Tribune : les vêtements des femmes
Nous publions une lettre replaçant le débat sur la burqa dans l’histoire de la tenue des femmes.
Depuis la nuit des temps, les hommes légifèrent et inscrivent dans les textes civils ou religieux, la manière dont les femmes doivent s’habiller, ce qui est licite de montrer ou non, et la pudeur dont elles doivent faire preuve.
Tout est codifié, de la manière de s’assoir à celle de saluer. Même monter à cheval était indécent il y a moins de deux siècles.
En Europe, le droit de porter un pantalon fut un combat. Il fallait rester en jupe, qui devait bien couvrir les chevilles. Puis, après 1914, la nécessité pour les femmes d’aller travailler (on manquait d’hommes valides) a permis que les jupes raccourcissent au-dessus de la cheville et montrent les mollets, et surtout que les gaines et guêpières qui enserraient la taille des femmes se délacent.
Les femmes portant des cheveux longs ont toujours dû cacher leur chevelure, natter, attacher les cheveux. Bien sûr, c’était un moyen de lutter contre les vermines (teignes et poux), mais aussi un principe de « pudeur » et de soumission. Impossible d’aller à l’église ou de se promener dans la rue en « cheveux », jusque dans les années 1950. La mode des cheveux courts fut un vent de liberté. Sortir cheveux au vent fut le symbole d’une autre vie pour les femmes dès 1960.
L’indécence avançant, des mollets, on est passé aux genoux. Les jupes se sont évasées et ont diminué encore. Les vacances, la plage, le bikini et Brigitte Bardot, et bientôt la minijupe ont montré les cuisses.
Et comme toujours, les hommes se sont affrontés sur le droit des femmes à s’habiller : les pères refusant aux filles, les hommes hélant les femmes dans la rue, voire s’invitant à leur table dans les bars s’ils les jugeaient habillées trop « sexy ».
Le mouvement des femmes, outre les luttes pour l’avortement et la contraception, a dû travailler sur le droit des femmes à sortir, se promener, aller au bar ou au restaurant, habillées comme elles veulent.
Dans tous les pays du monde, l’habillement des femmes change, au moins en ville, et les droits des femmes augmentent, même si l’écart entre les pays occidentaux et les autres reste important.
On peut analyser que le port du voile religieux et plus encore de la burqa sont des reculs de ces libertés. Sauf que chez la plupart des femmes qui le portent en France, il s’agit d’un choix et qu’à nouveau, une assemblée va légiférer sur ce qui est licite ou non de porter comme vêtement en France pour des femmes. Toute islamophobie dehors, il s’agit de montrer les musulmans comme de mauvais français, qui refusent de « s’intégrer », mais on ne légifère pas sur le port de la djellabah, de la barbe ou de la kamis : non, c’est toujours la femme, ce qu’elle doit montrer ou non qui est en jeu.
Et tout le monde commente le sort des femmes enfermées vivantes derrière la burqa, mais personne ne se soucie pourtant des bonnes sœurs cisterciennes ou dominicaines, cloîtrées dans des couvents, interdites de parler ou de rire, voire de se laver... Et pourtant, il semble qu’elles soient encore bien plus nombreuses que les adeptes du niqab.
La loi votée ce mardi 13 juillet ne se soucie absolument pas du sort réel des femmes ultra religieuses, elle n’est là que pour faire oublier les soucis immédiats qui vont cloîtrer nos vies : la disparition programmée des services publics, de la retraite socialisée, et qui nous enterrera vivants dans la recherche de l’argent nécessaire pour éduquer et soigner nos enfants et protéger nos parents de la misère et de l’abandon.
Véronique Decker
* Paru dans Hebdo TEAN 65 (22/07/10).
À propos d’une tribune sur « Les vêtements des femmes »
L’article de Véronique Decker – « Les vêtements des femmes » - publié la semaine dernière (Tout est à nous ! n° 65) est intéressant à bien des égards, notamment en ce qu’il rappelle que « depuis la nuit des temps », les hommes ont cherché à légiférer sur les vêtements des femmes. L’article retrace de manière convaincante quelques épisodes de cet aspect de la lutte pour le contrôle du corps des femmes, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Malheureusement, lorsque sont abordées la période actuelle et la burqa, curieusement, le raisonnement… s’inverse. Au moins de deux manières.
D’abord, s’agissant de la burqa, on s’attend à ce que l’article dénonce un nouvel exemple de la volonté des hommes – en l’occurrence, certains « docteurs de la loi » et/ou autres tenants de la « tradition » – de légiférer sur ce que doit être l’habillement « décent » des femmes. Or… pas du tout ! L’article dénonce… les parlementaires français. À juste titre dans la mesure où il s’agit de mettre en cause la diversion que représente la loi, venant après le « débat » nauséabond sur l’identité nationale. Mais cela justifie-t-il pour autant de totalement minimiser la signification objective du port de la burqa au motif (controversé)… qu’il s’agirait d’un choix des femmes ? Alors qu’à l’évidence, comme pour tous les autres exemples énumérés précédemment, il s’agit bien là d’une « prescription » décidée par certains hommes qui, bien avant que le pouvoir français ne décide d’imposer une loi, ont « légiféré » (en sens inverse des députés français, bien sûr) et décidé à la place des femmes.
Deuxième inversion de raisonnement : pour mieux condamner les politiciens français – qui, encore une fois, le méritent amplement – seule la forme de leur décision est prise en considération. Les parlementaires viennent de « légiférer » à propos des « vêtements des femmes ». Donc, qu’il s’agisse d’interdire la burqa ou… le pantalon ou encore la minijupe, finalement, c’est du pareil au même : les hommes décident et interdisent. À ceci près que cette logique formelle évacue le fond, à savoir ce qu’il s’agit concrètement d’interdire… Les exemples historiques cités dans l’article témoignent pourtant des batailles menées par les femmes pour l’égalité avec les hommes et pour se réapproprier la maîtrise de leur corps et de son exposition. Rien de tel avec la burqa. Avoir le droit, si on le souhaite, de découvrir – un peu ou beaucoup – son corps, sans contraintes imposées par une conception patriarcale de la « décence » ou de la « pudeur » – ce qui est le sens des combats évoqués – ou être sommée de le couvrir intégralement : non, ce n’est définitivement pas pareil !
François Coustal
* Paru dans Hebdo TEAN 66 (29/07/10).