Une étude intitulée « La discrimination pénalise de 15 % le revenu des musulmans français » (voir ci-dessous) nous a été communiquée par Miguel. Elle est me semble utile à notre réflexion.
À condition qu’on le reprenne d’un œil critique et lucide.
Je m’y hasarde.
Tout d’abord la pénalisation salariale importante touche les musulmans français d’afrique subsaharienne.
Il ne faut pas omettre que les non musulmans français d’afrique subsaharienne subissent aussi une pénalisation du fait de leur origine, moindre mais réelle. C’est à prendre en compte pour l’action à mener et en particulier pour ne pas tout regarder sous le seul prisme des thèses privilégiant l’angle « islamophobie » même si celle-ci est une composante du problème. Mais faut-il en faire la solution ?
Ce que soulignent diverses études dont une de l’Ined qui signale que « Si le salaire des immigrés est globalement inférieur de 10% à celui de la population majoritaire, celui des immigrés d’Afrique subsaharienne l’est d’une ampleur atteignant 15%, ceux en provenance d’Algérie de 13%, ceux de Turquie de 18%... » – pas si simple donc, même s’il s’agit là d’immigrés. Il y a par exemple une différence faite entre les Algériens et les Marocains par les employeurs (et l’opinion de comptoir) qui doit avoir des incidences salariales, ces derniers étant valorisés au détriment des premiers. Il n’est pas là question de religion mais d’un racisme post-colonial sans aucun doute.
Ceci dit, il m’apparaît que se fixer sur l’appartenance religieuse dont fait état cette étude peut induire en erreur et biaiser notre regard qui doit aussi prendre en compte un autre phénomène, distinct, à la fois mêlé et parallèle qui est la xénophobie, et qui, à mon sens, peut jouer tout autant dans les résultats de cette étude que la religion, sinon plus.
En effet l’employeur beauf moyen franchouillard considèrera comme plus proche, moins « étrangère » une personne se prénommant Marie à l’inverse d’une personne se prénommant Fofana. Et cantonner sa réaction à la question religieuse me semble risquer de fausser l’analyse, car la religion peut n’entrer en rien dans ce phénomène qui ne relèvera pas d’une islamophobie mais de la xénophobie : je privilégie mon frère plutôt que mon cousin, mon cousin plutôt que mon voisin, Marie Ndyaye plutôt que Fofana Ndyaye, parce que Marie me sera plus proche par son prénom (et non la référence à une religion même si le prénom est d’origine religieuse, mais Marie peut fort être athée) que l’étranger prénom « Fofana ». J’entends d’ici : « Au moins Marie, elle a un prénom français » et cette remarque n’a pas de connotation religieuse mais chauvine.
De même dans la rue, le bistrot, il n’est pas tant question dans le langage courant des musulmans que des arabes, même si le qualificatif musulman est aussi employé. Mais lorsque le racisme ordinaire l’emploie il le fait à dessein, pour viser la religion, explicitement. Ce qui n’est pas le cas du racisme ordinaire qui profère qu’il a trop d’arabes (ou de noirs dans l’équipe de France).
Encore une fois je ne suis pas sûr qu’il faille focaliser sur l’aspect religieux qui est certes une composante phobique, mais cohabite avec un tout autre phénomène qui est la xénophobie, le racisme.
Non que ce soit mieux, mais certains de nos camarades voudront, y compris devant de telles enquêtes, nous entraîner sur le terrain quasi exclusif (voire obsessionnel me semble-t-il) de l’islamophobie là où ce qui s’exprime est plus varié, ne touche pas que les populations de culture musulmane, et relève de la xénophobie.
Ce qui ne demande pas les mêmes réponses ni le même discours politique que la focalisation en cours sur l’islamophobie, laquelle brouille la réflexion et distordrait nos ripostes. Encore une fois la religion divise plus qu’elle ne rassemble y compris entre religieux d’une même obédience.
Les camarades argueront de la dimension internationale. Certes. Mais avons nous intérêt politiquement à « religiogiser » cette question et ses en jeux avec toutes les confusions vis à vis des régimes dictatoriaux se réclamant de l’Islam ? Je ne crois pas. Des camarades en font une intervention prioritaire voire quasi exclusive dans les quartiers à forte concentration musulmane. Est-ce si sain politiquement ? N’y a-t-il pas un fond soit utilitaire (on cherche à les gagner par là), soit ghettoïsant voire communautarisant ? Alors que nous devrions au contraire laïciser radicalement cette question pour la nettoyer de tout racisme et y travailler à la fusion entre antisionistes et autres antiracistes, en faire un élément d’unité et pas d’identité particulière (il y a des chrétiens et des athées en Palestine de plus).
L’affaire des Roms (la population de nationalité française gitane, rom ou autre avoisine les 500 000, voire les dépasse, sans compter les étrangers actuellement pourchassés) rappelle aussi une phobie non seulement ancestrale mais vivace. Une étude sur la discrimination à l’emploi et salariale de ces populations les situeraient certainement en pire vis à vis des populations musulmanes. On pourrait parler de Romanophobie. Ils sont aussi bien catholiques que protestants (évangéliques), un peu orthodoxes. On a vu que le pouvoir s’emparait de cette phobie avec virulence.
Une étude récente situe la pénalisation des homosexuels masculins en matière salariale à moins 6,5% dans le secteur privé et 5,5% dans le secteur public (ce à quoi je ne m’attendais pas). Là encore on voit les incidences sociales d’une phobie qui rappelle une forme de xénophobie, d’exécration de l’étrange en ce cas.
Je cherche les chiffres en ce qui concerne la population issue des DOMTOM, et les travailleurs noirs et des handicapés.
Tout ceci pour dire qu’encore une fois il me semble plus judicieux et moins glissant politiquement d’aller chercher nos ripostes et nos réponses sur le terrain de l’unité des travailleurs par la lutte contre le racisme et la xénophobie, et de cantonner notre « défense des musulmans » prônée telle quelle par certains camarades, à la défense des libertés religieuses dans le cadre laïque.
Sinon, on passe à côté des phénomènes phobiques unifiants.
Je reviendrai sur une autre question, celle de l’oppression, notion utilisée à tout va et, me semble-t-il, de façon tout à fait erronée où sont mélangées les discriminations et les phénomènes d’oppression - toujours pour celles et ceux qui veulent bien la prendre comme une obstination à réfléchir.
Fraternellement
Jacques
La discrimination pénalise de 15 % le revenu des musulmans français
LEMONDE.FR avec AFP 22.11.10 21h11
La discrimination religieuse existe bel et bien en France. Ses conséquences se traduisent sur le revenu moyen des immigrés musulmans, qui s’avère inférieur de 15 % à celui de ceux de religion chrétienne, selon l’étude américano-française « L’intégration en Europe : identification d’un effet musulman » publiée lundi 22 novembre et menée auprès d’immigrés sénégalais de seconde génération.
Ces chercheurs ont conduit une enquête auprès de 511 enfants d’immigrés sénégalais chrétiens et musulmans qui vivaient en France en 2009. Ils ont montré qu’au sein de ce groupe les musulmans gagnaient en moyenne 400 euros de moins par mois (15 %) que ceux appartenant à la communauté chrétienne. Les auteurs de l’étude s’en sont tenus à des familles sénégalaises pour différencier l’influence de la religion d’autres facteurs comme le pays d’origine.
Les auteurs de cette étude relèvent en outre que leurs travaux pourraient avoir sous-estimé le degré de discrimination visant les musulmans en France car une partie de la population française n’associe pas les Sénégalais à l’islam.
CV FICTIFS ENVOYÉS AUX ENTREPRISES
Ils ont également testé les réponses des entreprises françaises à des candidats fictifs soumettant un CV virtuellement identique qui se différenciait seulement par le nom et deux autres indices de l’appartenance religieuse.
Ils ont constaté que pour 100 réponses positives pour un entretien obtenues par une demandeuse d’emploi fictive, chrétienne et d’origine sénégalaise appelée Marie Diouf, celle de confession musulmane, appelée Khadija Diouf, n’en a reçu que 38, soit deux fois et demie moins.
L’expérience des CV « nous a permis d’identifier statistiquement et de façon substantielle une discrimination religieuse dans au moins un secteur du marché du travail, à savoir le secrétariat et la comptabilité », écrivent les chercheurs, dont la communication paraît dans les annales de l’Académie nationale américaine des sciences (PNAS) datées du 20-26 novembre.
DES MUSULMANS PERÇUS COMME MOINS IMPLIQUÉS
Les chercheurs ont également avancé plusieurs hypothèses pour expliquer cette différence, comme la sympathie naturelle ressentie par les Français de souche – dont les quatre grands-parents sont nés en France – envers des immigrants ou des descendants d’immigrants partageant la même tradition religieuse.
Les Sénégalais chrétiens pourraient, du fait de leur appartenance religieuse, susciter une plus grande confiance et mieux communiquer leur désir d’intégration et de réussite que les immigrants sénégalais musulmans, supputent aussi les chercheurs.
Enfin, les pratiques culturelles des musulmans pourraient être perçues par les employeurs français comme conduisant à être moins engagés dans leur travail, relèvent-ils pour conclure.
Le marché de l’emploi moins ouvert aux enfants d’immigrés maghrébins
C’est l’un des constats les plus marquants de l’ambitieux et massif « portrait social » de la France en 2010 que dresse l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) : « En moyenne, entre 2005 et 2009, 86 % des hommes français âgés de 16 à 65 ans ont un emploi quand leurs deux parents sont français de naissance », ce qui n’est le cas que de « 65 % quand un de leurs parents est immigré et originaire d’un pays du Maghreb », écrivent les auteurs de cette étude publiée mercredi 17 novembre. Pour les femmes, les chiffres sont respectivement de 74 % et 56 %.
Les auteurs expliquent s’être intéressés à la situation des enfants d’immigrés – un ou deux parents – plutôt qu’à celle des immigrés eux-mêmes, parce que leurs « caractéristiques sont plus facilement comparables à celles des descendants de non-immigrés ».
Et malgré cette proximité des situations scolaires ou linguistiques, le constat est sans appel : chez les descendants de l’immigration maghrébine, on constate un différentiel de 21 points par rapport à la population issue de parents français. Les enfants de l’immigration originaire d’Europe de l’Est, du Nord ou du Sud ont quant à eux des taux d’emploi plus proches de ceux des Français de parents français.
DES CHIFFRES ÉQUIVALENTS POUR LES ENFANTS D’IMMIGRÉS AFRICAINS
Les travaux de l’Insee se sont exclusivement concentrés sur ces quatre groupes de nationalité des parents – Maghreb, Europe de l’Est, Europe du Nord, Europe du Sud. « Les autres origines constituent des groupes trop peu nombreux ou trop jeunes », indique le texe. Mais sur la base d’études plus anciennes et des données collectées par les chercheurs, Roland Rathelot, l’un des trois auteurs, avance des chiffres pour les enfants d’immigrés venus d’Afrique subsaharienne et d’Asie : « Dans les deux cas, nous sommes très proches des écarts trouvés pour les enfants d’immigrés maghrébins : le taux d’emploi est d’une vingtaine de points inférieur à celui des enfants de parents français. »
Pour autant, l’étude estime que « l’intégralité de ces écarts ne relève pas nécessairement de la discrimination » : les Français descendants directs d’immigrés du Maghreb sont ainsi en moyenne plus jeunes et ont des niveaux d’éducation plus faibles que ceux dont les deux parents sont français de naissance. D’après les estimations de l’institut, ces disparités en termes d’expérience, de diplôme, de situation familiale et de lieu de résidence expliquent un tiers de l’écart des taux d’emploi (soit 7 points sur 21).
UN ÉCART QUI DIMINUE AVEC LA VALEUR DU DIPLÔME
C’est dans les 14 points restants qu’on peut discerner les effets d’une discrimination fondée sur l’origine des personnes, même si d’autres facteurs difficilement quantifiables, comme l’accès à des réseaux informels véhiculant des offres d’emplois, contribuent à expliquer les écarts.
Les auteurs de l’étude ne se risquent pas à chiffrer la part de l’écart due à des discriminations, mais constatent que « la discrimination à l’embauche à l’encontre des descendants d’immigrés originaires du Maghreb (...) a été mise en évidence par les études de testing ». Roland Rathelot insiste : « Le testing relève d’une méthodologie différente, mais c’est l’existence de cette pratique qui nous permet d’affirmer avec assurance que la discrimination joue un rôle dans la difficulté d’accès à l’emploi des enfants de familles maghrébines ».
Autre enseignement de l’étude, celui que Roland Rathelot juge « le plus surprenant » : pour des niveaux de diplômes élevés (master et au-delà), les écarts de taux d’emploi entre Français de parents français et Français de parents originaires du Maghreb sont très réduits.
Pour en savoir plus :
– sur le site de l’Insee : l’intégralité de l’étude « Les écarts de taux d’emploi selon l’origine des parents : comment varient-ils avec l’âge et le diplôme ? »
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/FPORSOC10F.pdf
– sur le site de l’Insee : une présentation des thèmes abordés dans l’étude France, portrait social - Edition 2010
http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/sommaire.asp?codesage=FPORSOC10
Le Monde.fr
* LEMONDE.FR | 17.11.10 | 19h09 • Mis à jour le 18.11.10 | 07h39