Rarement une telle question a été posée concernant les interventions de ses prédécesseurs à ce poste. Aussi, a-t-il fallu attendre son récent dérapage pour que certaines couches de l’opinion [1] commencent à réagir aux oukases qu’il venait de décréter. « …La liberté est assurée en Algérie. Seulement cette liberté ne concerne que la politique et non la religion ! » [2], n’a-t-il pas craint de déclarer comme le ferait un muphti des Emirats. Le propos est grave, très grave même, cependant, d’une année à l’autre, il étonne de moins en moins tant les manifestations d’intolérance et l’encouragement aux miliciens de la religion sont agréés en haut lieu.
Lui-même d’extraction maraboutique, ce ministre s’exprimait justement devant de futurs imams pour qui cette « leçon magistrale » servira de visa à leurs prédications. C’est-à-dire une éducation et un enseignement dignes des normes des talibans afghans et qu’ils ne manqueront pas de mettre en œuvre à l’ombre des minarets. Car enfin nous avons là un archétype du discours intégriste qui a d’abord changé d’auteur avant d’être récupéré par une institution de l’Etat. Autrement dit, le clergé religieux officiel n’est pas si dissemblable qu’on le dit des imprécateurs du terrorisme. Il parodie ceux-là, mais avec un certain sens de l’autocensure. En effet, face à la criminalité, qui était la conséquence de l’embrigadement, n’a-t-il pas toujours manifesté de la réserve dans la dénonciation jusqu’à cultiver le mutisme total ? Plus porté sur l’absolution, il lui est rarement arrivé à imputer clairement au sectarisme islamiste l’origine du drame national.
S’attachant à découpler la théologie de l’islamisme idéologique, il a certes fait illusion un moment ! Seulement un moment car les spécialistes constatèrent rapidement que l’Etat lui-même refusait de faire le procès de la mosquée des années 1980 en vue de rénover les voies vers la foi. En réalité, ce pseudo néo-islam autour duquel dissertent, si souvent et avec autorité, des personnalités comme le ministre en question ne diffère guère, par ces credo, de celui qui était diffusé par le passé et avait enfanté le peuple du FIS. Cela d’ailleurs explique le retour musclé de l’imprécation sous toutes ses formes au nom de supposées « bonnes mœurs ». En effet, combien de traques et de chasses aux sorcières furent-elles implicitement autorisées et légèrement condamnées par les tribunaux depuis la loi amnistiante ? Cette escalade graduelle préparait depuis quelques années le terrain à une autre « normalisation » religieuse insupportable. Celle qui au nom de la doctrine de la foi intervient dans la sphère privée afin d’extraire, dit-on, les germes de l’apostasie. Ghoulamallah en parle désormais avec un aplomb à faire frémir ceux pour qui la liberté de culte est indissociable de leurs droits constitutionnels.
Cette offensive directement dictée par les impératifs idéologiques contenus dans l’arabo-islamisme illustre désormais ce que représentera le « bouteflikisme » dans l’histoire future. Les prochains mémorialistes le décriront alors comme une marche à reculons qui fit la part belle au piétisme de masse dans le seul but de digérer les débris de l’islamisme politique. Parce qu’il développa un modèle de substitution où la mosquée et la zaouïa constituèrent le binôme de la foi, ils concluront qu’il déroula sciemment le tapis rouge à l’intolérance.
Qu’un ministre se montre à l’aise lorsqu’il énonce de telles outrances pour édifier des imams conforte les desseins du régime lui-même. Jamais rappelé à l’ordre, chaque fois qu’il outrepassait le domaine de ses compétences, Ghoulamallah est en train de redessiner la prochaine « carte » du culte que l’on peut imaginer comme une vaste toile d’araignée où il n’y aura nulle place à des spiritualités divines différentes ni à l’agnosticisme assumé individuellement. Alors les mosquées cesseront d’être des destinations d’un islam paisible où la spiritualité s’épanouirait au même rythme que la tolérance pour se transformer en tribunaux d’exception et en officines de la délation. À ce moment-là, les grands frères de la foi pourront prêcher pour des convertis au nom d’Allah…, « Le grand absent de ce pays déviationniste ». [3]
Par Boubakeur Hamidechi
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