Le 4 août 2010, sur la radio France Culture, Marie-Hélène Mandrillon, chercheuse au CNRS et spécialiste de l’environnement russe et enseignante à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, rappelait que : « Il y a trois ans, la réforme du code forestier a transféré ces forêts, qui n’étaient plus considérées comme des ressources naturelles exploitables, aux gouvernements régionaux » Des gouvernements régionaux qui, faute de ressources financières – une part substantielle ne se sont-elles pas envolées pas vers la Suisse, le Luxembourg, vers Londres et ailleurs, pour trouver refuge dans des coffres ignifugés ? – ont supprimé quelque 70’000 gardes forestiers, souligne-t-elle.
Ils ont délaissé ces massifs devenus, au fil des ans, de véritables bombes incendiaires. S’y ajoute le fait que, des décennies durant, les agronomes soviétiques – avec la bénédiction ou sous les ordres du pouvoir central – ont laissé s’assécher les marais et entrepris d’accroître ainsi les surfaces agraires ou forestières, souligne Marie-Hélène Mandrillon.
Au final, ces zones sont devenues des tourbières sèches qui, faute d’être replantées, s’avèrent facilement inflammables et difficilement extinguibles. Elles fournissaient de plus un combustible bon marché à des populations à la recherche de moyens accessibles pour se chauffer durant les périodes de froidure.
En outre, les pompiers russes ne disposent pas du matériel adéquat. Le « Ministère des situations d’urgence » le reconnaît. Il annonçait lundi 2 août 2010 l’acquisition imminente (sic) de 8 bombardiers d’eau ainsi que de plusieurs hélicoptères. Moscou va débloquer, en urgence, 25 millions d’euros (!) pour renforcer ses moyens d’intervention aériens.
Passez : rien à voir. Puisque l’on voit de plus en plus mal
Tout cela n’empêche pas le porte-parole de l’insubmersible maire de Moscou, Iouri Loujkov d’être en vacances dans un lieu inconnu – qui ne semble pas être touché par les flammes. Toutefois, son porte-parole et porte-flingue, le remarquable moyens accessibles pour se chauffer durant les périodes de froidure. Ainsi de 1000 incendies Sergueï Tsoï explique, droit dans ses bottes : « Quels problèmes y a-t-il à Moscou, c’est la région de Moscou qui est concernée, pas la ville. » Il est vrai que la présence de Loujkov ne changerait rien – et que selon la bonne et vieille tradition du secret politique. S. Tsoï peut répondre aux journalistes : « Quand nous voudrons vous le dire, nous vous le dirons »…où se trouve Loujkov. (Le Monde 8-9 août 2010). Par contre, il est moins bavard sur l’évolution du feu dans la zone de tourbières des faubourgs de Moscou. Vendredi 6 août, la concentration de microparticules dans l’air moscovite a dépassé la norme « supportable maximale », de 5,2 fois selon l’organisme MosEcoMonitoring. Et alors ? Le président russe Dmitri Medvedev déclare avec cette foi propre aux anciens du KGB : « Bien sûr ce n’est pas nous qui décidons, c’est en haut. » Et selon Aléxandre Billette du quotidien Le Monde, Medvedev leva, alors, « la main vers les cieux ».
Il est vrai que ce geste est en syntonie avecle nombre de décès à Moscou en juillet a été supérieur de près de 50% au même mois de l’année dernière, avec près de 5.000 morts supplémentaires imputables à la canicule. « On a enregistré 14’340 décès à Moscou en juillet 2010, c’est 4824 décès de plus qu’en juillet 2009 », a indiqué une responsable des services de l’état-civil de la capitale russe, Evguenia Smirnova. « L’augmentation de décès a commencé en juillet. En juin, au contraire, les chiffres étaient plutôt bons", a indiqué cette responsable. « La canicule a très certainement influé », a-t-elle déclaré. Elle n’a pas été en mesure – ou pas été autorisée – de donner des chiffres de mortalité pour les premiers jours du mois d’août, période dans laquelle se combinent les effets de la canicule, qui frappe la partie occidentale de la Russie depuis le début juillet, et microparticules « planant » suite aux incendies des tourbières de la région. Mais, le plus rassurant n’est-ce pas que les autorités démentent encore toute hausse importante de la mortalité.
Cela était prévisible
Or, déjà, en 2007, le Groupe d’expertise et d’intervention déchets (GEID) établissait un rapport intitulé « Déchet post-catastrophe, risques sanitaires et environnementaux ». Plus que prémonitoire. A l’heure où les « services de secours russes » recensent encore plus de 550 foyers couvrant au moins 190’000 hectares d’espaces naturels, alors qu’à Moscou la concentration de particules en suspension dépasse de très loin les seuils d’alerte, le document confirme que les conclusions d’hier sont plus que jamais d’actualité...
Ce rapport [1] souligne que les incendies de savanes et de forêts, qu’elles soient tropicales, boréales ou méditerranéennes, comme les brûlis agricoles sont des sources majeures de pollutions atmosphériques transfrontières et peuvent être de plus en plus toxiques à cause de l’utilisation grandissante de produits phytosanitaires dans les sols agricoles et les plantations forestières, voire de l’inclusion de décharges dans les périmètres sinistrés – ces dernières étant connues pour être d’importantes génératrices de dioxines.
Le document rappelle qu’en Russie et dans les pays de l’ex-Union soviétique, ces incendies atteignent des dimensions insoupçonnées et inquiétantes. Qu’il y a d’ailleurs « des différences importantes entre les statistiques officielles qui en 2003 déclarent 2 millions d’hectares d’incendies de forêt et les observations satellitaires qui en inventorient plus de 14 millions. » Et d’enfoncer le clou : « Il ressort des travaux de l’American Geophysical Union et l’université du Michigan que [ces incendies] sont une des sources importantes de remobilisation atmosphérique du mercure d’origine naturelle ou anthropique »
Incendie et installations nucléaires
Une source volatile, potentiellement dangereuse lorsque ces feux concernent des plantations ou des cultures mettant en jeu des herbicides dont les molécules organiques, toxiques et cancérigènes, peuvent être transportées par les fumées. Où quand ces fumées contiennent des traces de radioactivité. « Les radionucléides redéposés après les essais nucléaires atmosphériques ou les excursions accidentelles et chroniques en provenance d’installations nucléaires sont remobilisés par les incendies, souligne le rapport. C’est le cas en particulier du césium 137 et du strontium 90". L’avertissement est clair. Et aujourd’hui, la région élargie autour de Tchernobyl est en partie la proie des flammes. Or, en 1986, six millions d’hectares ont été pollués par la radioactivité, dont 2 millions en Biélorussie, en Ukraine et en Russie. Et des milliers d’incendies, de dimensions plus ou moins grandes, se déclarent dans ces régions, chaque année. De 1993 à 2001 près de 1000 incendies ont été rapportés. Ils ont couvert une surface de quelque 100’000 hectares.
A ce jour, les autorités russes délivrent les traditionnelles déclarations soporifiques et anxiolytiques. Ainsi dans la région de Nijni Novgorod, les flammes menacent l’Institut panslave de recherche en physique expérimentale où sont assemblées (mais aussi démantelées) des armes nucléaires. A 500 kilomètres à l’est de la capitale, les matériaux radioactifs de la centrale de Sarov ont été évacués, selon les déclarationIncendie et installations nucléaires moyens accessibles pour se chauffer durant les périodes de froidure. Ainsi de 1000 incendies officielles, alors qu’au sud de Moscou, l’incendie qui encerclait les réacteurs de la centrale nucléaire de Voronej semble sous contrôle. Sergueï Kirienko, le président de Rosatom, l’agence russe du nucléaire, a beau clamer « aucun risque pour la sécurité nucléaire ». Le doute est plus que légitime. Pour des experts une inquiétude particulière « concerne le site secret Arzamas 16, à 60 km de la ville de Sarov ». Depuis 1946, celui-ci abrite un centre russe d’expérimentations et d’activités nucléaires et sert de stockage de plutonium, d’uranium enrichi, d’assemblage et de désassemblage de bombes nucléaires. Certains l’assimilent à un dépotoir à déchets radioactif. Diverses associatioons écologiques réclament que l’Autorité de Sûreté Nucléaire et ses homologues européens communiquent sur une éventuelle pollution radioactive transfrontière à la suite de ces incendies. La lecture de quelques extraits du rapport consacré aux incendies de forêts établi par le Groupe d’Expertise d’Intervention Déchets – GEIDE post-catastrophe – permet de saisir une partie de ce qui se joue aujourd’hui en Russie ; la « dimension naturelle » de ce genre de catastrophe est réduite à sa réalité
Rédaction de A l’encontre