Jeudi dernier, 28 octobre, septième
journée de mobilisation depuis début
septembre. Mais le gouvernement
campe sur ses positions. On s’essouf-
fle ?
Laurence Lyonnais : Il y avait moins de
monde dans les manifs, c’est vrai.
Peut-on pour autant parler d’essoufflement ? Le 28, il y a eu en tout 270
manifs. A Pontarlier nous étions
encore 650, contre 850 à 1000 les
journées précédentes. Mais le défilé
était très dynamique ; devant la gare
nous avons été rejoints par les cheminots en grève, qui ont été acclamés.
Pour tous, le fait que la loi ait été votée
ne change rien sur la détermination
de fond. Sarko, c’est les riches : si on
ne bouge pas, on va crever la gueule
ouverte. La détermination est là, elle
est très forte. T’imagines, Pontarlier
n’est tout de même pas un des hauts
lieux de la lutte des classes. Ici, le gens
ont voté à droite ; une partie de la
population bosse en Suisse, donc…
Pourtant, même ici, le slogan le plus
repris jeudi était « Sarko : rendez-vous
à la Bastille ! » en écho au « ne pas
refaire la nuit du 4 août » lâché par
Jean-François Copé. [1] La situation
n’est pas stabilisée.
C’est-à-dire ?
Les gens ne veulent pas en rester là.
Ils en veulent à ce gouvernement qui
n’a que mépris. Il nous a fait le coup
des menaces terroristes, puis il nous a
raconté qu’il n’y avait aucun problème d’essence alors que les queues
s’allongeaient aux pompes. Dans la
lutte, les gens apprennent vite.
Quand on nous a sorti l’histoire des
menaces d’Al-Qaida, les gens ont dit :
« ils vont pas croire qu’on va la gober,
celle-là ! ». Le discrédit de Sarkozy et
de son gouvernement est énorme. Les
gens leur en veulent, ils veulent en
découdre.
Mais en même temps, les raffineries
reprennent le travail, l’une après l’au-
tre…
Oui, elles ont repris. Et cela peut
démoraliser. Sauf qu’on se souvient
qu’en 2003, lors de la longue grève
des enseignants, aucun autre secteur
n’avait bougé. Surtout pas les raffineries. Cette fois, grâce aussi à l’existence de l’Intersyndicale, les cheminots y sont allés, les camionneurs aussi. Et les raffi-
neries. Le problème est que cela n’a pas convergé en un
mouvement unique. Mais, au moment même où les raffineries se remettent au travail, d’autres secteurs se donnent
rendez-vous, prévoient d’agir. Pas loin d’ici, à Saint-Claude,
par exemple, il n’y avait pas eu grand-chose jusqu’à cette
dernière journée d’action, malgré les traditions anarcho-syndicalistes de la région. Et puis, d’un coup, depuis jeudi
passé, une coordination s’est mise sur pied pour organiser
la suite de la mobilisation. Surtout, c’est une phase, celle
que nous vivons, de forte politisation, en profondeur.
Comme l’a été la période qui a culminé avec le rejet du Traité
constitutionnel européen en 2005 ?
Oui, mais à la différence de 2005, le mouvement de cette
année ne souffre d’aucune ambiguïté. En 2005, une partie,
minoritaire, du refus du Traité était représentée par la
droite souverainiste. Aujourd’hui, les lignes de démarca-
tions sont claires, sociales, de classe.
Et puis, il y a la jeunesse…
Méprisée, provoquée, humiliée, elle sait ce qu’est l’injus-
tice sociale, la précarité à laquelle on la condamne. Les
jeunes, on les a criminalisés. Et on a crié à la manipulation.
En France, à treize ans t’es bon pour la taule, c’est l’âge de
la majorité pénale. Mais t’es « manipulé » si à seize tu décides
de descendre dans la rue pour des raisons politiques !
Bernard Thibault, le leader du syndicat CGT, appelle à la guérilla sociale. Qu’en penses-tu ?
On a envie de répondre chiche ! On peut se demander si
l’heure n’est pas à l’appel à constituer et généraliser des
comités d’action et de lutte. Car, dans cette situation dans
laquelle le gouvernement semble gagner la bataille des
retraites mais perd la guerre de la légitimité et de l’idéologie, les choses peuvent basculer vite. Le 23 octobre dernier, Marine Le Pen était à Pontarlier. Il ne faut pas se
méprendre : elle spécule sur la démoralisation des gens.
C’est à nous de proposer des formes d’action qui permet-
tent à la révolte de se maintenir et de se politiser.
Aujourd’hui, c’est la perspective de 2012 qui est mise en
avant, en particulier par le Parti socialiste. Cela pourrait
être source de démobilisation. Mais il y a une idée, qui a
pris force ces dernières semaines, enracinée dans les
consciences, portée par des centaines de milliers de personnes, cette idée selon laquelle « même si on peut attendre 2012, ce serait bien de gagner avant ! ».
Paolo Gilardi