« Je me rappelle très bien ce premier jour d’école l’an dernier. J’étais très tendue car je ne savais pas comment mes camarades de classe allaient réagir à mon nouveau look. Le matin, j’ai mis au moins une heure pour me préparer. J’avais choisi un t-shirt à manches longues et pas celui à manches courtes que j’avais l’habitude de porter, j’ai enfilé mon pantalon bleu et retiré du tiroir un foulard bleu foncé avec lequel j’ai couvert mes cheveux », dit Nesrine, qui a aujourd’hui 12 ans. Cela fait un an qu’elle porte le voile. D’ailleurs, sa décision n’a pas été prise à la hâte, puisque ses parents ont discuté avec elle de ce sujet et l’ont bien préparée à ce jour. Une préparation encouragée par le fait que son amie intime et sa cousine presque du même âge l’ont précédée dans le port du voile.
Aujourd’hui, Nesrine n’a plus le droit de porter des t-shirts serrés, des jupes courtes ou des robes décolletées. Avant d’assister à un mariage, elle doit s’acheter de beaux turbans brodés pour se faire belle et surtout prouver que le port du voile peut aussi mettre en relief sa beauté. « Il m’est arrivé parfois de me regarder dans la glace et de ne pas apprécier mon look. Au début, j’hésitais et je jetais l’écharpe par terre. Mais, ma mère m’a expliqué que le fait d’obéir aux ordres de Dieu a un grand sawab (récompense) et que je ne devais pas accorder trop d’importance aux avis d’autrui et à ce qu’ils pensent de moi », raconte Nesrine.
Nesrine dit ne pas regretter sa décision. Dans la mosquée qu’elle fréquente durant les grandes vacances, ses amies ont organisé une belle cérémonie pour célébrer sa décision. Dans sa classe de première année préparatoire, trois filles ont suivi son exemple.
En effet, d’après la Dr Soad Saleh, professeur de charia, l’islam a bien précisé que la fille doit porter le voile à l’âge de la puberté. Pourtant, d’après Saleh, le phénomène devient de plus en plus répandu puisque de nombreux parents imposent le voile à leurs filles à un âge précoce. « J’ai rencontré beaucoup de familles qui se vantaient que leurs filles avaient porté le voile à l’âge de 6 ou 7 ans. C’est pour elles une façon de prouver à leur entourage qu’elles sont très pieuses. Il est vrai que l’islam encourage le concept d’al-tadarrog (appliquer les ordres de Dieu graduellement afin de s’y adapter), mais cela ne doit pas priver un enfant innocent de son droit de jouer, de s’amuser et de vivre son âge », explique Saleh.
Dans le but de faire habituer leurs filles à porter le voile, nombreux sont les parents qui préfèrent aujourd’hui l’imposer le plus tôt possible. Leur argument : « Faire habituer la fille à cette tenue à un âge précoce est une tâche plus facile que de la convaincre à porter le voile plus tard. Car, lorsqu’elle grandira et son esprit sera mûr, les tentations seront plus fortes et il y a un risque qu’elle ne le portera jamais ». C’est ainsi que pense Hoda, professeur dans une école publique et mère d’une fille de 8 ans. Hoda n’a pas hésité à parler avec sa fille de l’importance du port du voile. Cette petite fille a commencé à se servir des foulards de sa mère, les essayant devant le miroir. « En allant au supermarché d’en face, elle se couvre parfois les cheveux avec l’un de mes foulards, ce qui me surprend énormément », dit Hoda. Cette jeune maman a la conscience tranquille car elle pense avoir transmis à sa fille la notion de pudeur et de respect quant aux préceptes de l’islam. Pour la préparer à cette étape, Hoda a arrêté de lui acheter des bodys sans manches ou des maillots de bain.
La loi de la communauté
D’après une récente étude effectuée par le journal américain New York Times, le voile est devenu le style vestimentaire caractéristique de l’Egypte. Et cela ne signifie pas qu’il soit un indice ou une preuve de piété. D’après le journal, plus de 89 % des Egyptiennes portent le voile, dont 5 % décident de le porter avant l’âge de 15 ans.
Aujourd’hui, dans les quartiers populaires, les bidonvilles, les villages, et même dans certains milieux, il est devenu courant de croiser des filles de 6 à 12 ans avec un foulard sur la tête.
« C’est la loi de la communauté », comme la qualifie Sahar Al-Gaara, journaliste. « Si une fille met le voile à l’âge de 6 ou 7 ans, le lendemain, toutes ses amies et proches vont l’imiter. Dans les quartiers populaires, les parents comme les enfants obéissent aux mêmes codes, il n’est pas question de se rebeller. C’est cette unité qui fait la force du groupe et l’individu n’a d’autre choix que de suivre », analyse Al-Gaara.
Fatma Al-Zahraa est la réalisatrice d’un court métrage qui porte le nom de Balad al-higab. Elle a tourné dans un institut azharite du cycle primaire et a été choquée par le fait que des filles ayant entre 4 et 11 ans portaient, toutes, le voile. Interviewée lors du programme télévisé Al-Beit beitak, Fatma Al-Zahraa a adressé un appel au cheikh d’Al-Azhar de l’époque, Mohamad Sayed Tantawi, le suppliant de lutter contre ces idées rétrogrades au sein des institutions azharites.
« J’ai eu mal au cœur en voyant ces petites créatures chétives tout enveloppées. J’ai posé la question à l’une d’elles qui avait 7 ans : Ne trouves-tu pas que tu es trop jeune pour le porter ? Elle a ri, en me confiant qu’elle le portait depuis trois ans », se souvient Al-Zahraa.
Mais, cet appel est tombé dans l’oubli car nombreux sont les parents qui considèrent qu’imposer le voile à leurs petites filles est le meilleur moyen de les protéger.
« Le voile appelle à la pudeur et au respect. Ceci va l’aider à mieux comprendre et respecter les règles de l’islam quand elle sera une jeune femme », commente Ossama, père de Farah, 8 ans, qui a réussi à la convaincre de porter le voile au cours du mois du Ramadan comme étant une étape de préparation.
Dans le club Al-Seid et à l’heure de la prière des tarawih, Farah, 6 ans, est fière de porter cette petite écharpe sur la tête. Après la prière, elle se presse pour aller jouer avec ses copines. Energique et pleine de vie, elle ne remarque même pas que son foulard a glissé, alors qu’elle est en train de jouer à cache-cache. Et Lorsque les autres filles lui posent la question : « Pourquoi portes-tu cette écharpe alors que tu es encore trop jeune ? », elle répond : « Maintenant, je suis comme ma maman, j’ai grandi ».
Salma, la cousine de Farah, l’a porté à l’âge de 11 ans. Elle est très belle et très élégante. Pour les filles de la famille, Salma sert d’exemple. Et leur philosophie : « On porte le voile mais on ne s’interdit pas de vivre ».
Une vision trop idéaliste, d’après Leïla. Cette jeune étudiante à la faculté des lettres a été forcée par ses parents de porter le voile à l’âge de 7 ans. Une expérience amère qui l’a marquée. « Je devais m’habiller, me comporter, vivre selon les attentes de mes parents. Je sentais que je n’avais pas le droit de décider même vis-à-vis des questions qui me concernaient personnellement », se rappelle-t-elle. Leïla a ôté son voile à l’âge de 17 ans et ne l’a plus porté. « Je suis convaincue qu’un jour, je l’enfilerai de nouveau. Mais cette fois, ce sera à moi de décider », confie-t-elle.
Un avis partagé par Fatma Khafaga, activiste et membre au Conseil de la maternité et de l’enfance. Lors d’une visite de terrain qu’elle a effectuée dans le quartier populaire d’Imbaba, elle a tenté de discuter du sujet avec quelques parents. « Ne pensez-vous pas que votre fille est trop jeune pour porter le voile ? », leur demandait-elle. Mais, « les réponses m’ont choquée car les parents ne cessaient de me répéter qu’une petite fille qui porte le voile conduira ses parents au paradis », raconte Khafaga. Elle a découvert que le fait d’expliquer à ce père qu’il est en train de confisquer l’enfance à sa progéniture est une mission difficile.
Cette activiste est persuadée que le fait d’imposer à une petite fille une tenue quelconque est une atteinte aux droits de l’enfant, qui doit vivre pleinement son enfance.
Pourtant, aucune ONG n’a osé s’engager pour prendre en charge ce dossier. L’obstacle majeur, d’après Khafaga, réside dans le fait qu’en Egypte, l’on considère les enfants comme étant une propriété. Et donc personne n’a le droit d’intervenir dans la façon dont les parents éduquent leurs enfants. « Un père qui impose à sa fille de porter le voile trouve qu’il s’agit là d’une question personnelle et qu’il a le droit d’éduquer son enfant à sa manière », confie Khafaga.
La question est tellement délicate que tout le monde préfère l’éviter. « Si nous entamons une telle campagne, ils vont nous accuser de vouloir inciter les filles à la débauche », conclut Khafaga.
Amira Doss