New Delhi Correspondance
Quelques mois après avoir distribué à ses élèves leur sujet d’examen de ponctuation où se glissait le nom « Muhammad », Thenganakunnel Joseph, professeur dans un collège catholique du Kerala, un Etat du sud de l’Inde, a été violemment agressé. Sa main droite a été mutilée, ses bras et jambes fracturés.
Quel meilleur exercice qu’un dialogue pour vérifier les connaissances des élèves en matière de ponctuation en malayalam, la langue officielle du Kerala ? Le professeur Joseph s’inspira en l’occurrence d’un dialogue entre un fou et Dieu, tiré d’un film local. Mais c’est le fou qu’il choisit d’appeler « Muhammad », le nom du Prophète de l’islam, comme des milliers d’habitants dans un Etat où le quart de la population est musulman.
Quelques semaines plus tard, le 4 juillet, des hommes l’ont attaqué à coups de haches et de barres de fer à la sortie de la messe. La police soupçonne le Front populaire indien, un groupuscule islamiste local, d’avoir organisé cette attaque, et a arrêté vingt-sept de ses membres.
Plutôt que de venir au secours de son professeur, le collège Newman, placé sous protection policière à la suite de manifestations de musulmans, a préféré le renvoyer, l’accusant d’avoir porté atteinte au sentiment religieux de la communauté musulmane. « Il a délibérément ridiculisé le prophète », explique Thomas Malekkudy, le responsable du diocèse de Kothamangalam, sous lequel l’autorité du collège Newman est placée. Le diocèse a même fait lire pendant la messe, dans plus de 120 paroisses, une circulaire expliquant que le professeur Joseph avait cherché à discréditer l’Eglise et ses institutions.
Thenganakunnel Joseph se retrouve désormais invalide, sans emploi, avec une famille à nourrir. « Je me suis déjà excusé et je ne voulais offenser quiconque en utilisant le nom »Muhammad« », assure le professeur. La Ligue musulmane indienne et des organisations catholiques ont demandé, en vain, la réintégration du professeur.
Un modèle de coexistence
« Cet incident est symptomatique de l’influence rampante du fondamentalisme religieux qui mène à la violence dans le pays en général, et plus récemment des violences dans le Kerala », observe l’historien KN Panikkar dans une tribune publiée par le quotidien The Hindu.
Début septembre, des façades d’églises ont été vandalisées. Le Kerala, autrefois reconnu comme étant un modèle de coexistence pacifique entre hindous, chrétiens et musulmans, sombre dans les tensions interreligieuses. En 2004 et 2005, des villages côtiers ont été le théâtre de violentes émeutes entre musulmans et catholiques. Depuis, le puissant conseil interéglises du Kerala a recommandé aux familles chrétiennes de n’envoyer leurs enfants que dans les écoles de leur confession pour préserver « les valeurs chrétiennes attaquées ».
Sur la scène politique du Kerala, dominée par le Parti du Congrès et le Parti communiste, des formations politiques comme les nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party cherchent à attirer les électeurs sur la base de leur appartenance religieuse. « A quelques semaines des élections locales qui vont se tenir en octobre, le BJP va profiter de cet incident pour étendre son influence et rassembler les voix des chrétiens et des hindous en agitant la menace islamiste », estime KPM Basheer, correspondant du quotidien The Hindu dans la région.
Julien Bouissou