Après l’audition par le juge d’instruction de Charles Millon, ministre de la Défense de Chirac en 1995, l’étau s’était déjà resserré autour de Sarkozy, Balladur, Hortefeux, etc. Millon a en effet confirmé qu’à la demande de Chirac, il avait dès son entrée en fonction remis à plat les commissions concernant les contrats de vente d’armes et, en particulier, avait annulé celles liées aux contrats Agosta et Sawari II, prévoyant la vente par la France de sous-marins au Pakistan et de frégates à l’Arabie saoudite. « Pour le contrat pakistanais, au vu des rapports des services secrets et des analyses qui ont été effectuées par les services du ministère, on a eu une intime conviction qu’il y avait rétrocommissions », déclarait-il.
Ce témoignage donne ainsi crédit à la thèse selon laquelle l’attentat perpétré à Karachi en 2002 et ayant entraîné la mort de quinze salariés (dont onze Français) de la Direction des constructions navales ne serait pas l’œuvre d’Al Qaïda comme a tenté de le faire croire le juge Bruguières pendant des années, mais une vengeance de la part de militaires pakistanais auxquels l’État français avait coupé les vivres.
Cette affaire est significative des scandales qui se produisent à la tête de l’État. Ainsi, comme de vulgaires marchands de tapis, les gouvernements pouvaient, jusqu’en 2000, payer des intermédiaires dont le rôle était de convaincre un gouvernement d’acheter les sous-marins français. On est loin de la concurrence libre et non faussée prônée par les tenants du libéralisme. Là où cela devenait illégal, c’est quand l’intermédiaire reversait en douce une partie de cette commission (rétrocommission). C’est donc ce qui se serait passé en 1994/95.
Balladur, Premier ministre, décide de se présenter contre Chirac, mais ne dispose pas de l’appareil ni du soutien financier du RPR. Aidé de son ami et ministre des Affaires étrangères, François Léotard, il change d’intermédiaires dans la négociation des contrats au profit du Libanais Ziad Takieddine. Celui-ci encaisse la commission et en reverse une partie pour financer sa campagne. Un bordereau de caisse de l’association de campagne de Balladur, produit par Médiapart, atteste du versement de plus de 10 millions de francs en billets de 100 et 500 francs.
Tout aurait pu continuer si Chirac, dont le Premier ministre n’était autre que Juppé, n’avait pas été rancunier. Finalement élu en 1995, il décide de faire payer sa trahison à Balladur et fait annuler ces commissions. Résultat : ce sont les salariés de DCN qui paient la facture.
Cette affaire rocambolesque a failli être étouffée et il n’est pas encore certain que tous ceux qui y ont trempé seront jugés. Depuis des mois, le juge d’instruction ne parvient pas à obtenir les auditions des parlementaires qui avaient été entendus. Elles sont classées secret défense.
En outre, un des principaux acteurs de l’affaire n’est autre que Sarkozy lui-même. Ministre du Budget sous Balladur, il visait les contrats passés par l’armée. Il aurait également donné son aval à la création au Luxembourg d’une société pour faire transiter les fonds. Enfin, il était porte-parole de la campagne de Balladur.
Sarkozy qui n’a pas de mots assez durs contre les délinquants, la racaille doit rendre des comptes. Il est temps que la justice cesse de ne s’appliquer qu’aux faibles quand les puissants se vautrent dans l’impunité.
Dominique Angelini
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 79 (25/11/10).
Affaire d’état...
2 juillet 2010
C’est l’histoire d’une vente de trois sous-marins français au Pakistan par la DCN (détenue à 75% par l’Etat et à 25% par Thales) pour 840 millions d’euros environ, le 21 septembre 1994, qui se termine le 8 mai 2002, d’après la thèse que privilégient désormais les juges d’instruction, par un attentat contre des ingénieurs de la DCN à Karachi (Pakistan), faisant quatorze morts.
Selon le rapport « Nautilus », commandé par la DCN à un ex-agent de la DST, l’action terroriste a eu lieu en représailles au non-versement des commissions inhérentes au contrat et devant arroser une série d’officiels pakistanais véreux. L’arrêt des versements aurait été ordonné par Chirac dès son arrivée à l’Elysée, en 1995, afin, selon « Nautilus », d’assécher les réseaux de financement d’Edouard Balladur, des rétro-commissions (dans l’autre sens, de Karachi vers Paris) ayant eu pour but de financer la campagne de l’ex-Premier ministre à la présidentielle. Il est vrai qu’Edouard Balladur, contrairement à Chirac, n’avait pas l’appareil du RPR (ex-UMP) avec lui.
Voilà qui intéresse Nicolas Sarkozy, pour qui tout cela n’est qu’« une fable », à double titre. D’abord, en tant que directeur de campagne d’Edouard Balladur (soutenu par Charles Pasqua…), lui était-il possible de ne rien connaître de son financement ? Ensuite, en tant que ministre du Budget à l’époque car, selon un rapport de police révélé par backchich.info, de septembre 2008, la société Heine (chargée avec Eurolux gestion de s’occuper des commissions) aurait été créée avec son aval.
Si l’on ajoute les révélations de Libération, comme quoi des éléments clés n’ont pas été versés au dossier (géré jusqu’il y a quelques mois par Jean-Louis Bruguière, candidat UMP aux législatives de 2007), la fable fleure « bon » l’affaire d’Etat. N’y voyez aucun lien : la toute récente loi de programmation militaire (LPM) comporte un volet sur le secret-défense, pour l’étendre à des lieux (et non plus aux seules missions) dont la liste, « régulièrement actualisée » (article 12 de la LPM), est fixée par le Premier ministre... Autant dire que les perquisitions telles que celle qui a permis de mettre à jour ce « Karachigate » seront quasiment impossibles. C’est en sens inverse qu’il faut aller : interdire le secret-défense, la diplomatie secrète et les exportations d’armes, ainsi que reconvertir l’industrie militaire en industrie civile.
Thomas Mitch
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 15 (02/07/09).