L’interpellation de personnes n’observant pas le jeûne durant le mois du Ramadan est devenu depuis quelques années un acte coutumier. Le « non-jeûne » pendant ce mois est désormais un délit, sans toutefois qu’il soit explicitement sanctionné par une loi.
Au ramadhan de cette année, ce sont d’abord deux personnes, des ouvriers travaillant dans un chantier privé à Ain El Hammam dans la wilaya de Tizi ouzou, qui sont « surpris » par des policiers en train de boire de l’eau durant la pause-déjeuner. Elles ont été interpellées pour « dénigrement et non-respect des préceptes de l’Islam ». Ils comparaîtront devant le juge le 21 septembre. A noter que l’un des deux prévenus est, selon la presse, de confession chrétienne.
A Ouzellaguen, dans la wilaya de Béjaïa, c’est une dizaine de personnes qui ont été interpellées à l’intérieur d’un restaurant fermé. Le propriétaire du restaurant a été relâché après avoir été placé en détention provisoire. Sept personnes parmi les prévenus sont citées à comparaître et les deux autres sont désignées comme témoins à charge. Le procès qui s’est ouvert le 6 septembre a été reporté au 8 novembre prochain.
L’autre affaire en date, liée à ce nouveau délit, concerne, une autre localité du pays. Il s’agit de Tébessa où trois personnes ont été placées sous mandat de dépôt par le procureur de la République auprès du tribunal pour « atteinte aux préceptes de l’Islam ». Les prévenus ont été surpris par les éléments de la police judiciaire en train de déjeuner près de la muraille de la citadelle antique en plein centre-ville de Tébessa.
Ces événements nous interpellent et exigent de nous sensibilisation et action. Car disons-le clairement, c’est de l’Inquisition.
Sur le plan juridique, rien n’autorise les policiers à interpeler les citoyens qui n’observent pas le jeune. Il n’y a aucune base légale sur laquelle peuvent s’appuyer ces poursuites. Aucun texte pénal n’incrimine le fait de ne pas faire le Ramadhan. Ces arrestations sont donc arbitraires et contraires à la Constitution algérienne qui garantit pourtant la liberté de conscience. Nous assistons en l’occurrence à une grave atteinte à la liberté des citoyens.
Toutefois, afin de justifier ce qui peut être pris comme un excès de zèle de la police et de la justice algérienne, il y a une loi qui place la religion au dessus de la législation civile et qui met, selon l’article 144 bis du code pénal, « tout individu qui porte atteinte aux préceptes de l’Islam par des écrits, des dessins ou tout autre moyen (…) passible de 3 à 5 ans de prison… ». Et comme toutes les lois y compris divines sont sujettes à interprétation diverses, il est facile pour la justice algérienne de mettre ces non-jeûneurs dans le registre d’atteinte aux préceptes de l’Islam et donc dans une situation d’infraction.
Les premières réactions à travers les médias dénoncent à juste titre l’arbitraire de la justice algérienne et son caractère antidémocratiques dans l’atteinte aux libertés individuelles. Elles ont cependant tendance à s’appuyer sur un argumentaire puisé d’un nationalisme religieux (l’islam algérien) ou sur la tradition régionale (l’islam de nos ancêtres). Mais parlant de l’islam algérien, s’agit-il du réformisme des Oulemas qui, rappelons-le était à la traine du mouvement de libération national ou celui des Zaouias qui, rappelons-le encore, a rapidement abdiqué devant la puissance coloniale. Et nos ancêtres, s’agit-il des « Elmouwahiddine » sous la houlette des berbères abdelmoumene et Ibn Tumert, traducteurs du Coran en berbère et qui ont unifié le Maghreb et l’Andalousie avec le sabre et le « goupillon », ou s’agit-il de la pratique et de la pensée d’IbnKhaldoun et d’IbnRochd ? Autant de questions qui nécessitent aujourd’hui débats, réflexions et recherches avec les acquis philosophiques et démocratiques du 21° siècle. Si certaines lectures considèrent que le musulman est théologiquement habilité au libre examen des Ecritures sacrées, il faut reconnaître aussi que cette liberté spirituelle des musulmans d’avoir accès au libre débat sur les lectures du texte coranique est confisquée par les Etats musulmans en la détournant à leur profit à l’image du ministre des affaires religieuses qui déclare sans ambages que si « la liberté est assurée en Algérie. Seulement, cette liberté ne concerne que le politique et non la religion ».
Voila pourquoi il est nécessaire d’agir politiquement sur le terrain de la liberté individuelle et de conscience, comme le garantit la Constitution algérienne que sur le terrain juridique et encore moins sur le terrain religieux. Car la religion elle-même, comme nous venons de le souligner, est sujette à interprétations et à des pratiques diverses. C’est souvent au nom d’une Vérité religieuse, la « grande cause », que les actes de violence sont justifiés et qui peuvent aller jusqu’à tuer d’autres hommes. Mais de quelle grande cause s’agit-il ici ? Est-ce celle de défendre une Oumma blessée par une force matérialiste, athée, par un ennemi qui aurait décrété la mort de Dieu ? Cette « Vérité » est en réalité et en dernière instance le fruit d’interprétation des hommes.
Aujourd’hui l’occident, défini dans ses contours judéo-chrétiens, est souvent pointé du doigt pour sa violence et sa stigmatisation de l’islam et des musulmans. Ces inquisitions sont souvent justifiées par un repli identitaire face à un occident capitaliste envahissant. La lutte contre cette Europe capitaliste et islamophobe est nécessaire en dénonçant la stigmatisation des musulmans, la prétendue violence et délinquance ethnique qui leur est attribuée, la croyance en l’existence d’un conflit de civilisation. Mais la reconnaissance du droit des hommes et de femmes de culture musulmane à pratiquer librement et sur la terre entière va de pair avec la reconnaissance du droit de pratiquer ou de ne pas pratiquer librement. Cela passe par un changement politique, démocratique et laïc radical au sein du pouvoir et dans la société.
Nadir Djermoune, le 19 09 2010