Visiblement, le Fonds monétaire international (FMI) apprécie d’occuper la une des pages économiques des journaux pendant la période estivale. C’est pourquoi Dominique Strauss-Kahn, son directeur général, a annoncé le 29 juillet dernier « une série de mesures historiques » qui ressemble bien davantage, pour les pays en développement, à une série de coups d’épée dans l’eau.
Première mesure : le FMI a décidé « la suspension du paiement des intérêts sur l’encours des prêts concessionnels pour tous les pays membres à faible revenu jusqu’à la fin de 2011 ». L’annonce est séduisante, mais la réalité est tout autre. D’abord, seuls les intérêts sont concernés, et pour une durée limitée. Le capital sera remboursé dans sa totalité et le paiement des intérêts reprendra dès le début de 2012. Ensuite, le taux d’intérêt auquel le FMI prête aux pays les plus pauvres est d’habitude très faible : de l’ordre de 0,5%. Le taux va donc passer de 0,5% à 0% pendant deux ans et demi. Il n’y a pas là de quoi faire bondir de joie les populations des quelque 80 pays concernés…
Deuxième mesure : le FMI va accroître ses prêts à destination de ces pays, pour un montant estimé à 17 milliards de dollars d’ici à 2014, dont 8 dans les deux années à venir. Mais d’une part, ce montant est très faible face aux 1 430 milliards de dollars correspondant à la dette extérieure publique de l’ensemble des pays en développement, et cet apport éventuel sera très insuffisant pour faire face aux effets de la crise économique qui frappe le monde depuis la mi-2007. C’est presque autant que le seul prêt accordé à l’Ukraine en novembre dernier. Et d’autre part, il s’agit de prêts, que ces pays devront de toute façon rembourser prochainement, prêts de surcroît assortis de conditionnalités néolibérales strictes : seuls les pays dociles y auront droit. Ce faisant, le FMI les pousse vers une nouvelle crise de la dette, puisque leurs revenus d’exportation ont baissé depuis 2008 et que la crise mondiale fait sentir ses effets en détériorant nettement leur situation financière.
On le voit, il n’y a là rien de nature à soulager les souffrances durablement des peuples du Sud. Au lieu d’apporter une solution économique, le FMI essaie plutôt de redorer son blason après une longue période de graves difficultés pour cette institution dont les erreurs et les errements ont jalonné les trente dernières années de l’actualité internationale. Après avoir imposé des politiques d’ajustement structurel aux conséquences humaines dramatiques depuis les années 1980, le FMI a traversé une grave crise de légitimité. Détesté à juste titre dans les pays du Sud, le FMI a vu ses deux derniers présidents (l’Allemand Horst Köhler et l’Espagnol Rodrigo de Rato) démissionner avant la fin de leur mandat. Quand les cours des matières premières sont partis en flèche entre 2004 et 2008, les pays émergents ont commencé à accumuler d’importantes réserves de change avec lesquelles nombre d’entre eux (Argentine, Brésil, Uruguay, Philippines, Indonésie…) se sont dépêchés de rembourser par anticipation le FMI pour quitter son encombrante tutelle. A tel point que les créances détenues par le FMI ont fondu, passant de 106,8 milliards de dollars fin 2003 à 15,5 milliards fin 2007. D’autre part, la Chine s’est mise à prêter sans conditionnalité aux pays les plus pauvres, au premier rang desquels les pays d’Afrique subsaharienne. En somme, alors que les populations du Sud refusaient la logique imposée par le FMI depuis longtemps, les clients ont commencé à déserter, et même les directeurs quittaient le navire…
Dans ce contexte, la crise économique mondiale a représenté une réelle opportunité pour le FMI. Les premiers pays en difficulté (notamment ceux d’Europe de l’Est) ont eu recours à ses prêts pour faire face à la crise, malgré les conditionnalités qui y sont attachées. Les remèdes sont bien pâles, quand ils n’aggravent pas eux-mêmes les effets de la crise. Ainsi, sous la pression du FMI, la Lettonie a imposé une baisse de 15% des revenus des fonctionnaires, la Hongrie leur a supprimé le 13e mois (après avoir réduit les retraites dans le cadre d’un accord antérieur) et la Roumanie est sur le point de s’engager aussi dans cette voie. La potion est tellement amère que certains gouvernements hésitent fortement.
En avril dernier, le G20 qui s’est réuni à Londres a décidé de faire du FMI un acteur majeur de la sortie capitaliste de la crise qu’il tente de mettre en œuvre, notamment en lui fournissant des fonds supplémentaires. Les grands argentiers du monde s’efforcent de garder la main et de donner à un FMI discrédité et délégitimé le rôle du chevalier blanc qui va aider les pauvres à faire face aux ravages de cette crise, quitte à piétiner les plates-bandes d’une Banque mondiale qui traverse des difficultés comparables.
Il faut empêcher le FMI de continuer à nuire, l’urgence est là. La solution est simple : l’abolition immédiate du FMI et son remplacement par une institution radicalement différente, centrée sur la satisfaction des besoins humains fondamentaux. Il faut dire que le G20 a diablement raison de mettre le FMI au centre de l’échiquier mondial : en termes d’échecs, le FMI est un véritable expert…
Damien Millet, Eric Toussaint