Avant même de se tenir, le référendum qui a lieu le 26 mars à Saint-Denis sur le droit de vote et l’éligibilité des résidents étrangers aux élections locales a déjà remporté trois victoires. La première est de ne pas avoir cédé aux pressions et actions en justice engagées par l’État pour obtenir l’annulation du scrutin. Nous avons tenu bon, y compris sur le plan juridique, en faisant appel des deux décisions qui nous ont été défavorables. Cet entêtement a même ouvert une faille, le tribunal administratif n’ayant pas retenu, comme motif d’annulation, l’inscription des étrangers sur une liste électorale complémentaire. Ce combat se poursuit, et s’il doit nous mener jusqu’à la Cour européenne de justice, nous irons sans hésiter.
La seconde victoire est plus politique. Il est rare, par les temps qui courent à gauche, de rassembler autour d’un enjeu majeur de société, François Hollande, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot, Arlette Laguiller, Yann Wehrling, Jean-Pierre Chevènement, José Bové, Patrick Braouezec, Arnaud Montebourg et Dominique Voynet. Nous y sommes parvenus en obtenant à la fois leur soutien sans concession sur le fond, et l’engagement de rendre effectif cet élargissement du droit de vote si la gauche gouvernait à nouveau en 2007. La démarche mérite d’être remarquée : cette fois, c’est un verdict populaire qui précéderait une réforme institutionnelle. L’idée pourrait faire école dans bien d’autres domaines, par exemple sur l’augmentation des salaires, la défense des services publics, un véritable plan d’urgence sociale pour les banlieues, l’interdiction des licenciements boursiers, et tant d’autres exigences qui font que l’on pourrait enfin distinguer une politique de gauche de sa fausse amie de droite ou sociale-libérale.
La troisième victoire est l’accueil réservé par la population de Saint-Denis à ce référendum. Certes, si la ville n’est plus du même rouge que celui qu’a pu incarner le communisme municipal d’une autre époque, elle n’a pas non plus, à l’inverse d’autres communes marquées par une forte histoire ouvrière, basculé dans une fuite en avant de droite, où la référence obsessionnelle à la « mixité sociale » sert bien souvent d’alibi à une politique qui consiste d’abord à chasser les pauvres toujours plus loin.
C’est donc cette ville de Saint-Denis, telle qu’elle est aujourd’hui, populaire, modeste, faite de 71 nationalités, où la moitié des 95 000 habitants vit en HLM, qui plébiscite la décision que nous avons prise en organisant ce référendum. Qu’ils soient pour ou contre le droit de vote des étrangers - et nous avons toutes les raisons de penser que le « oui » l’emportera -, c’est le fait de solliciter l’avis de chaque habitant qui est massivement approuvé, très fortement à gauche, et majoritairement dans l’électorat de droite1.
Ce fait mérite d’être relevé : la possibilité d’exprimer directement une opinion reste considérée comme l’une des formes de démocratie les plus légitimes. Le référendum du 29 mai sur le traité constitutionnel européen continue, de ce point de vue, de produire l’un de ses effets : cette capacité à démontrer que rien n’est joué d’avance, et que le peuple dispose encore de la force nécessaire pour imposer un autre choix que celui qui lui est présenté comme indiscutable ou inéluctable.
Dans les sphères qui produisent régulièrement les idées conservatrices, de droite ou de gauche version contrefaçon, il est ainsi admis et répété qu’une majorité de l’opinion ne serait pas prête à ce que le droit de vote et d’être élu soit accordé aux étrangers. En réalité, cet argument en cache un autre, bien moins avouable : instaurer ce nouveau droit de vote reviendrait à reconnaître une citoyenneté fondée sur la résidence et non plus sur la nationalité. Un tel changement va totalement à l’encontre d’une vision communautariste de la société, qui a aujourd’hui le vent en poupe dans les milieux libéraux, très séduits par l’idée de déplacer sur le terrain ethnique ou religieux des oppositions fondées d’abord sur l’appartenance sociale.
D’une certaine manière, il n’est pas exagéré d’affirmer que le référendum du 26 mars à Saint-Denis donne un contenu de classe à l’exigence d’égalité totale devant le droit de vote et d’être élu. Car, enfin, il s’agit bien de reconnaître comme totalement injuste que des millions de salariés, qui ont largement contribué à produire les richesses de ce pays, qui habitent nos communes depuis des décennies, qui ont tout construit ici, qui participent à la vie associative, soient écartés du suffrage universel.
De plus, depuis que les traités européens ont accordé ce droit aux ressortissants des pays de l’Union, il s’est créé deux catégories d’étrangers : les Européens avec droit de vote et les non-Européens sans droit de vote. Cette discrimination légalisée a pour principale conséquence d’accroître un sentiment d’humiliation dans toute une partie de la population. Nous voulons donc affirmer, à travers ce référendum local, que la cohésion sociale n’est fondée ni sur le mythe du sang, ni sur la juxtaposition de communautés ethniques mais, bien sûr, sur l’égalité des droits.
On peut d’ailleurs trouver étonnant que ceux qui en appellent en permanence à une meilleure intégration dans la société française soient souvent les premiers à refuser le droit de vote aux étrangers. Il y a là une incohérence dont les conséquences sont très lourdes. Comment demander, par exemple, à certains jeunes de respecter les lois de la République, quand on interdit à leurs parents de voter ? Comment se désoler qu’un jeune Français issu de l’immigration ne vote pas, quand ce droit est refusé à ses parents ?
Ces incohérences participent du décalage de plus en plus grand entre la réalité de la société, les institutions et la politique. Il est temps d’y mettre un terme. La gauche a eu tort de ne pas oser aller jusqu’au bout d’une mesure qu’elle a pourtant fait sienne depuis très longtemps. Le rôle de la politique ne consiste pas seulement à être à l’écoute des inquiétudes. Il est aussi de faire progresser des idées nouvelles.
Note
1. Sondage CSA réalisé le 4 mars 2006 auprès d’un échantillon représentatif de la population de Saint-Denis âgée de 18 ans et plus.