BARCELONE, ENVOYÉE SPÉCIALE - La Sagrada Familia, œuvre gigantesque de l’architecte catalan Antonio Gaudi est désormais une basilique, où pourront être célébrées des messes. Dimanche 7 novembre, au cours d’une cérémonie spéciale célébrée dans le spectaculaire édifice, en présence du roi et de la reine d’Espagne, le pape Benoît XVI a consacré ce temple, symbole de la famille traditionnelle.
Encore en construction, 128 ans après le début des travaux, l’église est rehaussée de huit tours de 170 mètres. Douze autres sont prévues dans les plans de l’architecte catholique, représentant les douze apôtres, les quatre évangélistes, Jésus et Marie.
Alors que sa première journée de voyage en Espagne avait été consacrée à la déchristianisation des pays européens en général et à celle de la société espagnole, marquée par une rapide baisse de la pratique religieuse, en particulier, le pape a réservé les déclarations de ce dimanche à la défense de la famille et répété le refus de l’Eglise pour l’avortement.
« Les conditions de vie ont profondément changé et avec elles on a progressé énormément dans les domaines techniques, sociaux et culturels. Nous ne pouvons pas nous contenter de ces progrès. Ils doivent toujours être accompagnés des progrès moraux, comme l’attention, la protection et l’aide à la famille, puisque l’amour généreux et indissoluble d’un homme et d’une femme est le cadre efficace et le fondement de la vie humaine dans sa gestation, dans sa naissance et dans sa croissance jusqu’à son terme naturel », a déclaré Benoît XVI lors de son homélie.
« L’ÉGLISE S’OPPOSE À TOUTE FORME DE NÉGATION DE LA VIE »
Au delà de ce rappel des convictions catholiques traditionnelles, le pape s’est montré plus politique. Il s’est adressé aux gouvernements en charge des politiques familiales alors que l’Espagne vient d’assouplir le recours à l’avortement – une mesure qualifiée « d’insensée » par le Vatican – et est en Europe l’un des rares pays à autoriser le mariage entre homosexuels. Protestant contre sa venue, quelque 200 homosexuels s’étaient embrassés à l’arrivée du pape à la Sagrada Familia.
« L’Église demande des mesures économiques et sociales appropriées afin que la femme puisse trouver sa pleine réalisation à la maison et au travail, afin que l’homme et la femme qui s’unissent dans le mariage et forment une famille soient résolument soutenus par l’État, afin que soit défendue comme sacrée et inviolable la vie des enfants depuis le moment de leur conception, afin que la natalité soit stimulée, valorisée et soutenue sur le plan juridique, social et législatif », a plaidé le pape.
« Pour cela, l’Église s’oppose à toute forme de négation de la vie humaine et soutient ce qui promeut l’ordre naturel dans le cadre de l’institution familiale ». Il a également exalté le travail de Gaudi, qui, comme il l’avait souligné la veille, « a su s’insérer dans la tradition des grandes cathédrales avec une créativité nouvelle ». Avec cette œuvre artistique et spirituelle, aux décors exubérants et colorés, l’architecte a, selon Benoît XVI réalisé « ce qui est aujourd’hui une des tâches les plus importantes : dépasser la scission entre conscience humaine et conscience chrétienne, entre existence dans ce monde temporel et ouverture à la vie éternelle. […] Telle est la grande tâche, montrer à tous que Dieu est un Dieu de paix et non de violence, de liberté et non de contrainte, de concorde et non de discorde ».
Il a d’ailleurs insisté sur l’importance à ses yeux de l’événement du jour : « Je crois que la consécration de cette église de la Sagrada Familia, à une époque où l’homme prétend édifier sa vie en tournant le dos à Dieu, comme s’il n’avait plus rien à lui dire, est un événement de grande signification ». Ou la Sagrada Famila, comme une synthèse des deux préoccupations de l’Eglise catholique évoquées lors de ce voyage.
Stéphanie Le Bars
* pour Le Monde.fr | 07.11.10 | 12h24 • Mis à jour le 07.11.10 | 12h57.
Benoît XVI : le Vieux Continent « doit s’ouvrir à Dieu »
Saint-Jacques-de-Compostelle envoyée spéciale
Durant plusieurs minutes, l’immense encensoir, actionné par huit hommes, a suivi son mouvement de balancier, sous les voûtes de la cathédrale du 12e siècle, nichée au cœur de Compostelle.
Benoît XVI a débuté en ce lieu symbolique son voyage-éclair de deux jours en Espagne, samedi 6 novembre. Le pape effectue, avec ce « pèlerinage » personnel, un retour aux sources de l’Europe chrétienne, qu’il entend revigorer. Depuis le Moyen-Age et la création des divers « chemins » convergeant vers Compostelle, la ville symbolise la naissance d’une culture chrétienne commune au continent européen.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont accueilli le pape dans cette ville du nord du pays, qui, selon la tradition, abrite le tombeau de l’apôtre Jacques, aboutissement de l’un des pèlerinages catholiques les plus fréquentés au monde depuis huit cents ans. Cette année, considérée comme une « année sainte » pour Compostelle car le 25 juillet, date de la Saint-Jacques, est tombé un dimanche, la ville a accueilli plus de 250 000 marcheurs, croyants ou non, venus du monde entier.
« UN CHEMINEMENT VERS LA TRANSCENDANCE »
Ce lieu symbolise « l’unité spirituelle de l’Europe » a rappelé le pape : « Les pèlerins à chaque pas ont créé un chemin de culture, de prière, de grâce, et de conversion, symbolisé par des églises, des hôpitaux, des auberges, des ponts et des monastères. Ce faisant, l’Espagne et l’Europe ont développé une physionomie spirituelle marquée de manière indélébile par l’Evangile. »
Le pèlerinage, qui mène chaque année un nombre croissant de personnes sur les routes de Compostelle, constitue aussi « un cheminement vers la transcendance », a affirmé Benoît XVI, exhortant « le Vieux Continent à donner une nouvelle impulsion à ses racines chrétiennes ». « L’Espagne et l’Europe ne doivent pas seulement être préoccupées par leurs besoins matériels mais aussi par leurs besoins moraux, sociaux, spirituels et religieux », a-t-il ajouté.
Dans ce contexte, « l’Europe doit s’ouvrir à Dieu », a-t-il martelé, insistant sur l’apport de la foi dans la culture, la philosophie, la littérature. « L’Eglise a été la mère de l’art durant des siècles », a-t-il rappelé dans l’avion qui le menait en Espagne, alors qu’il doit, dimanche, consacrer la Sagrada Familia, l’édifice spectaculaire de l’architecte Antonio Gaudi, à Barcelone.
« TENTATIVE POUR NOIRCIR LA VRAIE FOI BIBLIQUE EN DIEU »
Dès cette première journée dans un pays de forte tradition catholique, désormais en voie de déchristianisation rapide, le pape a livré une analyse inquiète de la situation de la foi catholique dans une Europe, globalement marquée par un athéisme croissant. « C’est une tragédie qu’en Europe, notamment au 19e siècle, la conviction ait grandi que Dieu était l’adversaire de l’Homme et l’ennemi de sa liberté. Il y a donc eu une tentative pour noircir la vraie foi biblique en Dieu. Mais comment la chose la plus importante de la vie peut-elle être confinée à la sphère privée ou condamnée aux ombres ? », s’est-il alarmé lors de la messe célébrée à Saint-Jacques-de-Compostelle. « C’est pour cette raison que nous devons de nouveau entendre joyeusement Dieu sous les cieux européens », a-t-il encore plaidé.
Dans l’avion qui le menait à Compostelle, le pape avait clairement visé l’Espagne : évoquant « la laïcité, la sécularisation et l’anticléricalisme agressif » des années 30, avant l’avènement du franquisme, il avait jugé que l’affrontement entre « foi et modernité » était encore « vivace » en Espagne et appelé à « une rencontre, et non pas un affrontement, entre la foi et la laïcité ». Enfin, dans une allusion à la solidarité de l’Europe avec le reste du monde, Benoît XVI a également affirmé : « L’Europe de la science et de la technologie, l’Europe de la civilisation et de la culture doit aussi être une Europe ouverte à la transcendance et à la fraternité avec les autres continents. »
Au deuxième jour de ce voyage entre tradition et modernité, Benoît XVI, célèbrera, dimanche, une messe à Barcelone, où des mouvements athées, féministes et homosexuels ont annoncé des manifestations.
Stéphanie Le Bars
* Pour Le Monde.fr | 06.11.10 | 17h50.