On sait que Bertrand Delanoë séjourne souvent en Tunisie où il est né. Est-ce une raison suffisante pour, jusqu’au dernier moment, se complaire dans l’ambiguïté : « Mes amis tunisiens, quelles que soient leurs opinions et elles sont différentes, souhaitent que je sois à leurs côtés » ? Ami avec tout le monde, c’est un métier ! Et ce n’est sûrement pas son camarade Dominique Strauss-Kahn qui lui fera des remontrances. En effet, il y a deux ans, DSK a été décoré du grade de Grand officier de l’ordre de la République, justement par… Ben Ali ! Dans son discours de remerciement, le « directeur exécutif » du FMI n’hésitait d’ailleurs pas à faire l’éloge sans retenue du régime : « la politique économique qui est conduite est saine, et je pense que c’est un bon exemple à suivre pour beaucoup de pays ». Peut-être, après tout, ces deux éminences du PS se souvenaient-ils que Ben Ali avait fait partie – comme Laurent Gbagbo, un autre grand démocrate ! – de l’Internationale socialiste…
Mais, bien sûr, c’est à droite et au sein du gouvernement que l’on a pu entendre les déclarations les plus ignobles. Étant entendu que, pour une fois, le Président a été d’un mutisme aussi total qu’inhabituel. Sans doute le lâchage d’un complice est-il un exercice compliqué qui nécessite un peu de temps… Par contre, pour leur honte, quelques ministres peu clairvoyants sur l’évolution de la situation, ont cru bon de voler au secours de la dictature. Ainsi, pour Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, « dire que la Tunisie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré ». Bruno Lemaire, son collègue à l’Agriculture, n’était pas en reste : « Je n’ai pas à qualifier le régime tunisien. Je suis français, je n’ai pas à juger de l’extérieur comme ça un gouvernement étranger ». Mais, en fait, il a quand même une conviction assez précise sur le sujet : « Le président Ben Ali est quelqu’un qui est souvent mal jugé, mais il a fait beaucoup de choses ».
Mais, naturellement, la palme de l’abjection revient sans conteste à Michèle Alliot-Marie. Alors que des dizaines de manifestants tombaient sous les balles de la police de Ben Ali, la responsable de la diplomatie française proposait cyniquement de faire bénéficier la Tunisie… « du savoir-faire de ses forces de sécurité », ajoutant : « L’apaisement peut reposer sur des techniques de maintien de l’ordre ». Il est sûr que, depuis la guerre pour l’indépendance de l’Algérie, la police et l’armée françaises ont laissé aux peuples du Maghreb d’inoubliables souvenirs en matière de « maintien de l’ordre » : exactions, massacres et tortures ! Sans doute ce qu’Alliot-Marie appelle du « savoir-faire »…
François Coustal
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 86 (20/01/11).
France-Tunisie : florilège
Voici un premier florilège de déclarations récentes de personnalités politiques française (ou européennes) sur la situation au Maghreb - pour que la mémoire ne soit pas trop courte.
Sarkozy, en visite officielle en 2008 : « L’espace des libertés progresse en Tunisie. »
Après la dernière élection de Ben Ali, Eric Raoult a déclaré : « Beaucoup de Tunisiens aiment Ben Ali »
Déclaration lénifiante de Delanoe qui se dit « soucieux ». Il dit avoir choisi « de manifester son soutien au peuple tunisien non pas par des déclarations mais par des contacts utiles avec les uns et les autres, et en tenant le même langage à tous ».
En 1991, après avoir reçu Ben Ali lors d’un dîner de gala après son élection 3 ans plus tôt, François Mittérand déclarait : « la Tunisie est un pays accueillant et les français qui aiment venir en Tunisie pour leurs vacances auraient bien tort de s’écarter de ce chemin. »
Mélenchon, en date du 12 janvier sur LCP : « Il faut manifester avec mesure de quel côté vont nos sympathies »
La « ministre des Affaires étrangères » de l’UE Catherine Ashton a, sans rire, appelé le pouvoir tunisien à user de « retenue dans le recours à la force ».
Frédéric Mitterand a pris la défense du régime du président Ben Ali. « En Tunisie, la condition des femmes est tout à fait remarquable. Il y a une opposition politique mais qui ne s’exprime pas comme elle pourrait s’exprimer en Europe. Mais dire que la Tunisie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré ».
Bruno Le Maire a estimé que Ben Ali était « souvent mal jugé », avait « fait beaucoup de choses ». « Avant de juger un gouvernement étranger, mieux vaut bien connaître la situation sur le terrain et savoir exactement pour quelles raisons telle ou telle décision a été prise » a-t-il déclaré. « Je n’ai pas à qualifier le régime tunisien » a-t-il ajouté.
François Baroin, a jugé que la France « évidemment déplore les violences » en Tunisie et appelle à « l’apaisement », estimant que « seul le dialogue permettra de surmonter les problèmes économiques et sociaux dans ce pays. »
Dominique Strauss-Kahn a déclaré, lors de son déplacement à Tunis pour le FMI le 18 novembre 2008 et qu’il a été décoré par le dictateur tunisien Ben Ali, élevé au grade de « Grand officier de l’ordre de la République » : l’ « économie tunisienne va bien (...) jugement très positif du FMI sur la politique tunisienne (...) qui est un bon exemple à suivre »...
Michèle Alliot Marie : « On ne doit pas s’ériger en donneur de leçon face à une situation complexe... Plutôt que de lancer des anathèmes, je crois que notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation. »
Elle propose l’aide de la France en matière de maintien de l’ordre. « Aujourd’hui, la priorité face à cette situation doit aller à l’apaisement après des affrontements qui ont fait des morts. Un apaisement qui peut reposer sur des techniques de maintien de l’ordre (...) puisque nous avons des savoir-faire en la matière »
Du porte parole du Quai d’Orsay, concernant l’Algérie : « Nous suivons la situation avec attention ».
Gisèle Felhendler