CE DOCUMENT COMPORTE
– DES EXTRAITS DE NOS PRINCIPES FONDATEURS AUTOUR DES QUESTIONS DE STRATÉGIE, REGROUPÉS PAR THÈME (ON EN PARLE EN FAIT À PLUSIEURS ENDROITS).
– DES QUESTIONS SUPPOSÉES COMMUNES AUTOUR DESQUELLES ORGANISER LE DÉBAT. RECENSER CES QUESTIONS EST LA PREMIÈRE ÉTAPE. ON VERRA À L’ISSUE DU DÉBAT CE QUE LE PARTI DÉCIDE D’ADOTER EN COMMUN, DE SOUMETTRE AU VOTE, OU ENCORE DE LAISSER AU DÉBAT FUTUR.
– NOS PROPRES APPORTS SUR CES THÈMES. MAIS BIEN SÛR LE DÉBAT NE FAIT QUE COMMENCER, Y COMPRIS D’AILLEURS ENTRE LES DEUX RÉDACTEURS
Ce que disent nos principes fondateurs au plan le plus général :
Chapitre 4
Une domination de classe ne peut pas être éliminé par voie de réformes. Les luttes peuvent permettre de la contenir, de lui arracher des mesures progressistes pour les classes populaires, pas la supprimer. En 1789, la domination de la classe privilégiée de l’Ancien Régime n’a pas été abolie par des réformes. Il a fallu une révolution pour l’éliminer. Il faudra une révolution sociale pour abattre le capitalisme.
Elle implique donc nécessairement un changement des rapports de propriété, social et institutionnel, qui rejaillit sur tous les aspects de la vie en société
…/…
Chapitre 3
En finir avec le système capitaliste, suppose à la fois un bras de fer de longue durée, la force du nombre et une rupture avec l’État et les institutions dont il s’est doté, avec les institutions européennes et mondiales au service des classes dominantes.
1. Existe t-il un modèle de la révolution que nous souhaitons ?
Une seule prévision est certaine, concernant la révolution : c’est celle qui annonce que la révolution future ne ressemblera pas aux révolutions du passé. La révolution découle toujours de conditions spécifiques, complexes et globales, nationales et internationales. La nature de toute révolution en général est pourtant bien de remplacer un système de domination par un autre. Inévitablement, cela suppose le passage par une phase de « double pouvoir », où s’affrontent deux légitimités incompatibles, phase dont l’issue est un dénouement brutal de l’épreuve de force. Toute révolution « d’en bas » (pas seulement la révolution prolétarienne) est de ce type (que l’on songe à celle de 1789, mais aussi aux effondrements plus récents des dictatures staliniennes). La différence est que la révolution prolétarienne ne peut être que « d’en bas », alors que les révolutions bourgeoises peuvent être aussi « d’en haut » (sans « double pouvoir »). Plus précisément, comme la bourgeoisie conquiert le pouvoir économique avant de conquérir le pouvoir politique, elle peut en passer ensuite soit par une révolution soit par un compromis avec les classes d’Ancien Régime. Le prolétariat lui ne peut changer les rapports de propriétés qu’après une révolution qui brise la domination de la bourgeoisie. Cela étant acté, la figure de la dite révolution, elle, est une création de chaque cas d’espèces. Il n’y a pas de modèle général, il y a des expériences historiques et des hypothèses stratégiques découlant de ces expériences, sur lesquelles il est toujours utile de discuter.
Le premier est celui de la grève insurrectionnelle pris comme un exemple ou un modèle d’une question plus vaste, celle qui voit la révolution comme une phase particulière d’une « guerre de mouvement » (selon la formule de Gramsci), autrement dit un moment concentré dans le temps où la confrontation est à son paroxysme, lors de situation ou de crise révolutionnaire. A ce niveau, on peut effectivement avancer que toutes les expériences révolutionnaires (réussies comme celle de 17, ou portées à une étape majeure de la confrontation, 36, 68) montrent que, surtout dans des pays comme les nôtres à forte densité prolétarienne, cette étape « concentrée » est inévitable, où le pouvoir politico-militaire de la bourgeoisie est mis en cause. Ce qui s’oppose aussi bien à d’autres options stratégiques révolutionnaires (celle de la « guerre prolongée » chinoise par exemple) qu’à des options réformistes même « radicales » (addition de réformes « profondes » étalées dans autre le temps, encerclement ou pire « ignorance » du pouvoir central, etc.).
Cette hypothèse stratégique va rarement seule en fait. Elle se combine à d’autres éléments, auto-organisation, politique d’alliances, initiatives institutionnelles, expériences de contrôle etc. La grève générale est décisive car elle permet l’irruption des masses sur la scène politique mais elle ne fait que poser le problème du pouvoir. Pour le résoudre, il faut un système d’action combinées, notamment l’émergence de nouvelles structures de pouvoir qui visent à briser et à se substituer à la vieille machine d’Etat.
Dans ce processus, on ne peut pas en rester à un « classe contre classe ». Les travailleurs doivent consolider leur pouvoir, ils doivent gagner les couches sociales intermédiaires, il faut que la bourgeoisie soit divisée, que son appareil de répression soit paralysé au moins en partie, qu’elle soit affaiblie, contestée publiquement, dévalorisée ; que l’incertitude gagne ses rangs ou au moins ceux de ses alliés (couches intermédiaires, couches supérieures du salariat). Si la bourgeoisie dispose d’une unité de classe serrée, d’une fermeté idéologique, de l’ensemble de son dispositif répressif, la défaite est certaine.
C’est ce que dit Lénine dans des phrases d’une immense portée stratégique. Il n’y a pas dit-il de révolution sans « grande question nationale », qui traverse les classes et les divisent. Les prototypes connus sont la guerre entre impérialistes, les luttes de libération nationale ou au moins l’existence d’une résistance à un impérialisme dominant, la chute d’une dictature ou la résistance à un coup fasciste. D’autres sont imaginables (la crise écologique est un candidat, ou encore la prolongation, voire l’aggravation, de la crise économique qui toucherait le cœur du système), et nous surprendrons probablement. C’est cette « grande question nationale » qui ouvre et fonde une période révolutionnaire et peut déboucher sur « une guerre de mouvement ». Donc, c’est imprévisible sur le moyen terme : il faut que « ceux d’en bas » ne veuillent plus vivre comme avant et que « ceux d’en haut » ne puissent plus le faire. Seule l’histoire réelle décide des cas où il en est ainsi.
Mais la crise révolutionnaire ne garantit pas les conditions de son propre dénouement. Il y faut le facteur subjectif. Comme l’indique Lukacs « seule la conscience du prolétariat peut montrer comment sortir de la crise du capitalisme ; tant que cette conscience n’est pas là, la crise reste permanente, revient à son point de départ et répète la situation ».
En définitive il existe bien des constantes, des points de référence généraux pour penser les conditions d’une société en révolution : grande question nationale ; crise en haut et rejet en bas ; dénouement par la force de l’incompatibilité de deux « droits » incompatibles appuyés sur des « pouvoirs » opposés ; existence d’une dialectique entre réformes et révolution (dont la démarche transitoire et celle de front unique sont des exemples, voir plus bas). Mais c’est en nombre limité. Les trajectoires effectivement suivies par une révolution sont fantasques, font du surplace ou accélèrent brutalement. Elles ne se répètent jamais d’une révolution à une autre et il n’existe aucune théorie pour les prévoir.
2. La question de la violence
Ce que disent nos principes fondateurs :
Chapitre 4
Notre choix pour y parvenir mise exclusivement sur l’expression et la mobilisation majoritaire. Tout en annonçant clairement à l’avance que nous chercherons à organiser l’auto-défense des travailleurs, pour que le coup d’État militaire et la répression massive qui ont eu lieu au Chili en 1973 ne puissent pas se reproduire. “ L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ” (Marx dans Le Manifeste communiste) reste notre boussole. D’une manière générale, ce sont les forces de la réaction qui imposent la violence. Notre choix est celui du nombre, des formes de lutte qui rendent les revendications légitimes et populaires, sans hésiter à sortir du cadre étriqué de la légalité pour obtenir satisfaction, en tenant fermement les piquets de grève, en réquisitionnant les logements vides, en cachant les sans-papiers pourchassés, en désobéissant face à l’intolérable...
3. Sur quoi repose l’hégémonie des classes dominantes ? Comment combiner guerre de position et guerre de mouvement ?
Être révolutionnaire c’est travailler à la croissance d’un camp opposé au système en place dans tous ses aspects (exploitation comme oppressions), un camp « irréconciliable », appuyé sur les grands principes d’une alternative écosocialiste (lesquels sans verser dans l’utopie sont plus accessibles que la définition de la figure précise de la révolution à venir), en lien avec l’horizon révolutionnaire et la question du pouvoir central.
Gramsci fournit un cadre pour penser le combat révolutionnaire, même quand il n’y a pas d’horizon révolutionnaire immédiat (question difficile bien sûr à laquelle s’attachent aussi les stratégies transitoires, voir point 4). La pensée de Gramsci est multiple : expérience des conseils ouvriers à Turin, ou réflexion sur les racines de la victoire de Mussolini. En ce qui concerne la question dite de « l’hégémonie », sa réflexion porte sur ce qui distingue les conditions de la révolution d’Octobre 17 et celle à venir dans des pays de vieille tradition de démocratie bourgeoise (comme la nôtre donc). Dans ces États fortement structurés et marqués par la démocratie parlementaire, il distingue des situations durables où la guerre de classe prend la forme d’une « guerre de position », et celles, dans des situations prérévolutionnaires ou révolutionnaires où la « guerre de mouvement » prend le dessus.
Dans des pays de vieille tradition parlementaire le pouvoir des classes dominantes repose quand même au final sur la violence : économique, environnementale, policière voire militaire. Mais cette domination est un combiné de « coercition » et de « consentement ». Cette violence est masquée, enveloppée dans un système plus complexe de domination qui finit par être intériorisé, accepté voire propagé par les classes d’en bas elles-mêmes. Et ceci, sans violence directe. C’est en diffusant et en imposant son hégémonie que la bourgeoisie fait accepter le cadre dans lequel elle exerce son pouvoir. Elle le fait sur le plan des idées bien sûr. Mais ces idées ne vivent pas suspendues en l’air, elles sont élaborées, diffusées, supportées, défendues par des institutions précises : en premier lieu l’État et ses extensions, puis des cadres qui lui sont liés, avec parfois une autonomie qui peut être importante : intellectuels liés à la classe dominante, système médiatique, publicitaire, éducatif, religieux, etc.
Sans victoires sur ce plan de l’hégémonie, sans capacité à développer un autre cadre de pensée et de pratiques, il n’y a pas de développement de la perspective révolutionnaire. Au travers de tout ce processus, ceux d’en bas doivent démontrer au travers d’une série d’expériences et surtout de l’émergence de nouvelles structures de démocratie sociale et politique la supériorité de la nouvelle démocratie vis-à-vis de la vieille démocratie bourgeoise. C’est ce que souvent on traduit au npa par l’idée de constituer des « majorités d’idées ».
Le concept de Gramsci cherche donc la possibilité de tenir compte des spécificités du combat révolutionnaire dans les pays à forte présence du prolétariat, puissamment éduqué et d’un niveau culturel élevé, et à forte tradition démocratique bourgeoise.
On peut ajouter à ces caractéristiques la question plus délicate qui est la nôtre d’être des « révolutionnaires sans révolution » (la dernière expérience révolutionnaire en Europe date de la révolution portugaise en 1975), qui nous place qu’on le veuille ou non de fait dans une « guerre de position ».
Plus généralement la question qui est posée ici est de savoir comment, dans les conditions d’aujourd’hui, on peut articuler les combats (centraux pour nous) propres à la sphère sociale éloignée de l’État et des institutions (et en particulier ceux des travailleurs : luttes revendicatives, contrôle, démocratie, gestion, organisation indépendante) ; et bataille politique (secondaire) dans les institutions qui ne peuvent être contournées tant que des millions de gens s’y reconnaissent, plus ou moins.
4. Qu’est-ce qu’une démarche de transition ?
Ce que disent nos principes fondateurs :
Chapitre 3
Pour changer le cours de l’histoire, il faut que la majorité de la population, le prolétariat et les secteurs populaires dans leur diversité prennent conscience de leur force, en s’organisant sur le lieu de travail ou le quartier, dans un syndicat ou une association, comme au niveau politique, pour faire valoir ses droits démocratiques. Dans toutes ces structures, les militants du NPA se battent pour que soient promus l’unité dans la lutte et le combat anticapitaliste. Ceci en respectant scrupuleusement l’indépendance de ces structures.
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Chapitre 3
Nous sommes en faveur de mobilisations les plus unitaires possibles, associant tous les courants politiques, syndicaux, associatifs du mouvement social.
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C’est par le développement et la généralisation des luttes, des grèves généralisées et prolongées que l’on peut bloquer les attaques, imposer des revendications. C’est le rapport de forces issu de la mobilisation qui peut permettre la mise en place d’un gouvernement qui imposera des mesures radicales en rupture avec le système et engage une transformation révolutionnaire de la société.
La lutte pour l’hégémonie dans la « guerre de position », même si elle est retenue, ne dit rien sur la manière dont on peut, éventuellement, passer à la guerre de mouvement. Elle peut être comprise, à tort, comme se désintéressant de la question du pouvoir et des rapports de propriété, du moins tant que la situation n’est pas immédiatement révolutionnaire. Dans le Manifeste écrit par Marx et Engels, la distinction principale qu’ils réclament pour les communistes qu’ils représentent est que « Dans tous ces mouvements, ils mettent en avant la question de la propriété, à quelque degré d’évolution qu’elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement ». La question stratégique qui nous est posée est donc de lier l’état présent du combat et de la conscience à la lutte pour un changement de société. Si on ne veut pas le faire hors sol, la première partie du problème (état actuel du combat et de la conscience) est capitale. Ceci se traduit par une démarche de transition qui tente de jeter un pont entre le mouvement réel et l’objectif qui est le nôtre. Cette démarche vise à dépasser la contradiction entre la nécessité du changement de société et le fait que les conditions sont mûres pour y parvenir d’un côté, de l’autre l’état subjectif de celles et ceux qui pourraient conduite ce combat (souvent marqué par le découragement des vielles générations, et le manque d’expérience des plus jeunes). Il faut donc un pont jeté entre les revendications telles qu’elles se présentent réellement, et le programme pour un changement révolutionnaire de la société qui en est l’aboutissement nécessaire. Un programme de transition n’est donc pas un « programme minimum », mais un point de départ pour poser la question du pouvoir de la bourgeoisie et son appareil d’Etat, et leur renversement.
Inévitablement, cette démarche culmine dans la réponse à la question : qu’est-ce que vous feriez au pouvoir ? Y répondre par « nous n’y répondrons qu’une fois la révolution à nos portes » est évidemment contraire à la préoccupation transitoire, qui justement part de la constatation que nous pouvons en être loin. Il faut pouvoir donner des réponses partielles où les travailleurs font l’expérience de leurs capacités à défendre leurs revendications, sur l’emploi, les salaires, à auto organiser les luttes, contrôler la marche de la situation dans les entreprises voire de l’économie, stimuler dans le cas de faillites ou fermetures d’entreprises des expériences de gestion. La bataille pour ces revendications transitoires doit avoir comme couronnement un gouvernement transitoire anticapitaliste. Le projet gouvernemental que nous devons avancer est celui d’un gouvernement des travailleur-ses ou au service des travailleur-se-s. Ce type de gouvernement ne peut exister que lors de crises explosives, de situations pré-révolutionnaires ou révolutionnaires. C’est un gouvernement de transition anticapitaliste appuyé sur un processus d’auto-organisation qui se présente dans le cadre momentané du système et de ses institutions en vue de les dépasser par « des mesures radicales en rupture avec le système (pour) engager une transformation révolutionnaire de la société » pour reprendre nos principes. Comme le rappellent ceux-ci, ce n’est pas possible sans « le rapport de forces issu de la mobilisation ». Dans la situation actuelle, nous défendons cette perspective en définissant le gouvernement que nous voulons par les tâches et le programme qu’il réaliserait.
Cette mobilisation suppose de son côté l’unité la plus large (par-delà donc les divisions entre secteurs du prolétariat, les divisions de sexe, de génération, géographiques, de nationalité, de religion, les choix politiques, etc.) y compris entre toutes les organisations qui continuent à structurer ou seulement influencer à gauche la grande masse de la population. Y compris, bien entendu, quand ces organisations ne partagent pas un même but révolutionnaire avec nous. Le combat pour un Front Unique a donc un aspect tactique (lié à l’efficacité immédiate, « tous ensemble »), mais aussi stratégique, lié à une exigence de long terme.
En même temps, les divisions qui séparent ceux qui souhaitent une transformation révolutionnaire de la société d’autres mouvements de gauche ne tiennent pas seulement à des questions de radicalité plus ou moins grandes ou de rythme, mais à la défense d’intérêts sociaux et politiques distincts. Les sommets des principales de ces organisation ont (et de plus en plus) partie liée avec l’État national, les institutions européennes et mondiales de gestion de l’ordre capitaliste et productiviste. C’est pourquoi même si la volonté d’union dans les luttes est constante, le maintien de notre autonomie l’est tout autant (aux plans organisationnels, idéologiques, comme à celui de nos capacités d’initiative propre).
Ces considérations laissent ouvertes pour le cours du débat à venir deux questions nouvelles, très importantes, mais que nous ne faisons ici que citer.
La première est celle des alliances. Pour rendre concrète la démarche transitoire, il faudrait pouvoir dessiner un arc de forces politiques et sociales aptes à prendre part au gouvernement que nous souhaitons (même si c’est uniquement sous la pression des masses que ce serait envisageable pour certaines d’entre elles). Le NPA seul n’est pas une réponse à la hauteur. En même temps l’évolution historique concrète de la Social Démocratie (et maintenant des Verts) rend la bataille pour les intégrer à une telle perspective (quitte à ce que ce soit conditionné par des ruptures en leur sein) très peu crédible, non seulement à nos yeux, mais à ceux de la grande masse. C’est la raison pour laquelle nous devons mettre l’accent sur les tâches et le programme de rupture d’un gouvernement des travailleur-ses. Mais la difficulté reste entière.
La deuxième question est que si la lutte politique continue à être essentiellement organisée dans un cadre national, que donc la rupture commence dans ce cadre, et que nous ne la subordonnons pas à son développement en Europe, le centre du pouvoir politique s’est en grande partie déplacé pour se situer dans des sphères opaques, encore plus lointaines des peuples, en particulier dans les bureaux des institutions européennes. La prise du pouvoir étatique laisse bien moins de marges de manœuvres qu’auparavant, même à un gouvernement anticapitaliste appuyé sur une mobilisation sociale. Faut-il alors ramener toute démarche transitoire à un niveau européen (alors que les rythmes de mobilisation, les traditions et les rapports de force sont très différenciés) ? Faut-il prévoir de rompre les liens avec l’UE (et pas seulement de dénoncer tel ou tel traité) ?
5. Faut-il conquérir des positions institutionnelles ?
Ce que disent nos principes fondateurs :
Chapitre 4
De la municipalité au parlement, nous soutiendrons toutes les mesures qui amélioreraient la situation des travailleurs, les droits démocratiques et le respect de l’environnement. Nous contribuerons à leur mise en œuvre si les électeurs nous en donnent la responsabilité. Mais nous resterons fidèles à ce pourquoi nous luttons et ne participerons à aucune coalition contradictoire avec ce combat.
Nos élu-e-s refusent de cogérer le système. Ils s’opposent avec ténacité aux mesures antisociales et défendent bec et ongles, en toute indépendance des majorités de droite ou social-libérales, les intérêts des travailleurs et de la population.
Dans le cadre d’une stratégie de « guerre de position », la question « institutionnelle » se pose en tant que telle. Elle se pose certainement de manière différente dans le cadre d’une stratégie de « guerre de mouvements ». En dehors d’une phase conçue à tort ou à raison comme immédiatement révolutionnaire, il est impossible de bâtir une implantation prolétarienne de masse hors de tout appui institutionnel. En même temps, l’histoire nous enseigne que le capitalisme à d’immenses capacités d’intégration et de récupération de ses oppositions -mouvements sociaux, mouvement ouvrier. L’émergence des bureaucraties du mouvement ouvrier social et politique en est une des manifestations principales. Et, malheureusement, ce processus peut aussi toucher le mouvement révolutionnaire.
C’est donc une question compliquée, mais qui n’élimine pas la recherche d’appuis institutionnels. Pour ceux et celles qui en douteraient, il faut d’abord pour les en convaincre élargir la perspective. Si on quitte le niveau des appareils centraux de l’administration de l’État, on en a pas fini pour autant avec la présence institutionnelle. Un excellent exemple de ceci est l’utilisation des grands média. Nous sommes régulièrement attaqués par des franges de la gauche radicale pour notre « compromission » avec eux. Et cette « compromission » est réelle. D’un certain point de vue, notre participation contribue à la légitimation du système, c’est indéniable. Mais comment imaginer une influence de masse sans cela ? Les contre-media n’y suffiront jamais. Le cas est aussi patent dans notre militantisme syndical ou associatif. D’un certain point de vue, le mouvement syndical constitue une partie des institutions qui font tenir le système de domination, même s’il ne s’y limite pas. Déjà le financement des confédérations doit très majoritairement à l’État et au patronat. Bien entendu, on peut présenter cela (à juste titre), comme des « acquis » de la lutte passée. Il n’empêche : que serait le syndicalisme aujourd’hui sans les délégations payées par le patronat ? Tout ceci pour dire que la « contre société » absolue est une fiction. Même l’anarchiste le plus déterminé contribue à légitimer la société bourgeoise dès qu’il met son enfant à l’école primaire…
La vérité est que la « contre société » est encore dans la société. L’incompréhension du caractère « total » de la domination bourgeoise peut tout aussi bien d’ailleurs entretenir une naïveté cent fois renouvelée au cours de l’histoire sur la possibilité de ruptures stables qui demeuraient durablement partielles. « L’hégémonie » se construit certes à partir de pratiques sociales en rupture partielle avec les principes directeurs de la société bourgeoise. Lesquels ne se résument jamais aux questions vécues comme directement « politiques », ni même d’ailleurs aux seuls rapports d’exploitation. La société bourgeoise repose évidemment sur ces rapports, mais aussi sur la construction et la re-définition d’autres rapports de pouvoir qui ont leur propre temporalité et fonctionnalité lesquels débordent le cadre purement capitaliste. Mais les pratiques émancipatrices ne peuvent garder durablement un caractère subversif et encore moins converger vers une nouvelle société par simple addition sans s’intégrer à une stratégie politique unificatrice où la question du pouvoir central occupe la place d’un centre d’organisation du combat global.
La question n’est donc finalement pas d’échapper par la « contre-société » à la société réelle et à son système de domination, mais de savoir jusqu’où on peut aller dans le sens d’une présence « institutionnelle » en continuant à marquer le refus global du système. Question évidemment encore plus compliquée pour les institutions directement étatiques.
Justement : on ne peut pas traiter toutes ces institutions sur le même plan. Le niveau gouvernemental est particulier, qui implique la gestion globale de l’économie capitaliste, de l’État et de l’insertion capitaliste-impérialiste internationale. Aucune collaboration de classe dans ce cadre n’est envisageable et donc aucune participation. Nous opposons à toutes les formes de gouvernement de collaboration de classes la proposition d’un gouvernement des travailleurs-ses. Cela étant notre refus de principe à tout soutien ou participation gouvernementale de gestion du système ne fait pas le tour de la question. On ne doit pas traiter tous ces gouvernements de la même façon, mais en fonction du cadre exact où ils se présentent. Tout un éventail de tactiques et de positionnements divers peut s’envisager (et l’a été dans l’histoire). On ne traite pas de la même façon un gouvernement Allende au Chili dans les années 70 ou un éventuel gouvernement Strauss-Kahn…Il faut sur ce point une analyse concrète d’une situation concrète. Dans les pays à forte tradition parlementaire, il y a, dans une situation révolutionnaire, combinaison possible de majorités dans les assemblées ou institutions parlementaires ou communales et organismes de la mobilisation sociale de type conseil ou assemblées populaires…Mais dans la crise il ne faut pas rester « accrochés » aux formes parlementaires, il faut soutenir la supériorité des organismes de démocratie révolutionnaire sur les vieilles structures étatiques , briser le vieil appareil d’État et construire un nouvel Etat…
Le système électoral en France conduit à ce que nous ayons une expérience parlementaire très réduite. Mais nos camarades portugais du Bloc de Gauche donnent de bons exemples de ce qui peut être fait dans ce cadre. Voici des extraits d’un entretien pour la revue Contretemps, d’un de ses porte-parole, Francisco Louçã, réalisé par l’un d’entre nous, François Sabado et par Cédric Durand.
« Si un parti participe aux élections, il doit savoir exercer les mandats qu’il obtient de manière exemplaire à travers ses propositions, sa capacité d’innovation, l’attitude de ses élus, la cohérence des positions défendues et la fidélité au programme qu’il a proposé aux électeurs-trices. Il doit réussir à démontrer une capacité de conflictualité et de mobilisation sur lesquelles les luttes peuvent s’appuyer…/… Le Parlement doit être, et a été, le lieu de notre guerre de mouvements et non d’une guerre de positions…/ Tous les partis et toute la politique- si elle existe, si elle n’est pas une simple mémoire de soi-même, perdue dans la propagande sans peuple – est une lutte pour le pouvoir…/…Cela exige une politique dense de lutte pour l’hégémonie, d’alliances et surtout une clarté politique mobilisatrice. En ce sens, oui, le Bloc a ouvert de nouveaux chemins en travaillant sur des thèmes qui en général sont très peu présents dans les réflexions de la gauche : que ce soit sur la question de la justice économique - les politiques fiscales et budgétaires - aussi bien que dans la valorisation stratégique de la lutte pour la qualité et l’universalité des services publics. C’est aussi ce qui nous a amené aux questions de l’information génétique et de la bioéthique…/…Au XVII ème siècle le « no taxation without representation » (pas d’impôts dans élections de députés, FS et SJ) était sans doute essentiel ; maintenant le « no taxation without health care » (pas d’impôts sans le droit à la santé, FS et SJ) est fondamental…/… Nous pouvons ainsi nous appuyer sur cette hégémonie populaire en faveur des services de santé publics pour combattre la marchandisation qui tente d’être imposée via la pharmacogénomique : privatisation de données du patrimoine génétique au profit des firmes mais aussi création d’un vrai marché d’illusions à partir de la fiction de la possibilité de prévoir de futures maladies se basant sur des tests d’ADN…/… C’est une forme de défense du bien public contre la logique marchande. Le deuxième thème sur lequel nous sommes intervenus fut l’approbation d’un système de procréation médicalement assistée qui n’existait pas encore au Portugal et qui se met désormais en place dans plusieurs hôpitaux. Notre proposition actuelle d’une banque publique de gamètes va dans le même sens. »
Le cas des municipalités est encore différent qui pose éventuellement la question de la gestion. Dans le cadre restreint de l’autonomie qui sont les siennes, peut-on lutter pour y faire une vie meilleure pour les masses ? Cela signifie élaboration de programmes de gestion locaux, de cadre d’alliances pour ce faire et d’une discussion sur les modalités de partage du pouvoir avec les masses, comme du contrôle de leur part (salaires des élus, non cumul, etc.). D’un certain point de vue, ceci fait partie de la « contre-société », à l’instar de toutes les autres pratiques alternatives issues du mouvement de masse produisant et expérimentant du changement partiel. Il y a des risques, c’est sûr. Le glissement historique des partis de gauche d’une position radicale au départ vers des politiques de collaboration (puis un pas supplémentaire avec le social-libéralisme) débute toujours par un « municipalisme », avant, éventuellement, de se développer avec ce qu’on appelait au début du 20e siècle le « ministérialisme ». Là comme ailleurs se manifeste l’immense capacité du capitalisme à intégrer le mouvement ouvrier, comme en général toutes les contestations, mêmes initialement les plus radicales. S’il ne peut pas les détruire, il les détourne puis les intègre (voir l’exemple absolument remarquable du « capitalisme vert »). C’est pourquoi non seulement il faut toujours garder notre indépendance, mais faire en sorte que l’appui institutionnel n’élimine jamais, mais soit au contraire toujours conditionné par un centre de gravité de leur intervention dans les luttes et mouvements sociaux.
D’autant qu’il faut compter avec l’évolution, très négative, des conditions où ceci serait possible. Tant qu’on en reste à l’élu-e comme délégué-e du personnel, il n’y a guère de problèmes. Si on doit passer à des responsabilités de gestion, c’est une autre histoire. Encore une fois, tout ceci dépend de la taille de l’institution (on ne peut pas comparer un conseil régional avec des villes de moins de 10000 habitants). Mais il faut tenir compte que la crise de la démocratie, démocratie même limitée comme nous la connaissions, se développe. Une de ses caractéristiques est de réduire les marges de manœuvres locales, l’espace où mener légalement des politiques alternatives se restreignant en conséquence fortement (ceci serait encore plus vrai si Sarko arrive à faire passer sa réforme territoriale). Certes on peut encore « faire des choses ». On peut toujours « faire avancer un dossier » favorable. C’est souvent difficile, mais il ne faut pas le poser comme impossible théoriquement. Cela dit cette posture toute théorique se heurte à une réalité incontournable : dans les conditions des scrutins en France, il est en général impossible d’accéder à la gestion sans accord avec le PS. Et ceci tend jusqu’à la rupture la difficulté. Même si « le dossier » est digne, il est contrebalancé par les autres décisions libérales, quand il n’y est pas mélangé. Ce n’est pas la stratégie de « haut niveau » (gouvernementale par exemple) qui bloque, mais ses conséquences « de bas niveau ». Sous des formes spécifiques (et dont il ne faut surtout pas gommer la spécificité), c’est un problème comparable pour les cadres syndicaux. Même pour des municipalités de taille moyenne, souvent, on ne peut faire fructifier valablement de la main gauche des dossiers positifs que si on est prêts à ignorer ce que fait la main droite. Cela signifie déjà que la liaison avec les mouvement sociaux à propos du dit « dossier positif » doit évidemment être constante. Mais au-delà cela signifie qu’on doit être prêt à « pousser les marges », les traditions, en sortant de la légalité, ou même à l’intérieur. La décision par exemple de voter des budgets en déséquilibre, ou (c’est un exemple) le refus d’aller au-delà de la loi dans tout ce qui relève du soutien au privé (l’enseignement privé est bon cas pour ceci), l’application de la loi de réquisition des logements vides, génèreraient rapidement des conflits, pour lesquels une mobilisation sociale pourrait s’engager.
6. Lutte des masses, lutte des partis
Ce que disent nos principes fondateurs :
Chapitre 3
C’est dans le mouvement social que progresse la prise de conscience, que l’idée d’un nouveau monde s’élabore, que la satisfaction des exigences populaires pose la question de qui dirige la société. La convergence de ces exigences pose la question du contrôle des travailleurs et de la population sur la marche des entreprises et de la société.
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Chapitre 3
Dans celles-ci, nous défendons le principe de l’auto-organisation : il est essentiel que ce soient celles et ceux qui agissent, qui décident de l’orientation, des formes de leurs luttes et de leur direction.
Citation ici d’extraits (aménagés) d’un article de Daniel Bensaïd.
« Il faut arrêter de voir dans l’État bureaucratique l’incarnation de l’universel abstrait. Plutôt qu’une passion unilatérale du social, l’effort porte sur l’émergence d’une politique de l’opprimé à partir de la constitution de corps politiques non-étatiques annonçant le nécessaire dépérissement de l’État en tant que corps séparé… La question urgente, vitale, est celle de la politique d’en bas, la politique de ceux qui sont exclus et privés de la politique étatique des dominants. Il s’agit de résoudre l’énigme des révolutions prolétariennes et de leurs tragédies répétées : comment de rien devenir tout ? Comment une classe physiquement et mentalement mutilée au quotidien par la servitude involontaire du travail contraint peut-elle se métamorphoser en sujet universel de l’émancipation humaine ? Les réponses de Marx restent tributaires d’un pari sociologique : le développement industriel entraîne la massification du prolétariat ; la croissance numérique et la concentration des classes laborieuses entraîne un progrès dans leur organisation et leur conscience. Version primitive de la force tranquille, ce « socialisme hors du temps » et à pas de tortue dissout l’incertitude de la lutte politique dans les lois proclamées de l’évolution historique. »
Pas d’automaticité, pas non plus de substitution à l’auto-activité. Nos principes fondateurs insistent plusieurs fois sur ce point. On peut encore renforcer ce point de vue. Ce n’est pas seulement la conscience qui se forge dans l’auto-activité. Les pratiques elles mêmes sont porteuses de sens et peuvent dessiner, en creux, des traits généraux de la société socialiste nouvelle que nous souhaitons. Une ag par exemple, c’est un moyen démocratique efficace pour la lutte. Mais en même temps c’est en germe bien plus que ça, un « gisement de communisme » qui montre comment la société pourrait fonctionner. Il en est ainsi de toutes ces pratiques, indéfiniment renouvelées, qui tentent – pour un temps et partiellement – de s’échapper de la marchandisation généralisée. Une entreprise autogérée (des fois même une coopérative) ; un camp de jeunes révolutionnaires ; des débats syndicaux (pas toujours, mais parfois) ; une ag de lutte ; les débats dans les comités pour le non au TCE ; les pratiques nouvelles de tout type, dont celles engagées par les mouvements sociaux, en particulier le mouvement des femmes ; des contre-cultures ; des forums altermondialistes : la liste est longue et impossible à achever. Comme le dit Lénine « le communisme surgit littéralement de tous les points de la vie sociale ; il éclôt décidément partout. Que l’on bouche avec un soin particulier l’une des issues, la contagion en trouvera une autre, parfois la plus imprévisible ». C’est ceci qui donne un contenu encore plus précis à la guerre de position : pas seulement des contre-institutions, mais des pratiques nouvelles, lesquelles à la fois forgent les consciences et la confiance qu’une autre société est possible, et commencent à en dessiner les contours.
Mais le parti dans tout ça ? Nos principes en disent trop peu. D’un certain point de vue par exemple, nous sommes bien « le parti des luttes », mais notre projet ce n’est pas seulement la lutte, c’est la conquête du pouvoir par les travailleur-se-s. Déjà, les luttes n’ont pas un besoin vital de parti. Sans ce dernier, elles existent de toutes manières, « de tous les points de la vie sociale » comme dit Lénine. Que des militants plus constants dans leur engagement aident à leur construction et à leur développement, ce n’en est que mieux ; qu’un parti s’en fasse le porte-voix, voilà un appui supplémentaire. Mais si l’on parle d’un parti qui se distingue qualitativement du seul champ des luttes, c’est parce qu’il faut refuser catégoriquement de « mélanger le problème des classes et celui des partis » (c’est toujours de Lénine). Autrement dit, il faut concevoir la lutte politique comme « beaucoup plus large et complexe que la lutte des ouvriers contre le patronat et le gouvernement ». Tout conduit, chez Lénine, à concevoir la politique comme l’irruption où se présente ce qui est absent : « La division en classes est certes, en fin de compte, l’assise la plus profonde du groupement politique », mais cette fin de compte, c’est « la lutte politique seule qui l’établit ». Sur la scène politique, la lutte des classes transfigurée trouve « son expression la plus rigoureuse, la plus complète, et la mieux définie dans la lutte des partis ». Notre parti est un parti pour aider les travailleur-se-s à conquérir le pouvoir. Un des fondements du parti, c’est une stratégie de conquête du pouvoir. Il faut mettre en rapport le parti comme cadre d’aide aux luttes, comme intellectuel collectif, et la stratégie transitoire qu’il élabore, propose et défend. Il en est ainsi pour des raisons profondes, la plus importante d’entre elles est qu’il faut des conditions exceptionnelles pour que des luttes séparées (voire éclatées) produisent par elles-mêmes une stratégie de lutte politique (ce fut le cas lors de la Commune de Paris, entre autres). Ce n’est pas impossible, mais il faudrait une situation proche d’une révolution, autrement dit une « guerre de mouvement » (mais alors, il faut aussi être en mesure de conduire la guerre, chose laissé de côté ici). En situation de « guerre de position », comme l’explique d’ailleurs abondamment Gramsci, la fonction purement politique et idéologique des partis en est relevée d’autant, appuyées sur les luttes certes, mais pas limitées à elles.
Certes si on pousse le raisonnement trop loin, on prend le risque de renforcer le point de vue social-démocrate classique (que l’on entend très clairement chez Thibaud, chez Mélenchon, chez Buffet) : aux syndicats la lutte des classes, aux partis la lutte politique. C’est faux dans les deux cas. Les syndicats (et plus généralement toutes les organisations du mouvement social) ne doivent se voir opposer aucune limite à leur champ de réflexion et d’élaboration, pas plus qu’ils ne doivent se voir imposer une parole extérieure, en surplomb, les transformant en courroie de transmission. Mais, par définition, ils restent ancrés sur les thèmes et les secteurs qui leur donnent naissance et du sens. De leur côté, des partis exclus des lieux de lutte et des luttes elles-mêmes seraient réduits à des machines électorales. Pas de partage de lieux géographiques, institutionnels et sociaux entre les deux. Mais des fonctions différentes. Un parti pour le changement révolutionnaire de la société doit être dans les luttes, ou il n’est rien. Mais il est aussi autre chose que « le parti des luttes ».
7. Quelle place pour la question électorale ?
Ce que disent nos principes fondateurs :
Chapitre 4
Nous participons aux élections pour défendre nos idées, pour rassembler très largement la population autour de notre programme. Nous défendons la proportionnelle intégrale et réclamons d’avoir un nombre d’élus conforme au poids que nous avons dans la société.
Une des fonctions spécifiques d’un parti est donc de s’adresser en permanence à l’ensemble de la population et de rechercher le combat des partis, pas de le fuir. Dans ce cadre, « le sujet électoral » peut se résumer à trois questions : les élections comme tribune ; les élections comme arène de combat entre partis ; les élections comme partie prenante de l’expression et de la construction des rapports de force entre les classes.
Les élections comme tribune
En temps normal, environ 5% de la population suit l’activité politique, sociale et sociétale. Ces 5% influencent partiellement encore 15% supplémentaires, mais d’une manière irrégulière. 80% de la population en est donc écartée, et ne s’anime (si elle s’anime) qu’au moment des élections, sauf cas (rare) de grande mobilisation sociale. Bien entendu la qualité et la portée de la prise de conscience dans ce cas de mobilisation est sans commune mesure avec l’utilisation d’un bulletin de vote, et donc, c’est notre priorité. Mais, ça ne dépend pas que de nous, et une partie considérable des prolétaires n’a jamais l’occasion d’une mobilisation sociale dans toute une vie. La très grande majorité du salariat (chômeurs compris) est concernée par des entreprises de moins de 50 salariés. On compte environ 9% de syndiqués, et moins de 5% dans le privé. Parmi la population active ! Si on compte les jeunes de plus de 15 ans, et les retraités qui s’éloignent du syndicat, c’est plus de 95% de la population qui échappe au syndicalisme direct. Le reste du mouvement social est numériquement d’ampleur encore bien moindre. En tant que parti, il faut, nous adresser à « la masse innombrable ». On peut penser la toucher par l’activité directe du parti. Mais voilà : en règle générale, on estime entre 1% et 2% (pas plus) la formation de l’opinion construite (ou au moins fortement influencée) par les affiches et les tracts de tout type et de tous les partis (qu’on imagine donc celle touchée par l’activité courante de nos comités). Dans l’absolu, on peut estimer que ça représente entre 0,5 et 1 million de personnes, ce qui est énorme. Mais le reste ?
De tous les points de vue, la participation aux élections est un démultiplicateur irremplaçable. On pourrait objecter que, sauf à la Présidentielle et aux municipales, on laisse de côté les 50% d’abstentions, concentrées chez les jeunes et les plus pauvres. Juste. Mais ce qui reste se compte quand même par millions, y compris chez les jeunes et les pauvres. Et quant aux abstentionnistes, si leur choix a un sens politique, ce qui est de plus en plus le cas, il est rarement accompagné par des mobilisations extra parlementaires.
Le terrain de l’adversaire
Tout ceci n’enlève rien à l’analyse suivante : les élections sont le terrain de l’adversaire, pas le nôtre. Il est piégé par le poids du contrôle des média, de la forme des scrutins, des thèmes imposés par les dominants (la sécurité !). Plus fondamentalement, c’est le terrain de la délégation, pire, de la personnalisation. Celui parfois de la passivité, un bulletin remplaçant une mobilisation trop difficile. C’est pourquoi le militantisme dans les syndicats et les associations demeure le cœur de notre investissement, ceci étant lié au fait que rien de décisif ne peut se passer si la mobilisation directe, d’en bas, ne se produit pas.
Certes, c’est le terrain de nos ennemis. Il ne faut pas s’y tromper. Mais il reste que même si c’est difficile, notre tâche est d’unifier au mieux le combat sur notre terrain et celui sur le leur.
La lutte des partis
Parce que c’est un moment où s’éveille le plus grand nombre, c’est aussi un terrain privilégié de la lutte des partis, de leurs programmes et perspectives. Or, comme indiqué précédemment, le combat politique c’est aussi la confrontation entre partis. Laquelle est constante, mais s’aiguise quand le peuple l’arbitre. Bien entendu, quand c’est sur le terrain des luttes, c’est mieux. Mais ce n’est pas tous les jours que des millions de personnes battent le pavé. Pour les raisons indiquées ci-dessus, c’est donc plus régulièrement au moment des élections. C’est donc aussi à ce moment, le plus souvent, que le « grand nombre » se forge une image de la posture de ces partis. L’enjeu est important : il n’est que de voir les polémiques qui nous ont saisies à propos du foulard à Avignon : hors élections, les débats n’auraient pas pris cet aspect dramatique entre nous. On ne comprendrait pas sinon comment il se fait que les militants de notre parti s’unissent en général sans difficulté dans les combats sociaux, mais se divisent dès qu’il s’agit de définir une tactique électorale !
Les enjeux des élections
Mais le résultat d’une élection compte, évidemment. Au premier comme au second tour. Ce serait un point de vue boutiquier de ne pas comprendre que l’élection n’est pas qu’une tribune. C’est aussi à la fois une image (déformée) des rapports de force politiques et sociaux et un élément de ces rapports de force. Et l’on rejoint là une discussion qu’il faudrait prendre en tant que telle. Dans un pays comme le nôtre, il est difficile d’imaginer que les résultats électoraux n’aient aucun lien avec l’état de conscience politique et (pour ce qui nous concerne) l’état des mobilisations sociales. La lutte politique ne se joue pas fondamentalement sur le terrain électoral ; mais la lutte politique se joue aussi, et d’une manière importante, sur le terrain électoral. La lutte électorale n’est pas à côté de la lutte des classes, elle en fait partie, indissolublement. La question est donc non pas, comme on l’entend dans nos rangs « on fait trop d’élections », mais comment on les fait !
8. L’organisation démocratique dans le socialisme que nous voulons
Ce que disent nos principes fondateurs :
Chapitre 2
Le socialisme, l’écosocialisme, c’est le pouvoir des travailleurs et travailleuses dans tous les domaines et à tous les échelons de la vie politique, économique et sociale. C’est la démocratie des producteurs/trices associé-e-s décidant librement et souverainement quoi produire, comment et à quelles fins. Une telle réorganisation de l’économie et de la société suppose un premier niveau d’émancipation du travail, indispensable afin que les collectifs de travailleurs/euses et de citoyen-ne-s puissent prendre réellement en charge la marche des entreprises et la gestion des affaires publiques. Une réduction massive du temps de travail, rendue possible par les progrès technologiques, auxquels s’ajouteront la suppression du chômage et la répartition entre toutes et tous du travail nécessaire, pourvoira à ce besoin.
…/…
Nous voulons avancer vers l’auto-organisation et l’autogestion démocratiques de la société, et cela implique les plus larges libertés d’organisation et d’expression politiques, syndicales et associatives. Les libertés démocratiques qui ont pu être conquises sous le régime capitaliste seront consolidées et développées. Le socialisme, c’est bien le règne de la démocratie la plus réelle et la plus étendue.
La question mérite d’être discutée plus avant. Elle ne fait pas directement partie des questions de stratégie, mais, compte tenu des expériences désastreuses du siècle précédent, la réponse même partielle à cette question entre en compte dès aujourd’hui dans nos capacités de conviction.
Il faudrait donc préciser et discuter les éléments suivants :
– Nous luttons non pour l’étatisation de la société, mais pour la socialisation du pouvoir ; La réduction du temps de travail, l’existence de réseaux modernes de communication directe peuvent favoriser l’intervention permanente des intéressés, permettre de réduire les délégations de pouvoir et l’autonomie de l’État.
– Nous sommes favorables au pluripartisme et à la libre confrontation politique. Le pluripartisme politique et la distinction entre partis, syndicats et État exigent une codification institutionnelle des conditions de fonctionnement, d’expression et de participation à l’exercice du pouvoir, une Constitution. À la lumière de l’expérience historique, l’indépendance des syndicats et des mouvements sociaux envers l’État et les partis, la liberté de la presse, la liberté en art, l’autonomie de la justice, la garantie du pluripartisme, le droit à l’autodétermination des nationalités constituent autant de principes fondamentaux. Il en va de même de la protection des droits individuels vis-à-vis des pouvoirs publics et des différentes institutions.
– L’égalité des droits et le suffrage universel sont des éléments clés de toute démocratie. Une démocratie socialiste autogestionnaire devra en plus multiplier les formes d’organisation en vue de gérer démocratiquement l’ensemble des aspects de la vie sociale et économique. Dans ses fondements, cette démocratie vise à représenter réellement les citoyens et les producteurs, selon le principe « un homme/une femme égale une voix », à travers un système d’assemblées élues à la proportionnelle, au niveau central comme local, et sur les lieux de travail.
– Une démocratie socialiste autogestionnaire devra aussi lutter contre « les dangers professionnels » du pouvoir en développant des formes de responsabilité et de révocabilité des élus par leurs mandants, en interdisant le cumul des mandats électifs, en limitant leur renouvellement et en plafonnant le salaire des élus au niveau d’un salarié qualifié. Elle devra promouvoir une réelle égalité politique entre individus, en particulier entre hommes et femmes. Elle devra développer les formes de contrôle des mouvements populaires sur les assemblées, à travers des comités de quartier, des assemblées de citoyens, et le recours possible aux référendums d’initiative populaire. Elle doit mettre en place des mécanismes de révocation quand une contestation vive apparaît, par exemple, de nouvelles élections sur demande d’une fraction à déterminer du corps électoral de l’assemblée concernée.
Samy Johsua (CPN, Marseille), François Sabado (CPN, Pantin)