Ah, si Léon avait plutôt créé l’Armée Verte !
A propos d’un article de Daniel Tanuro
Daniel Tanuro est ingénieur agronome et semble être devenu le principal théoricien de l’ « écosocialisme » dont se revendique aujourd’hui le NPA et plus largement le Secrétariat Unifié de la IVe Internationale. Il vient par exemple de publier un livre qui semble résumer cette approche : L’impossible capitalisme vert (éditions La Découverte).
La dernière phrase de la IVe, non pas « Internationale » mais « de couverture », indique les problèmes que se pose l’auteur :
« Quelles erreurs ceux qui se réclament du socialisme ont-ils commises pour que cette articulation [entre le combat écologique et le combat social] semble aujourd’hui si difficile ? »
A la recherche de la source de ces erreurs, Daniel Tanuro s’attaque donc à Léon Trotsky dans un papier publié sur le site du NPA [1].
Cet article, tout à fait érudit et subtil, se distingue nettement de la production écosocialiste habituelle, telle qu’elle apparaît dans l’hebdomadaire du NPA, et vaut à mon avis la peine d’être lu, même si – comme c’est mon cas – on n’en partage pas l’approche.
[C’est d’ailleurs sans doute maintenant le moment pour le lecteur de le lire, avant de se pencher sur les critiques ci-dessous]
Le début du texte s’emploie à présenter l’idée selon laquelle Léon Trotsky a certes joué, face à la contre-révolution stalinienne, un rôle essentiel de transmission de l’héritage marxiste-révolutionnaire, mais en omettant un aspect de cet héritage, celui des intuitions de Marx et d’Engels sur la question de l’écologie et des « limites naturelles ». Car il s’agit pour Daniel Tanuro de montrer que Marx et Engels, eux, n’étaient pas « productivistes », contrairement à Trotsky.
Je voudrais faire deux remarques sur ce point :
1. Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais, telle que me la présentent les défenseurs de l’idée d’intuitions écologistes des fondateurs du marxisme, tout cela m’a l’air de reposer sur pas grand chose quand même. Et presque uniquement sur cet extrait de la Dialectique de la Nature d’Engels que Daniel Tanuro cite évidemment :
« Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. »
Il me semble qu’il s’agit là d’une remarque assez isolée, presque « au passage », et qui ne renvoie en rien à une pensée systématique, comme celle élaborée à propos du mode de production capitaliste. L’ouvrage en question n’a d’ailleurs jamais été publié du vivant d’Engels, et il s’agit de notes que l’auteur n’a jamais considérées comme un tout achevé et cohérent.
Il n’est pourtant pas aberrant de supposer qu’Engels ait rencontré le mot « Oekologie », puisque l’on sait qu’il avait lu les écrits de son inventeur, son compatriote le darwinien Ernst Haeckel. Mais si Haeckel définissait dès 1866 – soit avant les réflexions d’Engels – l’écologie comme « la totalité de la science des relations de l’organisme avec l’environnement, comprenant, au sens large, toutes les conditions d’existence. » [2], cette science n’en était encore qu’à ses balbutiements. Ce sont les notions de « biocénose » ou de « biogéographie » qui ont occupé les esprits scientifiques pour quelques décennies encore, avant que le mot « écologie » ne s’impose définitivement dans les années 1930 et que l’écologie moderne ne se développe qu’à partir des années 1940 autour de la notion d’ « écosystème ». Bref, aussi au fait de la science de son temps qu’Engels s’efforçait de l’être, on ne peut pas lui demander de miracle et d’être le précurseur génial de tout ce qui s’est fait au XXe siècle. Mais il est vrai que l’on peut constater que l’approche dialectique et résolument évolutionniste d’Engels l’amenait à poser les bases d’une conception dynamique de la nature et de l’interaction entre les hommes et celle-ci. En cela, il est résolument moderne, bien plus que beaucoup d’écologistes (au sens politique) contemporains qui ont eux un vision platement stationnaire d’une nature éternellement en équilibre qu’il s’agirait de « conserver » face aux toujours nuisibles actions humaines.
2) Dès le début de l’article de Daniel Tanuro s’impose la notion de « productivisme », qui revient à tout bout de champ, et qui n’est certainement pas la plus heureuse des innovations théoriques de la pensée écosocialiste. Je n’ai jamais très bien compris en quoi le capitalisme était « productiviste ». Que je sache, on n’y produit pas pour produire, mais bien pour faire du profit, et si des capitalistes estiment nécessaires de restreindre la production pour maintenir leur taux de profit, ils le font sans hésiter. Il faudra un jour que l’on m’explique ce que recouvre ce « productivisme » passe-partout...
C’est alors que Trotsky en prend pour son grade. Il est vrai que celui-ci avait tendu les fers pour se faire battre (près d’un siècle plus tard...), avec quelques formules excessivement lyriques et d’un goût douteux comme celle relevée dans l’article et extraite de Littérature et Révolution :
« « L’emplacement actuel des montagnes, des rivières, des champs et des prés, des steppes, des forêts et des côtes ne peut être considéré comme définitif. L’homme a déjà opéré certains changements non dénués d’importance sur la carte de la nature ; simples exercices d’écolier par comparaison avec ce qui viendra. La foi pouvait seulement promettre de déplacer des montagnes, la technique qui n’admet rien par foi les abattra et les déplacera réellement. Jusqu’à présent, elle ne l’a fait que pour des buts commerciaux ou industriels (mines et tunnels), à l’avenir elle le fera sur une échelle incomparablement plus grande, conformément à des plans productifs et artistiques étendus. L’homme dressera un nouvel inventaire des montagnes et des rivières. Il amendera sérieusement et plus d’une fois la nature. Il remodèlera, éventuellement, la terre, à son goût. Nous n’avons aucune raison de craindre que son goût sera pauvre. ( …) L’homme socialiste maîtrisera la nature entière (…) au moyen de la machine. Il désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans. »
A la lecture de cette description de l’Homme socialiste jouant à déplacer les montagnes comme il jouerait aux légos, on se surprend à ce demander ce que Lev Davidovitch avait fumé avant de se mettre à rédiger. Le texte datant de 1923, Daniel Tanuro avance l’idée selon laquelle Trotsky aurait pu modérer son propos s’il avait lu Dialectique de la Nature, traduite en russe seulement deux ans plus tard. Je ne sais pas si cela aurait suffi à tempérer son enthousiasme de futurologue....
’Alors, tu vois, petit, cette montagne, on va la déplacer là, ça sera mieux
’Alors, tu vois, petit, cette montagne, on va la déplacer là, ça sera mieux"
Je glisse sur quelques aspects mineurs des critiques à apporter à cet article – comme l’idée assez bizarre d’une vision « macho » de la domination humaine de la nature chez Trotsky, une notion qui est peut être là pour se rallier les suffrages des écoféministes ésotériques façon Vandana Shiva, je ne sais pas - , pour en venir à mes trois remarques principales :
a) Dans sa critique de Trotsky, Tanuro s’appuie notamment sur son discours aux chimistes de 1925, avec comme fil directeur la volonté de fustiger l’idée de Trosky selon laquelle la technologie est neutre et que c’est son usage qui ne l’est pas. Si les développements de Trotsky que cite Tanuro sur ce thème ne sont effectivement pas les mieux argumentés que l’on ait pu lire sous la plume du fondateur de la IVe Internationale, on les préfèrera toujours aux tirades technophobes du théoricien écosocialiste du XXIe siècle, qui refuse par exemple par principe tout la technologie des OGM. :
« Si la technologie, en général, était une conquête fondamentale de l’humanité, les anticapitalistes d’aujourd’hui devraient inscrire à leur programme la mise en œuvre socialiste des OGM, du clonage des animaux et de l’énergie nucléaire. C’est en effet ce que font certains courants marxistes : pour eux, les dangers de ces technologies découlent uniquement des rapports de production capitalistes, de sorte que le contrôle ouvrier sur la production suffirait à les éliminer. L’exemple de la fission nucléaire montre que c’est une illusion : une fois que la réaction est lancée, aucun contrôle, ouvrier ou bourgeois, ne peut l’arrêter. Le génie génétique présente des risques analogues. C’est donc bien la technologie elle-même qui est en cause, pas seulement l’organisation de la production. »
Si Daniel Tanuro pointe à juste titre les faiblesses de l’argumentation de Trotsky, on peut aussi lui faire remarquer que la boutade sur « le contrôle ouvrier n’arrêtera pas une réaction nucléaire incontrôlée » ne répond pas plus au problème posé que ne le faisaient les remarques de Trotsky en leur temps.
Et je voudrais quand même citer ici un autre extrait du même Discours au chimistes de 1925 :
« Quand quelque marxiste tentait de transformer la théorie de Marx en passe-partout universel et sautait vers d’autres domaines des sciences, Vladimir Illitch le gratifiait de sa réplique expressive : »komchvanstvo" [social-fanfaron]. Cela signifie dans ce cas spécifique : le communisme ne remplace pas la chimie. Mais le théorème inverse est également vrai. La tentative d’enjamber le marxisme, sous prétexte que la chimie (ou les sciences naturelles en général) doit résoudre tous les problèmes, est aussi une fanfaronnade, qui théoriquement n’est pas moins erronée, et pratiquement pas plus sympathique, que la sociale-fanfaronnade.”
Là, pour le coup, Trotsky apparaît comme tout à fait raisonnable, dans sa manière de penser les rapports entre science et politique et la nécessaire séparation des deux champs. Beaucoup plus en tous cas que ses héritiers qui ont viré rouge-verts et pour qui rien n’est neutre, même pas une pomme de terre enrichie en amidon par manipulation génétique.
b) Comme souvent, l’auteur fustige dans cet article le « positivisme » – qui imprègnerait encore la pensée de Trotsky, contrairement à celle de Marx – , positivisme qui est sous les plumes écolos utilisé avec la même signification et de la même manière que celui de « scientisme », c’est à dire à tort et à travers. Le positivisme et le scientisme seraient les illusions (dont serait victime Trotsky) selon lesquelles la science aurait les moyens par elle-même de tout comprendre et de tout résoudre. Je ne discuterais pas ici le terme de scientisme, car il n’est pas utilisé par Daniel Tanuro, et je me contenterai de dire qu’il y a quelque chose de profondément « scientiste » du côté de ceux qui pensent que la technologie n’est pas neutre et qu’elle détermine un ordre social. Quelle puissance terrible accordée à une technologie, qui n’est plus seulement un outil entre les mains de qui la saisit ! Je vais plutôt relever ici le contresens à propos de Comte et du positivisme, qui sont une fois de plus présentés comme les tenants de la toute puissance de la science sans limites.
Je m’appuie ici sur les Propos sur les sciences du sociologue Yves Gingras4, qui montre que Comte pensait que
« La véritable science doit se limiter aux relations directement vérifiables entre variables sans chercher à imaginer des substances cachées qui seraient la cause des phénomènes visibles. ».
Bref, loin d’avoir défendu la puissance infinie de la science, Comte en a au contraire excessivement réduit la portée, selon Gingras. C’est sans doute cela qui explique que Marx méprise le positivisme : le refus par celui-ci de se livrer à la spéculation abstraite. Et si le positivisme en a trop fait dans le genre, on peut au contraire sans doute reprocher à Marx et Engels d’avoir quant à eux trop joué à faire de la spéculation abstraite, avec leur matérialisme dialectique.
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Personnellement, j’aurais tendance à dire : match nul balle au centre.
c) J’en viens pour finir à ce qui m’a de loin le plus énervé dans cet article, car relevant, contrairement à tout ce qui précède, d’une petite manip pas très ragoutante sur une question que je connais un peu pour l’avoir étudiée : le lyssenkisme5.
Entraîné par sa volonté de trop vouloir prouver à charge contre Trostsky, Danie Tanuro en vient à lui suspecter des sympathies lyssenkistes. Cela n’est pas clairement énoncé ainsi, mais il est évident que l’auteur va dans ce sens :
« il convient de noter que Trotsky semble avoir été peu enclin à critiquer les élucubrations de Lyssenko »
« Ayant dit sa confiance dans la sélection d’un surhomme socialiste, Trotsky aurait-il prêté une quelconque foi à l’idée que la science soviétique, en libérant les forces productives des entraves capitalistes, pourrait faire pousser du blé dans la toundra sibérienne ? Ce point reste obscur, mais il est permis de se poser la question ! En tout cas, il est curieux que La révolution trahie ne consacre pas même un paragraphe à l’impact du stalinisme sur les sciences exactes, la recherche, etc. »
Ici, l’auteur verse à mon avis franchement dans ce avec quoi il flirtait depuis le début de l’article, tout en tentant fort justement de s’en préserver : l’anachronisme, ce péché capital de l’historien que pourfendait Lucien Fevre, et qui consiste à prêter à des acteurs du passé, et à la lumière du présent, des intentions qu’il ne pouvaient pas avoir à leur époque. Un coup d’œil un peu serré sur la chronologie suffit à s’en convaincre :
Trotsky perd ses responsabilités à partir de 1924 et est chassé d’URSS en 1929.
Lyssenko est à cette époque un obscur agronome inconnu, qui présente sa première communication à un congrès d’agronomie en 1929, et elle passe totalement inaperçue (elle est rejetée par les généticiens en charge des programmes d’amélioration des variétés).
Trotsky publie La Révolution trahie en 1936, et l’a donc conçu / rédigé avant.
Lyssenko, lui, n’est en mesure de mener l’offensive contre les généticiens qu’à partir de 1936/1937, pour être nommé à la tête de l’Académie des Sciences Agricoles en 1938 (en profitant des espaces ouverts par les purges de l’époque.). C’est en 1948, soit 8 ans après la mort de Trotsky, que Lyssenko fait véritablement parler de lui à l’échelle internationale. Je crois pouvoir affirmer qu’il était à peine connu des biologistes communistes hors d’URSS avant cette date. Or, Trotsky n’est pas biologiste...
Bref, je ne vois pas comment Trotsky aurait pu s’intéresser à Lyssenko, ni même peut être avoir eu vent de son existence, à l’époque où il rédigeait La Révolution Trahie. Donc, déduire de l’absence de mention de de Lyssenko dans cet ouvrage une sorte de sympathie tacite de Trotsky pour l’entreprise lyssenkiste est très.... incorrect !
Le même passage de l’article se distingue aussi, pour nourrir la technophobie de l’auteur, par un travestissement complet voir une inversion de la signification du lyssenkisme. Lyssenko n’est pas un extrémiste de la science qui veut transformer trop rapidement la nature : il est un négateur et un destructeur de la science de son temps, un obscurantiste et un incompétent.
Un peu comme les amis Faucheurs Volontaires de Daniel Tanuro, qui eux non plus n’aiment pas la génétique et qui s’emploient avec la dernière énergie à détruire les travaux de la recherche publique sur les OGM, comme ils l’ont encore fait le 15 août dernier à Colmar.
Mais si la technique n’est pas neutre....
Yann Kindo
* http://www.mediapart.fr/club/blog/yann-kindo/051010/ah-si-leon-avait-plutot-cree-larmee-verte
Trotsky et l’écologie : réponse à Yann Kindo
Yann Kindo a publié sur son blog un long commentaire critique de mon article « Ecologie : le lourd héritage de Léon Trotsky ».
Je ne répondrai pas ici à toutes ces remarques : s’il lit plus que la quatrième de couverture de mon livre « L’impossible capitalisme vert », Yann Kindo trouvera mon opinion sur la plupart des questions qu’il soulève. Il pourra alors mieux cerner mon positionnement dans la mouvance de l’écosocialisme, ainsi que les raisons qui, selon moi, donnent une pertinence à ce concept. Je me contenterai d’une réflexion concernant Lyssenko et d’une mise au point sur la problématique des technologies.
La principale critique de Yann Kindo porte sur la petite phrase prudente dans laquelle je m’interroge sur les possibles hésitations de Trotsky face au lyssenkisme, et note avec étonnement que « La Révolution Trahie ne consacre pas même un paragraphe à l’impact du stalinisme sur les sciences exactes, la recherche, etc ». Pour Kindo, « il est évident » que ma prudence n’est qu’un subterfuge, une manière voilée d’imputer à Trotsky des sympathies lyssenkistes. Or, observe-t-il, Lyssenko n’ayant véritablement fait parler de lui à l’échelle internationale qu’en 1948, l’hypothèse d’un manque de clairvoyance du Vieux à son égard serait un anachronisme grossier.
Je remercie mon critique pour ces précisions chronologiques, et reconnais qu’elles incitent à être encore plus prudent sur ce point que je l’ai été dans mon article. Il est probable en effet que Trotsky n’ait jamais entendu parler des travaux de Lyssenko. Dont acte.
Il me semble cependant que cette mise au point n’épuise pas tout à fait la question. La stalinisation des sciences naturelles battait son plein au moment où Trotsky rassemblait le matériel pour rédiger « La Révolution Trahie ». Dans le domaine de la biologie, Stanchinski et ses amis, précurseurs de l’écologie, étaient évincés par Prezent, qui collaborait déjà avec Lyssenko et favorisait les conceptions lamarckiennes de celui-ci. En 1931, Askania, l’Institut Scientifique de la Steppe, fleuron de l’écologie soviétique, était retiré à Stanchinski et son nouveau directeur scientifique, Ivanov, soutenait ouvertement les théories de Lamarck. Dès 1933, selon D.R. Weiner, « Askania devenait une formidable base d’appui pour Lyssenko et Prezent dans leur volonté de contrôler toute la biologie ». [3]
Cette affaire fut répercutée dans la presse soviétique de l’époque. Or, il faut savoir que la question des limites dans les capacités humaines à transformer la nature était au centre de l’offensive du régime contre les « écologistes » : c’est parce qu’il affirmait l’existence de ces limites que Stanchinski fut accusé de propager des idées « réactionnaires ».
Dès lors, si le silence quasi-absolu de Trotsky sur la mise au pas stalinienne dans le domaine des sciences naturelles est un détail, c’est néanmoins un détail interpellant car Trotsky propageait des conceptions transformatrices d’un radicalisme complètement outrancier (« Nous reconstruirons tout », etc). De plus, ces conceptions ont été assimilées par ses successeurs qui, à l’instar de Mandel, ont été confrontés à la « crise écologique »… et ont eu bien du mal à y apporter des réponses adéquates (voir à ce sujet mon article « Marx, Mandel et les limites naturelles » [4]). Le « détail » a donc non seulement un intérêt historique mais aussi une certaine importance politique.
Mon hypothèse est double : 1°) la vision unilatérale de Trotsky l’a empêché de prendre la pleine mesure des enjeux du Thermidor bureaucratique dans ce domaine précis ; 2°) cette lacune est un des facteurs parmi d’autres qui explique pourquoi les marxistes révolutionnaires ont raté le rendez-vous avec la question écologique, dans les années 60 à 90 du siècle dernier.
Ceci dit, il me semble que Kindo enfle démesurément cette affaire. Supprimez de mon article le questionnement sur Lyssenko et la thèse centrale ne perd rien de sa force : Trotsky n’avait aucune conscience de ce que Marx appelait la nécessaire régulation rationnelle des échanges de matière entre l’humanité et la nature. Kindo l’admet, d’ailleurs. Mais, d’une part, il minimise l’affaire en relativisant à l’extrême les apports écologiques de Marx (alors qu’il s’imposerait plus que jamais de les mettre en pleine lumière). D’autre part, il se demande… ce que le Vieux avait fumé avant d’écrire que l’homme socialiste déplacerait montagnes et océans. C’est amusant, mais n’éclaire pas le problème. Les marxistes révolutionnaires ne devraient-ils plus tenter de comprendre les logiques politiques qui sous-tendent des analyses erronées ?
Pour terminer, je crois nécessaire de faire deux mises au point concernant les technologies :
– Kindo m’attribue une « boutade » sur l’impossibilité du contrôle ouvrier sur les « réactions nucléaires incontrôlées ». Ce faisant, il me fait dire ce que je n’ai pas écrit et déplace le débat en catimini. Le problème en effet n’est pas l’impossibilité de contrôler un accident nucléaire mais l’impossibilité de contrôler la réaction nucléaire elle-même. Ce manque de souplesse est d’ailleurs une des raisons techniques pour lesquelles le nucléaire ne peut constituer une réponse au double défi climatique et énergétique ;
– Que je sache, « mes amis faucheurs volontaires » n’ont jamais attaqué les laboratoires où des chercheurs cultivent des OGM en milieu confiné dans le but de produire des médicaments utiles à la santé humaine. Le conflit porte sur les cultures en plein champ. Kindo le sait mais, ici aussi, il déplace le débat. L’objectif semble évident : présenter les adversaires du « génie génétique » comme des obscurantistes, opposés à la génétique et –circonstance aggravante- à la recherche publique… La ficelle est un peu grosse, camarade ! Il en faut davantage pour escamoter la question : qui a besoin de plantes de cultures OGM, et pourquoi ?
Daniel Tanuro
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