemblée constituante. Elle est acceptée dans son principe. Selon quelles modalités sera-t-elle réunie ?
La nature du régime est en question. A commencer par le remplacement de la royauté par un ordre républicain. Mais le Népal est aussi le seul Etat officiellement hindou au monde. Or, il comprend des ethnies très variées et plusieurs religions, même si l’hindouisme est majoritaire (80%). Lors du rassemblement du 28 avril, pour saluer la victoire, la revendication d’un Etat « dharmanipeksh » (à savoir laïque) était très clairement exprimée : « Des gens de toutes religions vivent au Népal. Il y a des hindous, des bouddhistes, des musulmans et d’autres. C’est pourquoi l’Etat doit être laïque » (dans l’acceptation anglaise du mot « secular »). La définition non religieuse de l’Etat est au cœur des préoccupations démocratiques en Asie du Sud aussi bien dans des pays comme l’Inde, où la laïcité traditionnelle du régime est menacée par la montée en force de mouvements fondamentalistes hindous, qu’au Pakistan qui s’est créé en 1947 sur une base confessionnelle, musulmane.
Le contenu social de la démocratie népalaise sera lui aussi posé dans le cadre de la préparation de l’assemblée constituante. La crise rurale est telle que la guérilla du CPN (Maoïste) contrôle 70% du territoire. L’influence révolutionnaire était très perceptible, lors des manifestations de Katmandou. Cependant, à gauche, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue, car le mouvement marxiste-léniniste népalais est divisé, de même qu’il l’est en Inde. Le Parti communiste indien marxiste-léniniste « Libération » est, par exemple, lié au Parti communiste népalais « Union marxiste léniniste » (PCN-UML), l’un des sept principaux partis légaux d’opposition.
Pour leur part, les partis bourgeois, comme le Congrès, vont évidemment chercher à désamorcer la charge révolutionnaire du mouvement démocratique, avec l’appui, une nouvelle fois, des chancelleries occidentales.
Himalaya : la crise népalaise
Artilce du 16 avril 2006
En s’arrogeant les pleins pouvoirs, le premier février 2005, le roi Gyanendra a plongé le Népal dans une crise sans précédent.
Le royaume himalayen du Népal est en crise ; une situation qui place les Etats-Unis devant un dilemme. Le Palais porte la responsabilité de la crise. Mais l’opposition bourgeoise est soutenue par un parti maoïste dont la guérilla contrôle environ 70% du territoire, en dehors de la capitale Katmandou, de quelques villes comme Pokhara, où l’armée stationne en permanence, et d’axes routiers.
Les voies du seigneur sont impénétrables. L’homme d’affaire Gyanendra Bir Bikram Shah Dev est devenu roi de droit divin en juin 2001 après que son frère Birendra ai été assassiné par son propre fils aîné, parait-il aviné. Dix membres de la famille royale ont alors trouvé la mort. Puis, droitier, le fils meurtrier a eu le bon goût de se suicider de la main gauche. L’affaire garde ses mystères. Toujours est-il que notre nouveau roi s’est assis sur son trône après une douzaine de décès violents et familiaux.
Bien installé dans ses nouvelles fonctions, Gyanendrea s’est octroyé les pleins pouvoirs en février 2005 : Parlement dissous, activités des partis suspendues, dirigeants politiques incarcérés ou placés en résidence surveillée... Incapable d’endiguer une guérilla portée par la crise du monde rural, le roi s’est retourné contre l’opposition urbaine, créant les conditions d’une improbable alliance entre les sept partis « démocratiques » d’opposition d’une part, et la principale formation maoïste d’autre part (des forces qui s’étaient combattues dans la période précédente).
L’opposition exige, avant toute élection, la restauration des libertés publiques et du Parlement, et l’adoption d’une nouvelle Constitution. Le pays est paralysé, la grève générale décrétée. La répression a déjà fait plusieurs morts et des centaines de blessés ; de nombreux dirigeants et militants démocratiques ou syndicaux ont été arrêtés.
Les Etats-Unis (traditionnellement appuyés par l’ancienne puissance coloniale, la Grande-Bretagne) fournissent une aide militaire au royaume du Népal. Elle a considérablement augmenté après une précédente proclamation de l’état d’urgence. Il s’agissait alors officiellement de défendre la monarchie constitutionnelle contre les communistes et... d’éviter que la minorité musulmane (4% de la population, sans tradition intégriste) ne tombe dans les griffes d’Al Quaida ! L’appui US n’a pas suffi pour juguler la guérilla qui vient de fêter son dixième anniversaire (elle est né le 13 février 1996). La guerre civile, nourrie par la répressive incurie gouvernementale, a fait 13.000 morts dans ce pays de 26 millions d’habitants.
Pékin soutient depuis l’an passé le maharaja du Népal, fournissant 72 millions de subvention en monnaie chinoise pour moderniser l’armée royale afin de lutter contre les maoïstes du CPN (M). Coïncidence, après les aides sino-indiennes, depuis octobre le gouvernement népalais ne délivre plus de titre de voyage aux réfugiés tibétains et bhoutanais...
Les Etats-Unis ont condamné le coup d’Etat royal de février 2005, à l’instar de l’Inde et de l’Union européenne. Mais, à la différence de la Grande-Bretagne et de l’Inde, ils ont maintenu leur aide militaire en la plaçant « sous observation ». Washington sait pourtant que le roi fait l’unanimité contre lui et a condamné, par des mots très durs, l’organisation d’élections municipales boycottées par l’opposition. Pas question néanmoins d’ouvrir une voie, même électorale, aux maoïstes. Au grand dam des partis d’opposition, les Etats-Unis ont ainsi rejeté l’offre maoïste d’une médiation des Nations unies en vue d’instaurer un régime pluripartiste.