Dans une lettre adressée le 15 août à José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, Nicolas Sarkozy s’est fait le champion de l’aide aux Pakistanais sinistré par les inondations. Il s’est déclare prêt à mobiliser, « dans le cadre de l’Otan », « des moyens logistiques militaires nationaux, aériens et navals », et attend de l’Europe qu’elle fasse de même. Il lui « paraît essentiel pour des raisons humanitaires et politiques évidentes » que la présence de cette dernière soit « visible » au Pakistan : « L’intérêt de l’Europe est aussi d’assurer le développement et la stabilité de ce pays ».
L’instrumentalisation géostratégique des secours est ici prônée sans vergogne. Il serait tellement plus simple d’affréter des moyens civils mais, comme au Sri Lanka en plein conflit tamoul, lors du Tsunami de décembre 2004, il faut brandir le drapeau. Dans le cas présent, les conditions de « visibilité » invoquées par Sarkozy rendraient l’opération particulièrement explosive. En effet, l’aide serait acheminée par des armées opérant dans le cadre de l’OTAN, elle-même engagée dans la guerre d’Afghanistan qui déchire le Pakistan ! Ce serait lier directement l’action humanitaire à une guerre « chaude », qui déborde déjà la frontière pakistano-afghane, et ouvrir une boite de pandore.
Cette confusion volontaire fait de l’humanitaire l’otage du militaire. Dans le cas du Pakistan, c’est du pain béni offert aux courants politico-religieux fondamentalistes qui peuvent ainsi dénoncer les ambitions à peine voilées des puissances impérialistes. C’est aussi mettre en danger les organisations occidentales indépendantes engagées sur le terrain auprès des populations.
Même dans des situations beaucoup moins conflictuelles, le débarquement militaire de l’aide est vécu comme une invasion qui écrase la « société civile » au lieu de s’appuyer sur elle pour agir efficacement (voir récemment ce qui s’est passé à Haïti). Une invasion qui en annonce d’autres, dans le cadre de la « reconstruction » des zones dévastées auxquelles Sarkozy fait allusion. Ainsi l’industrie touristique convoite-t-elle les rivages nettoyés des villages de pêcheurs par le tsunami en Asie. Ainsi Monsanto propose une aide massive en semences afin de se constituer un nouveau marché captif au dépend des paysans haïtiens menacés d’effacement par la transnationale agroalimentaire – des paysans qui ont vigoureusement manifesté contre cette conception économico-dictatoriale de l’humanitaire [1].
Les épaules carrées, le président français aime occuper le centre de la scène médiatique à coup de déclarations musclées, quitte à bousculer ses pairs pour mieux se faire voir. Il est trop tôt pour savoir de quels effets sera suivie sa lettre à Barroso (de pas grand chose, probablement). Mais la confusion du militaire et de l’humanitaire – ou la confusion entre la reconstruction et la conquête de nouveaux marchés par les transnationales – est une caractéristique des politiques impérialistes actuelles. Il ne suffit pas des les dénoncer, il faut leur opposer une politique alternative, une conception solidaire de la solidarité.
Grâce au développement des liens internationaux entre mouvements sociaux depuis Seattle, il est possible de mettre concrètement en œuvre une solidarité « de peuple à peuple », qui tienne effectivement compte des besoins des régions (comme le Baloutchistan au Pakistan) et des populations les plus défavorisées – alors qu’elles sont souvent les dernières à recevoir l’aide (para)officielle. Une solidarité poursuivie dans la durée, à même de défendre leurs intérêts quand l’urgence cède place à la reconstruction. Une solidarité qui combine secours matériels (une dimension cruciale !) et campagnes politiques : pour l’abolition des dettes illégitimes de Haïti et ou Pakistan ; contre la corruption et le clientélisme qui détournent les fonds destinés aux victimes ; pour la transparence démocratique sur l’utilisation de l’aide ; pour des mesures répondant à la crise climatique et aux besoins sociaux des pauvres…
Bien entendu, nous ne pouvons pas fournir une flotte d’hélicoptères et nous n’avons pas les moyens logistiques des grandes associations humanitaires. Mais la solidarité « de mouvements à mouvements » n’en est pas moins très efficace. Les réseaux militants sont les premiers sur place ; ils connaissent les situations locales, les besoins et les problèmes ; ils renforcent les solidarités entre victimes de la catastrophe au lieu de jouer sur leurs divisions comme les partis clientélistes ; ils agissent rapidement et à moindre coûts ; ils ne repartiront pas une fois le temps de l’urgence passé… Les médias se focalisent sur l’action des gouvernements et des grosses ONG. A nous de montrer l’importance politique et l’efficacité humanitaire des organisations progressistes mobilisées sur le terrain.
Tremblements de terre et tsunamis, cyclones et inondations, désastres industriels et guerres… les catastrophes humanitaires se succèdent et – le changement climatique aidant – risquent de se multiplier, de s’aggraver encore. Elles frappent toutes les régions du monde. Il ne faut plus vivre l’aide seulement comme un geste ponctuel et bienvenu de solidarité, mille fois répété. La réponse aux catastrophes doit être conçue comme un terrain d’action permanent où les enjeux politiques et sociaux sont trop importants pour être ignorés.
Une politique progressiste de l’aide doit être intégrée à notre conception de l’internationalisme et devenir un « bien commun » des mouvements sociaux [2]. De premiers pas ont été accomplis en ce sens depuis le tsunami de 2004, mais il reste encore beaucoup à faire !
Pierre Rousset
Urgence Pakistan : Répondez à l’appel de la Campagne de secours populaire. Voir :
Appel urgent : plus de 12 [20] millions de personnes souffrent des inondations au Pakistan – Envoyez des dons à la Campagne de secours populaire (article 18197 sur ESSF)
Note importante : Pour des raisons pratiques, nous ne sommes pas en mesure de faire le point sur les dons financiers déjà reçus par Europe solidaire sans frontières (ESSF) pour la Campagne de secours populaire au Pakistan. En effet, les responsables de notre association sont actuellement en voyage… notamment en Asie, pour renforcer nos liens dans cette partie du monde.
Nous ferons donc le point début septembre. Vu l’ampleur des besoins, la campagne de solidarité financière va se poursuivre pendant encore toute une période.